Circulez, rien à voir. Cette ancienne grande cité militarisée, peu encline aux sciences et aux arts, n’aura rien laissé derrière elle, ou si peu. Pire, elle est devenue rétrospectivement l’exemple même de ce qu’un bon État fasciste doit être : idéologie guerrière et nationaliste, embrigadement de la jeunesse, formation d’une armée disciplinée, fonctionnement en vase clos. Adoubée par Adolf Hitler en personne, la cité de Sparte est aujourd’hui récupérée par des groupuscules identitaires en tant qu’ancienne armée de défense contre l’invasion de barbares étrangers.

À tort ou à raison, Sparte a donc mauvaise presse et n’obtiendra jamais le prestige de sa grande rivale athénienne, qu’elle a pourtant battu sur le champ de bataille. Les livres d’histoire n’ont cure des bonnes excuses, ils se souviennent uniquement des âges d’or et des âges sombres, en simplifiant parfois les choses à l’extrême. Un vainqueur, un perdant. Une cité militariste, une autre incarnant la culture et la démocratie.

Gardons-nous bien toutefois de nous montrer trop tôt supérieurs à Sparte. Aujourd’hui, les mouvements populistes ont le vent en poupe en Europe, avec en idée-phare la volonté de se barricader, de renforcer la police aux frontières, de vivre en autarcie. Mais si l’actuelle « crise » migratoire aiguise les sentiments nationalistes, qu’en sera-t-il dans plusieurs décennies, quand tenteront de s’infiltrer fort légitimement des dizaines de millions de réfugiés climatiques ?

Quelle empreinte allons-nous laisser dans les livres d’histoire ? Quel aspect de notre civilisation sera jugé le plus marquant, le plus représentatif de ce qu’elle était vraiment dans sa chair, avant qu’elle ne s’effondre entièrement ? Nul ne le sait, mais soyons doublement vigilants : un malentendu est si vite arrivé, comme les jugements rendus, si rapidement définitifs.