66. Un pas en avant

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Allan

Je n’en peux plus de ce froid qui s’est installé entre nous. Je ne supporte plus cette distance que l’on s’impose, cela me fait mal et j’ai l’impression que je suis torturé au quotidien. J’aime Maeva plus que tout au monde et là, en érigeant ce mur entre nous, nous sommes en train de détruire tout ce qui fait notre essence en tant que couple. C’est comme si on essayait de s’arracher une partie de notre corps, de procéder à une opération chirurgicale sans anesthésiant et ça me fait trop souffrir pour continuer de la sorte.

Nous venons de coucher les enfants et nous nous sommes installés devant la télé sans même que je sache ce que l’on est en train de regarder. Peu importe de toute façon, je n’arrive pas à me concentrer sur autre chose que sur l’air fermé de mon épouse qui n’est pas venue se lover contre moi comme elle le fait d’habitude mais a choisi de s’asseoir sur le fauteuil le plus éloigné de moi. Vive l’ambiance.

Je l’observe sans me cacher alors qu’elle fait mine de se concentrer sur la jeune chanteuse qui est à l’écran et semble donner tout ce qu’elle a. Elle est magnifique, même quand elle boude ainsi. Encore plus que d’habitude parce qu’elle est aussi inaccessible ? Peut-être bien, oui. Elle a replié ses jambes sous elle et je peux admirer cette peau que j’adore caresser et que j’aimerais tellement sentir sous mes mains. Elle porte un petit top un peu informe, confortable mais qui ne laisse que peu de place à l’imagination vu comment il dévoile les courbes splendides de celle qui partage ma vie. C’est fou comme le simple fait de la regarder me remplit d’amour… et d’envies. Et ce visage d’ange qui me fait rêver à des baisers passionnés, des yeux bleus dans lesquels j’adore me plonger lorsqu’ils sont enfiévrés de désir, ces cheveux couleur chocolat que j’apprécie ébouriffer et même tirer dans le feu de l’action. Je l’aime, et j’en ai marre de ces disputes incessantes, mais alors que je m’apprête à la sortir de sa contemplation de l’émission, nous sursautons tous les deux quand nous entendons retentir la sonnette.

— Tu attends quelqu’un ? demandé-je en me levant.

— Non… Tu crois que ce sont les flics ? me demande-t-elle en grimaçant.

— J’espère que non. Pas à cette heure-ci, quand même. Ne bouge pas, je vais voir. C’est peut-être simplement Nina, la voisine, qui n’a plus de sel…

Je laisse ma main glisser sur son épaule dénudée alors qu’elle se recroqueville encore plus sur son fauteuil et vais ouvrir la porte d’entrée. Je tombe sur Yoann qui semble mal à l’aise d’avoir à me parler.

— Bonjour. Que se passe-t-il, Yoann ? Un souci encore à Belle Breizh ?

— Bonsoir, Allan. Je suis désolé de vous déranger, mais je… j’ai besoin de parler à Maeva et elle est injoignable. On… devait se voir demain matin pendant l’absence de Gaëlle, mais elle m’a dit que son rendez-vous était annulé et qu’elle serait au bureau, vous voyez ? Les murs auront des oreilles…

Je m’apprête à le rembarrer parce que ce dont j’ai envie, là, tout de suite, c’est d’avoir une discussion avec mon épouse, pas de la voir se remettre à bosser, mais je n’ai pas le temps de réagir car Maeva apparaît derrière moi. Cela me fait du bien de la sentir me toucher quand elle s’empare de mon bras pour que je laisse passer son assistant mais c’est malheureusement trop court.

— Entre, Yoann. Désolée, j’ai laissé mes téléphones dans mon bureau, j’avais besoin de calme ce soir, mais il faut croire qu’elle nous enlève ça une fois de plus. Tu as bien fait de venir, lui sourit-elle. Ne m’attends pas pour aller au lit, Allan, on en a pour un moment, je pense.

Un peu hébété, je me recule et laisse entrer Yoann alors qu’elle lui fait signe de la suivre jusqu’à son bureau. Je ne manque pas le regard un peu concupiscent qu’il lance à ma femme en la suivant, ses yeux dirigés vers les fesses de Maeva, et je referme la porte doucement, frustré de me voir encore une fois écarté. Et jaloux vis-à-vis de Yoann. Horriblement j’avoue, si je veux être honnête. Quelle idée de débarquer chez sa patronne à cette heure-ci ! Il veut quoi ? Prendre ma place et profiter de nos difficultés pour s’immiscer dans nos vies ? Me priver de ma soirée avec elle alors que ses journées sont déjà toutes consacrées à son boulot ?

Machinalement, je retourne m’asseoir à ma place sur le canapé devant la télé où l’émission suit son cours. Un couple est en train de chanter mais j’ai l’impression que le son est coupé, que je ne suis pas vraiment là. Tout mon esprit est dirigé vers cette porte que Maeva a refermée derrière eux. Irrationnellement, je m’imagine les pires des scénarios, lui qui met ses sales mains sur la peau si douce de ma femme, qui essaie de la séduire et la charmer alors que je suis là, comme un con, sur mon canapé. Je sais que ça n’a rien à voir avec la réalité, qu’ils sont sûrement simplement en train de travailler et d’échanger, mais je sens que ça bouillonne en moi. Et puis, pourquoi préfère-t-elle gérer ses soucis uniquement avec son assistant en m’excluant moi, son mari, de cette recherche de solutions ? Ai-je été vraiment si abject avec elle concernant Belle Breizh ? Sûrement, oui. Mais rien ne m’empêche de changer ça, non ? A moi de faire le premier pas si je veux redonner à notre couple une chance.

