68. Réponses aux questions d’un tailleur rose bonbon

8 minutes de lecture

Allan

Je reviens dans notre salon où Maeva est en grande discussion avec Nina qui a revêtu un tailleur rose bonbon que je ne lui avais jamais vu porter. Notre voisine a accepté de nous aider et va jouer le rôle de la gérante mystère pour ce rendez-vous avec Gaëlle obtenu suite à mon mail. C'est incroyable à quelle vitesse elle a répondu. En deux jours. Si Jérôme avait encore des doutes, ils se sont un peu plus dissipés face à cet empressement. Laissant Maeva faire son travail de coaching, j'appelle mon ex-collègue et le houspille directement.

— Bon, tu l'as, cet accord du juge ou pas ? Je te préviens, accord ou pas, j'envoie Nina avec les micros quoi qu'il arrive !

— Eh, respire un peu, mec. T’es gentil, mais j’ai du boulot plein le dos, moi, je fais ce que je peux. Et je l’ai, oui, soupire-t-il.

— Désolé si c'est moi qui fais avancer ton enquête ! m'emporté-je. Tu me remercieras quand tu auras toutes les preuves et que tu accuseras enfin la bonne personne.

Je raccroche, énervé, je n'ai plus aucune patience envers lui. Je pense que son attitude ces dernières semaines a mis fin à notre amitié et ça ne me rend même pas triste. C’est Maeva qui avait raison depuis le début, on dirait, sur ça comme sur beaucoup de choses, sûrement.

— C'est bon, Nina. On a l'accord du juge. La mission Tempête à Belle Breizh est officiellement lancée.

Le nom est ridicule, je sais, mais j'ai gardé mes vieux réflexes de flic et on aime bien dédramatiser les moments clés d'une enquête.

— Ok, eh bien… J’espère être prête, me répond-elle nerveusement.

— Bien sûr que tu l’es, tente de la rassurer Maeva. Tu ne peux pas faire de boulette tant que tu ne lui dis pas que tu as un micro, de toute façon.

— Il faut surtout que tu lui fasses comprendre que tu as plein de sous et que tu es prête à l'investir. Remarque, vu la couleur de ton tailleur, elle ne devrait pas avoir beaucoup de doute sur le fait que tu es un peu particulière !

— Un problème avec mon tailleur ? s’affole-t-elle alors que ma femme lève les yeux au ciel.

— Non aucun. Demain, j'achète le même à Maeva et je vais dévorer ce joli bonbon. En plus, je suis sûr que ça lui ferait un cul d'enfer ! rigolé-je alors que ma femme se lève et pose un index accusateur sur mon torse.

— Arrête ça, elle est déjà hyper stressée. Et lâche l’affaire, je ne jouerai pas le bonbon, le rose ne me va pas au teint.

— Et à la sucette, tu joueras ? demandé-je, taquin, faisant pouffer Nina.

— Très drôle, Beau Gosse, et pour le coup, c’est assez tentant si c’est toi qui me manges, chuchote-t-elle.

Purée, elle est trop forte. Me voilà à nouveau tout excité et en même temps privé de mots. Je lui vole un baiser alors que Nina se dirige déjà vers la porte.

— N'oublie pas, on est littéralement avec toi. Et peut-être qu'elle ne lâchera rien cette fois-ci. Il faudra alors un deuxième rendez-vous, ce n’est pas grave. Merci en tout cas, Nina.

— Y a pas de quoi. Si je m’en sors vivante, vous me devrez un sacré dîner ! plaisante-t-elle.

— Tu auras le droit à tous les nouveaux produits en avant première ! Je suis sûr que Maeva pourra au moins faire ça, n'est-ce pas, Chérie.

— Bien sûr ! Minimum syndical. Et toute ma reconnaissance. Je t’en dois une, Nina. Que ça aboutisse à quelque chose ou pas, je ne l’oublierai pas.

