67. L’enquêteur se réveille

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Maeva

Je peine à calmer mes sanglots et à lâcher Allan. J’ai beau lui avoir dit que je n’oubliais pas, savoir qu’il me soutient vient de m’ôter un poids que je n’avais même pas conscience de porter. Et je crois qu’une part de moi a peur qu’en le lâchant, je me réveille et que nous nous retrouvions à nouveau chacun dans un coin du lit, comme deux étrangers obligés de dormir ensemble par manque de place.

Il n’y a jamais eu lieu plus réconfortant que le creux de ses bras. Ça fait quinze ans que c’est comme ça, que l’étreinte rassurante de mes parents où de mes frères et sœurs a été remplacée par celle-là, ça me manquait tellement que j’ai l’impression d’être une droguée en sevrage qui reprend enfin une dose. Et ma dose à moi est douce et chaude, câline et tendre.

Je m’oblige difficilement à quitter son étreinte et m’essuie les joues en lançant un regard d’excuse à Yoann qui me sourit avec bienveillance. Evidemment, toute cette histoire nous a rapprochés tous les deux. J’ai été totalement honnête avec lui en lui expliquant que je l’avais soupçonné, connaissant Gaëlle depuis tellement longtemps que je n’imaginais pas qu’elle puisse me trahir, et il s’est montré plutôt compréhensif avec moi. Yoann… Mon instinct ne m’a pas fait faux bond quand je l’ai embauché, finalement. En revanche, ça ne peut plus être que Gaëlle, et ça, ça fait mal.

— Comme le disait Yoann, dis-je avant de me racler la gorge pour reprendre un peu contenance, on cherche à obtenir des preuves que c’est Gaëlle qui entube nos magasins et donc la boîte… Disons qu’on cherche un moyen de la piéger, mais être fourbes ou calculateurs n’est pas trop notre truc.

— Je n’emploierais pas ces termes-là, mais je vois ce que vous dites. Moi, quand je faisais des enquêtes, j’étais connu pour mon côté méthodique et organisé. Ça sonne quand même mieux que votre vision des choses, non ?

— Oui, mais ça en vient au même si tu fais des fourberies méthodiques et organisées, non ? soufflé-je, sourire aux lèvres, alors qu’il s’assied sur ma chaise de bureau.

— Bon, est-ce que vous pouvez me dire tous les endroits où vous êtes accusés de prendre de l’argent ? Et est-ce que vous avez vu des manifestations de son enrichissement ? Des choses sur lesquelles on pourrait la coincer ? Elle ne vient pas de s’acheter une Ferrari ?

J’ouvre le dossier bleu sur le bureau et lui sors la carte de France où nous avons recensé tous les magasins qui avaient subi des abus, et m’assieds sur le rebord du meuble pour l’observer fouiner dans les papiers que Yoann et moi avons réunis. Il n’y a aucune preuve que ça vient de Gaëlle, là-dedans, seulement des éléments qui montrent les malversations.

— Pas de Ferrari, non, mais il semblerait qu’ils aient signé un compromis pour une maison en bord de mer, lui répond Yoann.

— Tu sais, la petite villa en hauteur de la plage de Rochebonne ? Celle que je trouve magnifique et que je rêvais d’acheter quand on cherchait notre chez-nous, ajouté-je.

— Ah oui ? Je vois bien, en effet. Attends, voyons voir ce que je peux trouver, continue-t-il en ouvrant une page Internet sur l’ordinateur de Yoann et en lançant des recherches sur des sites qui ne semblent accessibles que par la police. Ah, voilà. Vos informations ne sont pas à jour. Le compromis a bien été signé mais finalement, la vente a été annulée. L’acheteur s’est rétracté. Étrange…

— Ah bon ? Effectivement, c’est bizarre, elle ne m’en a pas parlé, soupiré-je. J’aimerais vraiment la faire parler, Allan, je… Bon sang, je ne peux pas laisser la boîte couler à cause d’elle… Les rumeurs causent déjà beaucoup de dégâts…

— Il faut qu’on réfléchisse à un plan où l’on pourra la mettre en cause directement. Les nouveaux magasins, qui décident de leur ouverture ? C’est quoi, la procédure ?

— Eh bien, on a une adresse mail de contact pour les professionnels qui souhaitent s’associer à nous, et de notre côté, on projette à l’année des objectifs d’ouverture dans les villes qu’on vise. Pour les demandes, nous avons tous les trois accès à la boîte mail, et on en discute ensemble après qu’au moins l‘un de nous a rencontré la personne qui nous a contactés.

— Tu peux me donner ce mail ? Ça ira plus vite que d’aller le chercher sur votre site.

Je réfléchis quelques secondes pour essayer de m’en souvenir et sors finalement mon petit calepin du tiroir près de lui. Trop d’infos à retenir, je ne me souviens pas de ça, moi.

— La voilà. Qu’est-ce que tu comptes faire ? Tu veux ouvrir une boutique dans ta salle de musique ? souris-je.

— Non, ça fait longtemps que je n’y suis pas allé dans ma salle, mais quand même, je la garde pour faire de la musique. En fait, j’ai vu dans les papiers que la gérante qui a porté plainte venait de commencer. Et il y a fort à parier que c’est Gaëlle qui a géré la partie financière, même si elle a caché ses traces. S’il y a une nouvelle cliente, vous la laisserez gérer, n’est-ce pas ?

