17 juin, Foça
Antique ville de Phocée. Chaleur, encore. Dans les cafés, tout est si lent que le temps s’est figé. Les mêmes hommes jouent depuis cinquante ans aux mêmes cartes. Affiches d’Atatürk, encore. Au coin de la rue, un hammam. À l’intérieur, un Mehmet. Fort, poilu, moustache. Soudaine et légitime inquiétude. Ça fait mal, un bain turc ? En slip de bain, je croise Mehmet en pagne blanc. La crevette et le golgoth. Et nous voici seuls dans la grande salle de sudation… Sous la coupole, sous le couvercle, en cuisson vapeur. Au centre, une dalle de pierre chaude. Autour, des vasques en marbre et des douches en enfilade. Comment communique-t-on ? Mehmet a sa technique : il prend par les épaules avec poigne. Allonge-toi là. Crêpe qu’on retourne. Relève-toi. Chien perdu qu’on met sous la douche. Reviens par-là. Parfois Mehmet disparaît derrière la vapeur épaisse, et réapparait comme dans un film d’horreur : bassine d’eau brûlante jetée sur le corps. Puis c’est l’heure du gommage. On gomme quoi ? Les cellules mortes. Attention, lézard hagard allongé sur la dalle, il perd sa peau par plaques. Nouvelle douche écossaise. Étourdissements suivis d’un rugueux massage au savon noir. Radicalité du métier. Les doigts de Mehmet exagèrent les pressions. Le voilà qu’il s’introduit dans mes oreilles. Je prends mon air de sainte-nitouche. À la fin, dernier rinçage à grands renforts de seaux d’eau tiède. La crue charrie les derniers fous rires… après quoi s’élèvent en moi des vagues de bien-être. Absolue douceur du bruit de l’eau qui s’évacue : ce sont nos impuretés qu’elle emporte avec elle. Impuretés de voyage. Au sortir du hammam, emmitouflement de la tête aux pieds dans des serviettes chaudes. On est momies. Momies droguées. Droguées d’alanguissement. Ce n’est plus vraiment le bien-être, on navigue en eaux troubles : est-on maintenant lovés dans les bras de l’extase ?
Dehors, soleil agressif et bruit des voitures. Et malgré tout, quelque chose comme la joie du corps qui persiste, encore.
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