Nous la regardons monter dans sa voiture et la suivons du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse au bout de notre allée, puis nous rentrons et Maeva me suit jusqu’au bureau où j’ai installé le matériel nécessaire à notre entreprise d’espionnage. Il y a un petit haut-parleur connecté à l’ordinateur, ce qui nous permet d’entendre en direct tout ce qui se dit dans le micro de Nina. Par ailleurs, l’ordinateur enregistre tout sur un dossier que l’on pourra utiliser dans un procès si les choses en arrivent là. Pour l’instant, nous entendons du hip hop depuis la voiture de Nina et je m’amuse à faire quelques mouvements de déhanchés pour détendre un peu l’atmosphère. Maeva sourit, mais sans enthousiasme. J’essaie vraiment de la soutenir et de dédramatiser l’instant, mais je n’y arrive que partiellement. Il faut dire que le moment va être décisif. Soit Gaëlle, sa partenaire depuis le début, se révèle être une escroc et la trahison sera terrible, soit elle est clean et le mystère reste entier. Je ne sais pas ce qu’elle préfère.

Nous patientons en silence, en écoutant tous les bruits qui proviennent des micros de Nina, main dans la main. Lorsque la secrétaire la fait entrer dans le bureau de Gaëlle, Maeva se tend contre moi et je serre fort ses doigts entre les miens. Après une séance classique de présentation, les échanges finissent enfin par arriver à la partie financière, amenée bien entendu par Gaëlle.

— Bien, maintenant que les choses sont plus claires pour vous, j’aimerais en venir aux questions d’argent. C’est le nerf de la guerre, n’est-ce pas ? Dans votre demande, vous avez évoqué des capacités d’investissements et de financements. Pourriez-vous m’en dire un peu plus ?

— Disons que j’ai largement les moyens pour investir dans l’achat d’un local et dans les travaux, en partenariat avec votre entreprise. J’ai hérité de mon grand-père il y a quelques mois et vendu plusieurs de ses pied-à-terre. J’adore votre marque, et travailler en collaboration avec vous me fait tellement envie que je suis prête à faire ce qu’il faut pour que ça se fasse.

— Elle est forte, chuchoté-je à ma femme comme si Gaëlle pouvait nous entendre.

Elle se contente d’acquiescer et me fait signe de me taire alors que Gaëlle en arrive aux questions un peu plus précises.

— Tout ça me semble très bien. Il faut que je valide les choses avec ma partenaire et notre nouvel associé, mais on devrait pouvoir s’entendre. Nous sommes toujours à la recherche de nouveaux talents, surtout s’ils peuvent participer financièrement. Vous accepteriez d’être sous statut franchisé ? Cela voudrait dire que vous payez pour avoir notre nom, bénéficier de notre communication et de nos innovations mais que le magasin est à vous et que vous êtes la seule à en assumer le risque. C’est ce que choisissent la plupart de nos gérants. Qu’en pensez-vous ?

— J’imagine que si vous me proposez ceci, c’est que vous êtes d’autant plus gagnants de votre côté, lui répond Nina. Est-ce que c’est réellement avantageux pour moi ? Je veux dire, en dehors de pouvoir décider de tout ou presque, aurais-je votre soutien en cas de problème ? Et votre part des bénéfices est-elle moins élevée, de ce fait ?

— Alors, oui. On ne prend que 15% des bénéfices. Enfin, ça, c’est avant de reverser une partie dans les produits que l’on vous envoie gratuitement. Et il y a un droit d’entrée à verser. Juste une fois, la même chose pour tous les nouveaux franchisés. Alors, c’est plus que sur le contrat que je vous ai montré, mais avec notre succès, on a augmenté nos tarifs. Maintenant, c’est 25 000 euros. J’espère que cela vous convient ?

— 25 000 ? Eh bien… J’imagine que vu votre enseigne, ça doit être un bon investissement, rétorque Nina alors que Maeva broie littéralement ma main dans la sienne. En ce qui concerne le magasin, est-ce que j’ai la charge totale de l’achat et des travaux ?

— Ah, on peut vous aider pour ça, bien sûr. On a l’habitude. Mais là, si je peux vous donner un conseil, continue Gaëlle en baissant un peu la voix, c’est moi qui ai supervisé les dernières installations et je peux vous faire un prix pour cette aide à 30% en dessous de ce que Belle Breizh propose. En liquide, sans taxe. Je peux bien vous faire ça, vu que vous m’êtes sympathique.

