24 janvier, Argentan.
Marie met le contact et nous partons mollement en marche arrière. Le pot d’échappement crache un bon bol d’oxydes d’azote et de gaz carbonique, alléchantes molécules que je respire par la fenêtre ouverte. Il fait froid mais j’ai le cœur léger. Loin derrière, dans le rétroviseur de ma mémoire : Caen, ville où j’ai poussé mon premier cri, où mes poumons se sont douloureusement gonflés d’oxygène, ville où je ne suis jamais retourné depuis. C’est tout près de cet endroit-mère que je débute étrangement mon voyage avec Marie. Sensation de voir le jour, de sortir à nouveau du placenta. Nous partons visiter le monde, nous marchons dans les pas de nos rêves.
Au bout d’une départementale, un panneau bleu signale une autoroute en direction de Paris. Nous ne prendrons pas cette sortie. Marie et moi vivions dans le dix-neuvième arrondissement il n’y a pas deux mois de cela. Une vie bien comme il faut, sans heurt, et deux boulots très stables et très insignifiants. Une ligne de métro qui pourrait nous emmener à dix ans plus tard, à la station non-sens. Paris : nous étions malades en ton sein, je veux dire nauséeux, englués dans ta boue citadine, dans ta merde assaillie par des millions de mouches humanoïdes. Suivant les bons préceptes du médecin, nous avons décidé de changer d’air, de partir loin, comme un petit duo d’oiseaux migrateurs.
Nous roulons maintenant à bonne allure en direction du sud. Dehors, au fin fond du pays normand, les lacs sont complètement gelés, les forêts sont denses, on dirait le Québec à la morte-saison. Au début d’un grand voyage, on a tendance à voir du loin partout.
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