21 avril, Tsagarada.
Sur les conseils d’Anastasia, à qui Marie avait confié son intérêt pour la céramique, nous rencontrons Litsa dans le fin fond de la péninsule du Pélion. Avenante, Litsa nous accueille à grand renfort de loukoums, et nous propose aussitôt des bières Mythos (la Kronenbourg locale) afin de célébrer l’arrivage de Français dans sa galerie de céramiques. Fête ! Il faut dire qu’elle expose dans un endroit paumé, mal desservi par une route étroite et sinueuse, en haut d’un mont boisé qui commande à la mer Égée… Aux murs de sa galerie, des tableaux tantôt cubistes et tantôt naïfs (tous peints par son mari, Dimitris) ; désarticulés, les personnages ont tendance à se serrer très fort dans la nuit ; Marie les trouve lubriques, moi je les trouve câlins. Disséminées sur les premières étagères, les petites céramiques de Litsa n’évoquent rien de pareil ; les tons sont chauds, les traits moins anguleux, tout est rond, pur, délicat. Parfois, la céramique est si fine qu’on dirait un pétale. Admiratrice, Marie me dit que ça fait comme de la pâte feuilletée ; tandis qu’au fond de la galerie, la matière devient brute, épaisse, couleur d’ocre, on pourrait croire à de la pâte brisée. Comparaisons culinaires qui me font dire que nous avons mangé trop de loukoums.
En milieu d’après-midi, Litsa prend Marie sous sa coupe afin de lui montrer les rudiments de son art. Je participe également à l’atelier, dont le but est de fabriquer depuis le néant – de l’argile – un petit bol. Afin de bien lever la matière et de lui faire prendre une forme ovale à peu près convenable, on doit masser la terre – selon les mots de Litsa – avec les pouces, inlassablement, jusqu’à sentir le col du futur bol s’élargir. Mais la répétition du geste est lassante ; en sorte qu’après vingt minutes, voyant que mon prétendu bol ressemble encore et toujours à une crêpe, j’abandonne. Je ne comprends pas d’où Marie tire autant de patience pour faire de la céramique avec autant de plaisir ; elle ne comprend pas non plus comment je trouve la patience pour tenir un tel carnet de voyage ; un point partout, la balle au centre.
Me désintéressant de l’atelier céramique, je sympathise avec Georgia qui vient de nous rejoindre à l’instant. Dans sa main, déjà, la fraîcheur d’une bière Mythos. Litsa et Georgia sont amies depuis quarante ans (toutes les deux sont sexagénaires). Au bout d’une heure, j’apprends que Georgia est pneumologue, et mes yeux se mettent à briller, pareils à l’effet des émaux sur la céramique. C’est que je recherche en vain, depuis Naples, un pneumologue afin de me guérir d’une bronchite asthmatiforme increvable, et qui se réveille à chaque fois que je me promène dans une ville polluée. J’ai tout essayé – pharmaciens, médecins de garde, auscultation dans les couloirs d’un hôpital : ma toux demeure grasse et ma respiration sifflante. Je n’ose réclamer trop vite un rendez-vous à Georgia ; mais voyant bien que cela me tranquilliserait pour la suite de notre voyage, elle me devance avec gentillesse et me propose une consultation le lendemain midi, à Vólos, pendant son temps de pause. Je ne sais comment la remercier, mais je le tente en grec, en massacrant comme d’habitude la prononciation.
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