Yoann et moi nous regardons une seconde avant d’acquiescer tous les deux.

— Vous croyez qu’elle va prendre le risque de continuer alors qu’on est sous enquête ? lui demande mon associé. Et qu’on serait sollicités pour ouvrir un nouveau magasin en pleine crise ?

— Vu les risques qu’elle a déjà pris, elle semble être sans scrupule et ne sera pas méfiante face à une nouvelle demande. Son sentiment d’impunité est impressionnant. Elle a dû bien rigoler de te voir aller en garde à vue, Chérie. Elle t’a appelée ou elle a pris des nouvelles ?

— Elle est venue me voir au bureau ce matin… toute mielleuse. Je crois n’avoir jamais eu autant envie de jeter quelqu’un par la fenêtre, soupiré-je. Elle bosse de chez elle depuis que les flics sont venus, elle est juste passée pour me voir, d’après ses dires.

— Elle ne se doute pas que vous l’avez dans le collimateur ?

— Je ne crois pas… mais je ne pourrais pas te le garantir.

— Elle n’a pas l’air plus stressée que ça, ajoute Yoann.

— J’espère que c’est vraiment elle. Parce que sinon, il va falloir changer de méthode pour l’enquête. Ça vous semble correct comme mail de demande de partenariat ? rajoute-t-il en tournant l’écran vers nous.

Je me glisse sur ses genoux pour lire le mail alors que Yoann approche. Quelques minutes et Allan a monté un plan, tout seul comme un grand… Du moins, un début de plan. C’est toujours plus que ce à quoi nous en étions arrivés, parce qu’hormis l’attacher à une chaise et lui hurler dessus, nous ne sommes arrivés à aucune idée brillante.

— Oui, ça me paraît pas mal pour un premier contact, lui répond Yoann alors que j’acquiesce.

— J’ai mis que j’étais prêt à investir et que la crise actuelle était pour moi une opportunité. S’il y a de l’argent à prendre, ça va attirer celui ou celle qui cherche du fric. Cela passe ? s’enquiert-il alors qu’une de ses mains s’est posée sur ma hanche. Sinon, j’enlève.

— Ça passe bien, oui. Ça sous-entend investir dans un local, des travaux… De quoi bien se remplir les poches, grimacé-je. Eh bien… on dirait qu’on a le début d’un piège organisé et fourbe.

— Oui et si vous en êtes d’accord, je vais essayer de récupérer les éléments de la police auprès de Jérôme pour l’étudier et voir vos dossiers et les endroits où il y a des soucis. Je ne suis pas spécialisé dans les enquêtes financières, mais je vais faire mon maximum.
Je crois que je pourrais me mettre à pleurer, à cet instant. Avoir enfin son soutien me fait un bien fou, même si une petite voix me dit que peut-être il doute encore et veut avoir la preuve par A+B qu’il ne s’agit pas de moi… Mais j’ai envie d’y croire, j’ai besoin d’y croire.

— Fais ce que tu veux et juge utile. Je veux juste que tout ça se termine au plus vite…

— Ça va prendre un peu de temps, je pense. En attendant, il va falloir être patients. Et m’aider pour la coincer une fois qu’elle aura mordu à l’hameçon.

— Pas de problème, intervient Yoann en se levant. Je vais vous laisser et rentrer me coucher… Content de voir que vous avez retrouvé la raison, Monsieur Belle Breizh. Maeva, dors un peu et détends-toi, ça va aller maintenant.

J’acquiesce et me lève pour le prendre dans mes bras. Je suis une boule d’émotivité, ces derniers jours, et son soutien m’a été précieux, autant professionnellement que personnellement parlant, alors ça me vient tout naturellement et il répond à mon étreinte avec retenue.

Allan passe son bras autour de mes épaules lorsque Yoann descend les quelques marches qui mènent à sa voiture, et je me blottis contre lui en soupirant. Je n’ai plus envie de réfléchir à Belle Breizh, à Gaëlle, aux doutes de mon mari, à cette guerre froide. J’ai juste envie de monter, de me glisser sous les draps et de me lover tout contre lui.

— On va se coucher ? demandé-je finalement.

Allan acquiesce alors que je ferme la porte à clé, passe au salon éteindre la télévision qui tournait dans le vide et me rejoint dans la salle de bain, où nous nous regardons dans le miroir en nous brossant les dents. Pour la première fois depuis cette journée pourrie où j’ai fini au poste et où Allan m’a soupçonnée d’être coupable, je me dis que je devrais passer une bonne nuit de sommeil, et l’idée de me glisser dans ces draps, en sa compagnie, ne me broie pas le coeur. Je lui pardonne peut-être trop facilement après ce qu’il s’est passé, mais j’écoute mon coeur et je sais qu’il a raison. Aussi, quand nous nous tournons l’un vers l’autre à la lueur de la lampe de chevet derrière moi, un sourire naît sur mes lèvres. Et mon petit cœur manque un battement lorsqu’il se redresse au-dessus de moi pour éteindre la lumière, avant de m’attirer dans ses bras avec autant de douceur que d’autorité. Son corps nu contre le mien, sa peau chaude au contact de la mienne, son souffle mentholé qui balaie mon visage avant que ses lèvres ne se posent longuement sur mon front… Je jure que tout mon être se détend et que j’ai l’impression de rentrer enfin à la maison.

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