— Putain, souffle Maeva, mais qu’est-ce qu’elle raconte ?

— Oh ! Eh bien… Je ne sais pas, poursuit Nina. Sans taxe, c’est légal, ça ? Je ne dis pas non à des économies, hein, bien évidemment !

— Eh bien, si personne n’est au courant, ce n’est pas illégal. Et pour vous rassurer, je vous fais ça à 40% en dessous du tarif officiel. C’est vraiment pour vous aider, vous voyez ? D’ailleurs, si vous êtes vraiment intéressée et que vous avez votre carnet de chèques, vous pouvez dès à présent faire un premier paiement pour sécuriser votre emplacement et le fait qu’on ne va pas traiter avec quelqu’un d’autre dans votre ville. Je peux aussi vous faire un reçu si vous préférez payer en liquide. A moins que vous n’ayez besoin de temps pour réfléchir ? Tout est possible, vous savez. On s’occupe bien de nos gérants à Belle Breizh. Quand j’ai fondé l’entreprise avec Maeva, c’était vraiment notre préoccupation première. Une gérante heureuse est une gérante qui sera l’ambassadrice de la marque !

— Je n’ai pas pris de billet retour pour rentrer, je vais rester quelques jours ici. Est-ce que vous pouvez me laisser vingt-quatre heures de réflexion et m’accorder un moment demain ?

— Bien entendu ! Aucun souci ! Tenez, voici quelques brochures et documents sur l’entreprise. Il y a aussi notre rapport annuel. Ne faites pas attention aux chiffres, comme je vous l’ai dit, Maeva a décidé de les augmenter, même si on n’a pas remis à jour les documents. Je n’étais pas forcément d’accord, mais bon, il faut bien que nous rentrions dans nos frais. A demain, alors ! conclut-elle d’un ton enjoué.

— Et elle me colle tout sur le dos en plus, cette… Ah, je vais la tuer ! s’emporte Maeva. Tu te rends compte que si je ne tombe pas pour malversation, je finis en taule pour meurtre, hein ?

— Calme-toi, dis-je en coupant l’enregistrement. Je crois que tu n’auras pas l’occasion de la tuer. Avec tout ça, si la police ne l’interpelle pas, je ne sais pas ce qu’on peut faire. Les chiffres qu’elle donne sont faux, non ?

— Bien sûr qu’ils sont faux ! Jamais nous n’avons fait payer un droit d’entrée aussi cher ! On ne demande même pas 10 000 euros ! Ce n’est pas en arnaquant le gens que je voulais faire grandir Belle Breizh et elle… Mon Dieu, tu l’entends tout me mettre sur le dos ? Avant même d’être ma partenaire, c’était mon amie, qu’est-ce qui lui prend ?

— L’argent fait tourner les têtes, tu sais ? Ce qui est incroyable, c’est qu’elle sait que vous êtes au courant et elle continue quand même. Cela ne fait pas de sens… Je vais appeler Jérôme et lui donner toutes ces infos. Le juge doit les attendre de toute façon. Tu as d’autres éléments que je peux leur donner ?

— Ils ont tous les documents pour prouver que les chiffres sont faux… Je… je te laisse appeler ton collègue, j’ai besoin d’air. Merci, Allan…

Je la regarde sortir, les épaules affaissées et en traînant les pieds. Elle avait déjà de gros soupçons sur sa partenaire, mais là, avec les preuves, ce n’est pas pareil. Je crois que chaque phrase prononcée par son amie lui a fait mal. Je me dépêche d’appeler Jérôme pour l’informer de tout ce qu’on a appris et file retrouver Maeva. Je crois qu’elle va encore plus avoir besoin de moi maintenant qu’elle se sait trahie. Il va falloir que j’assure. Je n’ai plus le droit de ne pas être à la hauteur, je l’ai trop été ces derniers temps. Et il faut aussi que je la rassure. Espérons qu’elle me laisse jouer ce rôle à ses côtés. Après mes doutes, cela fait beaucoup à supporter pour elle. La pauvre.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0