69. Une actrice est bonne, l’autre non

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Maeva

Je m’installe dans la salle de réunion avec pas moins de dix minutes d’avance. De toute façon, je suis incapable de tenir en place depuis que je suis arrivée au bureau. J’oscille entre une colère froide qui me donne envie de débouler dans le bureau de Gaëlle pour lâcher les chiens, et un soulagement sans nom à l’idée que toute cette histoire se termine et que je sois officiellement blanchie. Je suis une réelle boule de nerfs, et c’est peu de le dire. Après avoir pleuré toute ma déception, crié ma rage et enterré cette amitié plus vieille que mon mariage, j’ai repris du poil de la bête en passant un moment en famille et en profitant de mon mari retrouvé. Oh, je n’oublie pas, c’est difficile de passer outre le fait qu’Allan ne m’a pas crue et m’a soupçonnée, mais je me fais violence, parce qu’il faut l’avouer : sans lui, hier, je pense que je me serais retrouvée plongée dans un océan d’émotions qui m’aurait sans doute engloutie. Pour être clair : après avoir déchargé en solitaire, je serais sans doute allée voir Gaëlle, elle aurait pris cher, et allez savoir ce que ça aurait donné…

Au lieu de ça, j’ai joué avec les enfants, préparé le dîner avec une Albane ravie de passer un moment avec moi, avant de m’endormir devant la télévision dans les bras d’Allan… et d’accumuler un taux d’ocytocine phénoménal durant le reste de la nuit. Il faut croire que la journée a débloqué quelque chose entre Allan et moi. Lui comme moi avons juste lâché prise, profité l’un de l’autre…

Repenser à cette nuit ne me calme pas vraiment, mais je ne suis plus en train de faire les cent pas dans mon bureau. Confortablement installée dans un fauteuil de la salle de réunion, je ferme les yeux, sourire aux lèvres, et ne peux m’empêcher de serrer les cuisses pour tenter de calmer un peu l’excitation qui s’empare de moi. Si le réveil a été difficile après de courtes périodes de sommeil durant la nuit, Allan et moi avons tout de même pris le temps de profiter d’un dernier round, et non des moindres. Allez savoir comment j’ai pu me retrouver tête-bêche alors que nous nous caressions tranquillement en nous embrassant… Toujours est-il que j’ai fini en retard au boulot, mais que je n’ai absolument aucun sentiment de culpabilité. Jouer avec Allan à qui fera perdre la tête à l’autre grâce à sa bouche est toujours une folle expérience.

Je dois rougir comme une tomate quand j’ouvre brusquement les yeux pour tomber sur le regard de Yoann qui s’installe à mes côtés. J’ai chaud, je suis excitée, et je crève d’envie de rentrer à la maison, maintenant. Allan a toujours eu le don de parvenir à me couper du monde et à calmer mon cerveau en ébullition. Il est capable de faire disparaître le monde qui nous entoure, même à distance, semble-t-il.

— Prêt ? lui demandé-je après m’être raclé la gorge en me redressant. Tu l’as croisée, ce matin ?

— Je l’ai saluée mais j’ai joué à celui qui est occupé. Je… je n’aurais pas fait un bon joueur de poker, moi, tu sais ?

— Je comprends… J’ai fait mine d’être au téléphone quand elle est passée me dire bonjour… Je crois qu’elle m’aurait grillée rien qu’au ton de ma voix, sinon. J’ai encore du mal à réaliser, soupiré-je.

— Moi aussi. Elle avait l’air si investie…

— Crois-moi, elle était investie avant son congé maternité. Plus j’y pense et plus je me dis que son comportement des derniers mois était bizarre…

Yoann fronce les sourcils et s’apprête à répondre, mais la porte de la salle s’ouvre sur Gaëlle qui vient s’installer à son tour. Je réprime un frisson lorsqu’elle se pose à côté de moi… Je dois me retenir de la fusiller du regard, et ce serait le minimum de ce que je suis capable de faire, vu l’énervement qui reprend sa place dans tout mon corps.