Je ne veux plus tergiverser et me lève pour aller frapper à la porte de son bureau. J’entre avant même d’entendre une réponse et suis rassuré par ce que je vois. J’avais beau être confiant, ça fait du bien de voir Maeva qui a revêtu un gilet, plus décente qu’à l’arrivée de Yoann qui est installé à bonne distance de mon épouse.

— Désolé de vous déranger mais… je crois que je peux vous aider, non ? A trois cerveaux, on devrait réussir à avoir plus d’idées qu’à deux ? Et un regard extérieur, ça peut vous amener à d’autres réflexions, je pense.

J’hésite à pénétrer plus avant dans la pièce et m’attends à ce que Maeva me demande gentiment de ressortir car elle semble vraiment étonnée de mon intrusion dans son espace de travail.

— On dirait bien que ton mari a retrouvé la raison, lance Yoann en souriant à ma femme.

— Hum… Tu veux vraiment nous aider ? Ou tu comptes mettre ton nez dans nos affaires pour t’assurer que je ne suis pas une vilaine criminelle ?

— Je sais déjà que tu es la pire des criminelles, Chérie, mais comme je t’aime et que je veux t’aider à éviter la prison, il faut bien que je fasse un effort, non ? Et puis, c’est un peu ma spécialité de mettre fin aux agissements des criminels. Je manque un peu de pratique ces derniers temps, mais j’ai de bons restes, je crois.

— Tu oses vraiment une blague sur mon statut de soi-disant hors-la-loi, là ? Parce que je ne trouve pas ça drôle, grimace-t-elle.

— Peu importe, s’enthousiasme Yoann. Un cerveau de plus ne sera pas de trop ! Arrête de bouder, même s’il le mérite. Nous cherchons à obtenir des preuves, Allan, et pour ça, nous réfléchissons à comment faire avouer Gaëlle.

— Chérie, je ne vais pas m’imposer si tu ne veux pas de moi, énoncé-je lentement, prêt à me retirer, mais je ne crois absolument pas que tu sois une criminelle. Je suis désolé d’avoir douté de toi, mais j’ai toujours été honnête et transparent avec toi. Je… je n’ai vraiment pas été à la hauteur, j’avoue, mais je suis humain, je fais des erreurs comme tout le monde. Et ma plus grosse erreur, c’est vraiment de douter de toi. C’est… impardonnable mais je me dis que l’amour peut aider à excuser même les pires fautes… C’est un peu le seul espoir qui me reste quand je réfléchis à quel point j’ai été con. Je t’aime et je t’ai toujours dit que quoi que tu aies fait, ça ne changerait rien. Même si tu avais fait les pires atrocités, j’aurais continué à t’aimer inconditionnellement, même si je n’ai pas su l’exprimer. Tu sais, quand on ne croit plus en soi, c’est difficile de croire dans les autres. Mes doutes sur moi ont… débordé. Et là, maintenant que je suis convaincu que tu n’y es pour rien, j’ai encore plus envie de prendre ta défense et me lancer à corps perdu dans ton combat. J’ai été maladroit, sûrement, j’ai été aveuglé par ma colère contre ton entreprise qui t’éloignait de moi, te retirait de ma vie. Tu peux m’en vouloir pour ça, tu peux me détester même pour ce que j’ai dit et fait alors que tu n’allais pas bien, mais laisse-moi t’aider maintenant. Que je puisse au moins tenter de me faire pardonner. Ou simplement t’aider à rebondir même si cette épreuve nous séparera à jamais. Je n’ai pas envie de te perdre, mais… qui voudrait d’un abruti comme moi ?

En parlant, je me suis rapproché du fauteuil dans lequel elle est installée et je n’ai pas rompu le contact visuel entre nous. J’ai vaguement conscience que Yoann est présent dans la pièce et que je ne devrais pas me mettre ainsi à nu devant un autre, mais je m’en fous. Ce qui compte, c’est que Maeva comprenne que je suis sincère, que je suis de son côté. Et si elle m’envoie balader ce soir, je sais que je l’aiderai quand même, que je me mobiliserai pour que son honneur soit lavé, même si notre couple se désagrège en route. J’ai le sentiment de jouer tout mon avenir, là. Si elle me rejette, tout risque d’exploser, je l’aurai bien mérité, mais mon cœur continue d’espérer et de croire que notre amour peut résister à ces épreuves.

— Très bien… Disons que j’accepte la main tendue, soupire Maeva. Mais ce n’est pas parce que j’ai envie de me blottir dans tes bras que j’oublie tout, Allan…

— Je ne te demande pas d'oublier, je veux juste continuer notre chemin ensemble. Plus fort après toutes ces épreuves, continué-je en venant me placer à ses côtés.

Je suis surpris quand elle se redresse subitement et se jette sur moi, ses bras autour de mon cou, en sanglotant. Je l’enlace et dépose un baiser sur son front en la caressant tendrement. Je remarque que Yoann essaie de se faire tout petit et suis un peu gêné pour lui qui se retrouve témoin de nos états d'âme, mais une autre partie de moi s'en moque totalement. Le monde entier peut être témoin que Maeva et moi, nous nous aimons, que nous ne sommes pas un couple parfait mais que nous parvenons à surmonter les épreuves. Ou que nous essayons en tout cas.

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