C’est déjà l’heure de partir, il nous en coûte. Ce matin, nous avons eu droit à un pot de départ avec tout le staff, on nous a même offert quelques cadeaux. Dont deux ravissants petits sacs en tissu, fabriqués par les résidents. Maintenant, nous sommes tous réunis dans ce champ que j’ai l’impression d’avoir arpenté cent ans. Je ne me lasse pas de constater comment ces lieux de labeur s’installent en nous, de même qu’ils nous redeviennent étrangers, presque distants, sitôt que nous les quittons pour toujours. Ô paysage ancien que j’ai tenté de statufier dans ce carnet : tu manques à ma mémoire.

Le temps passe, et nous voilà déjà contraints de nous lancer dans la traditionnelle cérémonie des photos de groupe, avec Alina qui préside, et les biquettes en arrière-fond. Chaque pas que nous faisons nous rapproche un peu plus de Bucéphale… Toujours protocolaire, notre ami Radek se courbe et fait le baisemain à Marie – sans doute pense-t-il que c’est ainsi que les Français se disent au revoir au vingt-et-unième siècle. Cependant, il ne paraît pas savoir comment procéder dans le détail. De mon point de vue, il claque un gros bisou sur le poignet de Marie. Je lui tends la main pour qu’il me la serre, mais j’ai aussi droit au baisemain, quoique d’une façon plus hésitante, alors qu’il se rend probablement compte, en chemin, qu’un tel usage est réservé aux dames ; ne pouvant revenir en arrière, il finit par m’effleurer silencieusement la main du bout des lèvres. Un dernier serrement de cœur nous agite, au moment de quitter Patrycja, Jolanta et les autres…

On lève l’ancre – il pleut pour notre départ. À l’horizon, déchirure dans le ciel maussade, un rayon de soleil apparaît : c’est par là que nous irons, si j’en crois ma boussole détraquée.