— Je suis passée voir le service de comm, ce matin, attaqué-je d’entrée pour éviter tout flottement. Ils pensent qu’être totalement transparents par rapport à l’enquête nous permettra de limiter la casse, même si c’est déjà bien la merde. Ils sont en train de caler des interviews pour le début de semaine prochaine.

— On va vraiment mettre ça sur la place publique ? s’interroge Gaëlle. On risque d’avoir des soucis sur nos ventes et ça ne va pas arranger nos affaires.

— Les soucis sont déjà bien présents. Heureusement, certains semblent encore décidés à nous suivre. J’ai eu plusieurs mails de certaines de nos franchises nous assurant de leur soutien. Une fois que le ver sera sorti de la pomme, on va rebondir, j’en suis sûre. Oh, au fait, j’ai eu un appel, ce matin, d’une certaine Madame Chambord qui cherchait à te joindre, Gaëlle.

— Ah oui ? C’est une possible future gérante, je dois la recontacter pour réfléchir à l’ouverture d’un nouveau magasin. Je ne sais pas si elle est vraiment intéressée, je vous tiendrai au courant.

— Elle m’a expliqué que vous vous êtes rencontrées à ce propos, oui. Je lui ai suggéré de venir ce matin puisqu’elle est dans le coin, continué-je en décrochant le téléphone fixe. C’est Maeva. Vous pouvez faire monter Madame Chambord ? Merci.

Je ne peux m’empêcher de jeter un regard en direction de Gaëlle, dont le visage est plus crispé qu’à l’ordinaire. Je pourrais presque en rire tant je suis satisfaite de la voir enfin s’inquiéter.

— Ah, je vais peut-être vous laisser alors. Je l’ai déjà vue hier, ça ne sert à rien de recommencer, indique ma partenaire en se levant déjà.

— Oh non, tu restes, lui rétorqué-je froidement avant de me mordre la langue pour m’obliger à me taire.

Nina fait son entrée alors que Yoann allait à son tour prendre la parole, et elle vient nous serrer la main avant de s’asseoir à son tour.

— Nous sommes ravis de vous rencontrer, Madame, et nous vous remercions de l’intérêt que vous portez à Belle Breizh en cette période difficile, énonce Yoann, le sourire aux lèvres. Qu’avez-vous pensé de la proposition de Gaëlle ?

— Honnêtement, je trouve qu’avec ces difficultés dont on parle dans les médias, vous demandez beaucoup d’argent. 25 000 euros pour les frais d’entrée, ça fait beaucoup. J’aime beaucoup la marque, mais ça me bloque un peu.

— 25 000 ? s’étonne Yoann. Il doit y avoir une erreur. Gaëlle, tu lui as bien fourni les documents habituels ?

— Oui, oui, j’ai donné les documents, bien entendu. Madame a dû se tromper quelque part.

— Mais non ! s’indigne Nina qui joue parfaitement son rôle. Vous m’avez même dit que les documents n’étaient pas à jour ! Je ne suis pas bête, non plus !

— Vous m’avez mal comprise, alors, s’affole celle que je considérais comme mon amie. Il n’a jamais été question de 25 000 euros, voyons ! Cette femme ne sait pas ce qu’elle dit, ajoute-t-elle en se tournant vers nous.

— Je ne te pensais pas aussi bonne menteuse, soupiré-je en me tournant vers elle. Et la proposition de paiement en liquide, ça aussi c’est une incompréhension ?

— Je… De quoi tu parles ? On ne fait pas de liquide… Je… C’est quoi cette histoire ? s’écrie-t-elle en tournant la tête de droite à gauche, comme si elle cherchait une voie de sortie.

— Ce sont tes propres mots, si mes souvenirs sont bons. Un petit secret… Sans parler des augmentations qui sont de mon fait. Première nouvelle !

— Mais, ce n’est pas ce que tu crois, tente-t-elle avant de s’arrêter et d’éclater en sanglots.

Je pourrais m’attendrir de la voir dans cet état, à cet instant. J’ai toujours détesté voir les gens pleurer, surtout mes proches. Sauf qu’elle ne le mérite pas. Des mois à faire n’importe quoi, à nous voler, alors qu’elle ne se gênait pas pour me reprocher de parfois privilégier ma famille à l’entreprise. Non, elle ne mérite certainement pas ma compassion.

