Vers midi, dans un état de fatigue avancé, nous tentons de parcourir les cent vingt kilomètres qui nous séparent de Kalamata. Je conduis, mais supplie Marie de ne pas s’endormir à côté. Solidarité dans l’épreuve, et pour faire front, Marie cherche un podcast amusant qui ne sollicite aucunement les neurones. Raté, ce sera France Culture. Et comme nous manquons cruellement d’énergie, Marie propose une émission sur les énergies fossiles. Je dis oui ! J’écoute un mot sur quatre, et Marie s’endort au bout de dix minutes. Nouvel invité qui rappelle néanmoins ce chiffre édifiant : 100 grandes entreprises, essentiellement extractrices d’énergies fossiles – pétrole, charbon et gaz naturel – sont à l’origine de 71% des émissions de gaz à effet de serre entre 1988 et 2016. Mais je baisse rapidement le son car le fourgon n’a plus beaucoup d’essence et je n’ai d’ailleurs pas suffisamment d’énergie pour m’indigner convenablement. À l’entrée de Kalamata, je m’arrête à la première station-service, et Marie se réveille comme une fleur. Full tank please.

Les marinas constituent d’excellents havres pour les camping-caristes : on y trouve de l’électricité, de l’eau potable et des toilettes, avec en fond les remous de la mer qui vous bercent… Le soir, face au port de plaisance, en dégustant quelques olives noires, je repense à ce chiffre hallucinant – 100 multinationales, 71% – et je sens bien que des insultes essaient de frayer un chemin jusqu’à ma bouche, alors je nettoie ma langue et souffle un bon coup. J’ai la mer devant mes yeux, j’ai la mer bientôt dans mes yeux, la marée monte en moins de rien, ma garde s’abaisse et je me noie dans le sommeil. C’est tout noir, et je vais dormir comme un loir ; dans le fourgon, Marie ne m’a pas attendu pour imiter ledit rongeur.