12 juin, Troie.
Déjà près de cinq mois que nous voyageons. Mes cheveux poussent en conséquence, ils commencent à ne plus ressembler à rien ; Marie dit que ma barbe a l’air d’une forêt, qu’elle y construirait bien sa cabane. Déjà près de cinq mois que nous cavalons par voies et chemins. Le bon temps passe vite, et nous passons semblablement d’une ville à l’autre, en donnant parfois trop d’allure à Bucéphale – tout passe décidément trop vite en regardant par la fenêtre : les gens, les rues, les paysages. Le voyage est une chute, et nous avons appris à lâcher prise, à tomber dans ce précipice étranger. Ne plus rien craindre, et précipiter sa fuite en avant : c’est par ce leitmotiv que nous glissons vers de nouveaux espaces, animés par une faim de tout, de découvrir ce qui se passe après, derrière la colline, au bout de tel village, aimantés comme Ulysse par une force irrésistible et cachée, ne voyant que les choses que nous ne voyons pas encore. Insatiable appétit de l’après. Comme à la chasse de l’horizon, qui recule à mesure qu’on avance. Ne pas seulement se repaître du monde au présent, mais se jeter dans la gueule du futur et rechercher constamment le mouvement, savoir quitter l’endroit qu’on a chéri pour foncer vers la prochaine étape : c’est à ce prix que l’on arrive à prendre au corps le voyage.
Ah oui, j’oubliais, les ruines de Troie sont un peu décevantes, et de fort petite taille au demeurant. Le Troie d’Homère est une extraordinaire promesse que ces pauvres vestiges ont oublié de tenir.
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