— Ce que je crois ? Il n’est pas question de croyances, là. Juste de preuves que tu nous voles. Que tu escroques des gens, que tu nous as foutus dans la merde. Que tu m’as trahie. Tu peux chialer, franchement, tu n’as aucune excuse et je ne compte pas être compatissante.

— Mais je n’avais pas le choix, pleurniche-t-elle en se prenant la tête entre les mains avant de se mettre à hoqueter.

— On a toujours le choix, arrête, grimacé-je, déjà fatiguée de l’écouter.

— Tout ce que j’ai fait, c’est pour Lison… Ma pauvre fille… Son père s’est barré avec une collègue et nous a abandonnés. Je dois assumer tous les frais et je n’y arrive pas… Je… je sais que je n’aurais pas dû faire ça à Belle Breizh mais l’entreprise a les reins solides alors que moi, je pourrais me retrouver à la rue ! Et perdre ma fille… Je… je suis désolée, Maeva…

Pendant quelques secondes, je compatis. Sincèrement. Je ne savais pas du tout dans quelle situation elle se trouvait, évidemment, sinon…

— Il te suffisait de m’en parler. Jamais je ne t’aurais laissée dans la galère. A la place, tu as préféré mentir et voler, bon sang, Gaëlle !

— Oui, moi aussi, j’aurais aidé ! renchérit Yoann. C’est honteux de faire ça à cette belle entreprise. Tu aurais fait quoi si on avait dû tout fermer ?

— Je n’ai pas vu d’autres alternatives, marmonne Gaëlle entre deux sanglots. Je… Ne m’en voulez pas…

— C’est trop tard pour ça, tu as foutu la merde dans l’entreprise et dans nos vies. Je pensais que nous étions amies et tu m’as poignardée sans hésitation, soupiré-je en allant ouvrir la porte de la salle de réunion derrière laquelle se trouve Jérôme et deux collègues à lui. Messieurs… faites ce que vous avez à faire, la voie est libre. Merci d’avoir attendu quelques minutes, c’est bien aimable de votre part.

Je les laisse entrer et sors déjà de la pièce après avoir fait signe à Nina de me rejoindre. Je n’ai aucune envie de voir Gaëlle se faire embarquer. J’avais besoin de la confronter, de savoir pourquoi, maintenant j’ai juste envie de m’éloigner de tout ça, de rétablir la vérité et de tourner la page, d’avancer, de relancer la marque… Il faut que je me focalise sur la suite et non que je ressasse.

Je sors malgré tout mon téléphone et envoie un message à Allan pour l’informer de ce qu’il s’est passé ce matin, parce que, lorsque je rentrerai ce soir à la maison, je ne veux pas parler du boulot, pas de Gaëlle, pas des flics.

Coucou. Gaëlle a craché la vérité. Son abruti de mari s’est barré, elle avait besoin d’argent. Bref, plutôt que de venir nous voir, elle a fait n’importe quoi. Merci pour ton aide… Sans toi, ça aurait sans doute traîné davantage. A ce soir, Chéri. Je t’aime.

Yoann nous rejoint finalement dans mon bureau et nous décidons d’aller déjeuner tous les trois à l’extérieur, histoire de clore le sujet, ou du moins de décharger. Je ne saurais dire combien de fois je remercie Nina pour son intervention, et nous lui suggérons même de tenter des castings pour des films ou des séries, ce qui a au moins le mérite de détendre l’atmosphère. La chape de plomb sur mes épaules a perdu en poids, je respire mieux, mais je constate surtout que mon cocon familial me manque, que j’ai besoin de me ressourcer en famille parce que cette histoire m’a épuisée. Je sais que ce n’est pas le moment de prendre des congés si nous ne voulons pas plonger, mais je me promets de faire des horaires raisonnables pour pouvoir respirer auprès des miens et leur accorder l’attention qu’ils méritent. Fini de se tuer à la tâche.

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