29 juin
Cette fois, la nuit fut merveilleuse. D’abord, nous avons récupéré dans le fourgon notre grande moustiquaire, que nous avons dressée au-dessus du lit de la yourte, en la bordant sous le matelas. Ensuite, le tocsin du réveil n’a sonné qu’aux alentours de sept heures trente, sans qu’aucun communard ne vienne frapper à notre porte. Ce sont les petits riens qui font les grands réveils.
Le petit déjeuner, tortilla cuisinée par nos soins, se déguste en silence, et je ne ressens maintenant plus de gêne – est-ce ainsi que l’on s’intègre ici ? Ce serait minimiser grandement le poids du travail, et nous voilà bientôt désherbant de nouvelles parcelles, comme hier soir et comme hier matin. Le désherbage, une tâche à l’image de cette expérience au sein de la commune, où nous devons tenter de nous dépouiller de nos façons d’être et de penser acquises en société. Tâche ingrate et fastidieuse, qui se répète inlassablement dans le temps, jour après jour, si l’on veut favoriser le développement des cultures. Puis le soleil frappe, et nous rendons les armes – une faucille, une binette, un sarcloir. En file indienne, nous gravissons le jardin pentu, mais cette fois, nous n’irons pas sur la terrasse effeuiller le stock de lavandes : Özmen veut nous montrer comment fabriquer de la crème hydratante à base de millepertuis et de calendula. Avec tout ce soleil, nous en aurons bien besoin.
Fin d’après-midi moins torride, au cours de laquelle nous nous autorisons à faire une promenade, Olivia, Almina, Marie et moi. Seuls dans ce désert de verdure, seuls sur les chemins bordant les à-pics, seuls au milieu des lauriers-roses, enfin seuls pour parler de cette expérience hors du commun que nous vivons dans la commune. Olivia multiplie les adjectifs pour qualifier l’endroit : déroutant, rude, idyllique, extrême, enrichissant, simple et difficile à la fois… Pour Almina, étudiante en sociologie, l’expérience est proprement fascinante, comme une immersion totale chez des moines communistes. Marie leur demande si elles pourraient s’installer dans ce genre d’endroit. La réponse fuse : « No way ! », et nous nous sentons subitement moins seuls. C’est que la commune a ses limites, et nous avons les nôtres. Nous, produits d’une société que nous rejetons ; nous, têtards ayant sucé le sein d’une mère omnipotente, à la fois directive et reconnaissante ; nous, conditionnés jusqu’à la moelle, qui devons maintenant désapprendre afin de nous soustraire de ce système… Nous avons bel et bien nos limites. Marie dit que ce qu’il manque à la commune, en revanche, c’est le rire, la légèreté. Les communards sont beaucoup trop sérieux, trop tournés vers l’idéologie, trop peu vers la gaieté. Ce pourquoi je propose un amendement au règlement de la commune : « Quoi qu’il arrive, ne pas oublier que le rire est le meilleur liant de toute communauté. »
Après le dîner, sur la terrasse, Almina dirige une séance de yoga que suivent Olivia et Marie. Un nouveau woofer, Özgür, a ses écouteurs fichés dans les oreilles ; comme hier, il a la tête ailleurs, loin dans sa Cappadoce, il paraît déjà pressé de quitter la commune. Quant à moi, je suis plongé dans un bras de fer mental avec le soleil, que j’essaie désespérément de retenir afin de prolonger ce couchant magnifique. Je perds, comme d’habitude, et finis plus fatigué que mes trois camarades yogis.
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