10 août, Chapelle de la Sainte Trinité, près de Gubino
L’intérieur de notre fourgon commence à montrer d’inquiétants signes de faiblesse. La pompe à eau fait le bruit d’une turbine ; le réservoir d’eaux grises fuit ; la gazinière s’éteint régulièrement sans qu’on sache pourquoi ; une porte de placard est brinquebalante et menace de nous tomber dessus… Plus dérangeant, le câble du chauffe-eau, trop petit pour supporter la puissance de l’appareil, devient de plus en plus chaud depuis plusieurs semaines. Le fusible a fatalement grillé, si bien qu’à force, la cosse électrique a fini par noircir. La conséquence est sans appel : on ne prend plus de douche, afin d’éviter l’incendie. Perdu pour perdu, Marie porte le même jogging depuis dix jours, et se laisse pousser les poils sous les bras. De mon côté, mes cheveux sont devenus gras comme un bloc de margarine, et je ne quitte plus mon sweat à capuche préféré. Nous devons simplifier nos besoins, les réduire à l’extrême, et cela nous procure, je dois dire, une satisfaction tacite au travers de laquelle nous cherchons nos limites (car nous pourrions tout aussi bien dormir à l’hôtel et nous y laver). Je me demande combien de temps va durer la mise à l’épreuve. J’imagine qu’à Moscou, par souci de correction vis-à-vis du grand monde, nous reviendrons à des ablutions plus serrées.
Mais Marie, partie en éclaireuse, revient justement de son expédition lancée depuis la chapelle de la Sainte Trinité, chapelle perdue dans les vastes campagnes russes, et près de laquelle nous passons la nuit. Elle affirme avoir trouvé, tout en bas d’un étrange corridor éclairé par les dorures des icônes, une eau de source, une eau tellement pure que les Russes ont décidé qu’elle serait sacrée, qu’il faudrait bâtir autour d’elle une espèce de baptistère. À l’intérieur, il paraît qu’on peut y faire ses saintes ablutions : trois marches, un bassin d’eau de source, et cette grande icône de la Vierge en hauteur. Oserons-nous détourner l’objet même de cette eau sanctifiée pour nous y laver de la tête aux pieds, sous le regard désapprobateur de la Vierge ? À la réflexion, Marie s’y oppose, et je suis d’accord avec elle : nous n’avons pas encore atteint nos limites.
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