13 février, Cinque Terre, Monterosso al Mare
Je n’ai nullement l’intention de consigner dans ce carnet les chiffres attestant de l’étendue de la crise écologique actuelle. Mais j’ai pu lire à de nombreuses reprises, en des termes plus scientifiques, que la terre avait de très grandes chances de devenir une fournaise avant la fin de ce siècle, et c’est la seule information que je retiens. Attention cependant, dès lors qu’on prête une oreille attentive à cette information, il n’y a plus de retour en arrière possible, elle vous hante à longueur de nuits, elle vous suit partout comme chewing-gum collé à la chaussure, et vous vous dites en faisant les yeux ronds, la gueule ouverte en repensant à la mort qui seule vous effrayait déjà : putain, mais c’est toute l’humanité qui va crever !
De toute façon, les prévisions, si fiables soient-elles, n’ont pas de prise sur les humains. Les scientifiques ont fréquemment rapporté les innombrables preuves du réchauffement climatique, ils en ont patiemment fixé les causes et les effets, ils ont diligemment proposé les solutions pour endiguer le phénomène. Les artistes ont peint la fin du monde en noir et blanc, en couleur, ou l’ont racontée dans des intrigues invraisemblables, ou l’ont filmée vue du ciel, en haute définition, dans des images à couper le souffle. Certains d’entre nous, de plus en plus nombreux, se sont indignés devant ces rapports, ces œuvres d’art, ces documentaires édifiants. Mais qu’avons-nous fait depuis pour notre espèce ? Pas grand-chose, et nous laissons nos dirigeants nous entraîner vers un monde invivable, irrespirable, intolérable, un monde de merde.
Pour agir à grande échelle, les hommes auraient probablement besoin d’une catastrophe épouvantable, avec un nombre effrayant de morts, et si possible en Occident. En attendant, les prévisions scientifiques n’ont pour nous pas de chair, elles sont désincarnées, trop numérales et trop déconnectées du temps présent. Les experts ne feraient pas même bouger le petit doigt des Français s’ils proclamaient que leurs pinards, dans quelques décennies, ne viendraient plus de la Bourgogne ou du Bordelais mais du sud de l’Angleterre ou de la Norvège… C’est peu dire que nous sommes foutus. N’était ce petit coin de verdure que vient de nous trouver Marie pour déjeuner, en haut d’un promontoire offrant la plus belle vue des Cinq Terres, je dirais que nous vivons déjà dans un monde de merde.
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