1er août, Église de la Trinité de Guerguétie

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Nous passons la nuit sur un parking, à plus de 2000 mètres d’altitude. Peut-être le parking avec la vue la plus spectaculaire qu’il nous ait été donné de contempler. Un panorama pourtant bouché par le sale temps. Une brume épaisse, mélancolique, un paysage ombré par la nuée d’encre, enluminé par des rayons de pluie. Parfois, le rideau soudain s’ouvre, et des coulées de vert apparaissent, des pâturages tondus par des moutons plus lourds qu’ailleurs. Même la montagne est gorgée d’eau. Près de l’église, nous entendons le bruit ruisselant d’une fontaine d’où jaillit la traditionnelle source d’eau sacrée – Marie reviendra tout à l’heure avec le bidon de quinze litres. En bas, lové dans la vallée, le village de Stepantsminda, tout spongieux des derniers jours. Encore un peu plus bas, la route militaire géorgienne, par laquelle passaient les Russes pour conquérir le Sud-Caucase. Une route épousant le cours du Terek, ce fleuve étendu dans le fond de la gorge, enserré par les murailles de montagnes. Au bout, c’est la porte du Caucase, unique point d’entrée naturel à travers le massif monumental, et derrière, on bascule en Russie. Le couloir de la mort, un défilé glauque et pourtant terriblement romantique. On pourrait se marier dans ce coin, dans cette église, à la sauvette. Le vent glacé nous ramène aux fantômes des cosaques. On se figure le nombre de guerres dont le convoi de troupes nécessitait de franchir la porte du Caucase… On promène son regard, on distingue un trou de ciel bleu que vient chatouiller le sommet du mont Kazbek (5000 mètres d’altitude). Un bloc anthracite en forme de cône, un clocher pointu pareil à celui de notre église. Devant nous, le pope est plongé dans ses prières intimes, infinitésimal en regard des montagnes. À l’autre bout de la corniche, un couple pose, en smoking et robe de mariée. Le photographe mitraille, avec en toile de fond le pic du mont Kazbek. Leur mariage aura-t-il la même longévité que ces neiges éternelles ? Autour, il n’y a pas foule, et les animaux sont en paix ; les ânes et les chevaux broutent avec amour les prairies subalpines, les vaches sont ensevelies dans un demi-sommeil cotonneux, les chiens-loups se chamaillent dans un champ de fleurs sauvages… Nous assistons, perplexes, à ce torrent de beauté pastorale, une bulle de savon qui n’éclatera qu’avec le retour du soleil – s’il revient. En attendant, la petite église est bienheureuse, emmaillotée dans ce brouillard laineux, je crois qu’elle est devenue paysage. Ah ! Comme la chaleur et la lourdeur de l’Anatolie paraissent loin. Sous ce long ciel de traîne, on a les idées qui divaguent et qui gagnent en tendresse… Partout les bouquetins se cachent : ils sont timides… Marie, veux-tu ne pas-pas m’épouser ?

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