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Dans le village de Claouey, les gens du coin se plaisaient à raconter à ceux de passage, cela arrivait à la haute saison, que la nécropole des Cabanasses qui se dressait sur la vaste dune à la sortie du village était hantée.

Sur toutes les lèvres se glissait une drôle d’histoire. En 1880, les hommes avaient bâti le cimetière. Mais, la chapelle était plus ancienne, érigée là au 17e siècle. Au saint jour de Pâques, la nuit, elle était baignée d’une étrange lueur blanche. On l’imputait au fantôme d’un ermite enterré plusieurs mètres sous la crypte.

Au bas de l’immense dune, le massif de pins s’étirait doucement. Quand les bourrasques hivernales butaient sur la forêt, elles meurtrissaient les aiguilles des arbres. C’est de là que les rafales prenaient de la vitesse. C’était le territoire sur lequel régnaient les sangliers. Une piste sableuse quittait la départementale et se terminait en cul-de-sac devant le presbytère.

Dans l’angle du mur sud de la nécropole se trouvaient les tombes les plus humbles. Elles tombaient en ruine. Les concessions funéraires libérées des ossements exhumés restaient, de manière curieuse, inoccupées. Elles entouraient la chapelle et les anciens continuaient à s’interroger sur ce mausolée, baptisé MS-025.

Il accueillait une crypte, et en son centre, une statue de la Sainte Vierge. La sculpture, taillée dans du basalte noir, s’érigeait dans la semi- pénombre, et pour peu que l’on s’attarde sur ses traits austères, elle vous pénétrait, vous accablant d’un sentiment d’effroi.

À l’intérieur du cimetière, la tranquillité du lieu était à peine troublée par les rares mises en bière. La dernière datait d’il y a douze ans. Une chaleur caniculaire régnait au milieu du bourg. Le nouveau prêtre de la paroisse, Hippolyte, était arrivé la veille. À peine avait-il rangé son aube et un calice de bois dont il ne se séparait jamais, que le maire l’avait informé d’un décès.

Le jour des funérailles, il guettait la venue des villageois depuis le haut du perron de l’église. Il trépignait d’impatience sous une chaleur écrasante.

Ça pour attendre, ce diable de boiteux avait fait le pied de grue jusqu’à ce que le vent de terre se lève. C’était, mademoiselle Hortense, une dame de quatre-vingt-dix ans. Elle était fort pieuse, mais bavarde comme une pie, aimable, mais elle mettait son nez partout. Les années lui avaient donné une sorte de prestige, ainsi n’hésitait-elle pas à critiquer toutes les décisions que prenait le maire. La piste cyclable ? L’argent jeté par les fenêtres. Le dragage de la passe ? L’envasement ne la gênait pas. L’agrandissement de l’école primaire ? De son temps, les gamins s’entassaient pêle-mêle jusqu’au préau qui servait de halle pour la foire aux vaches.

Enfin, la doyenne avait choisi de bien mourir. Elle avait cassé sa pipe, dans son lit, un sourire aux lèvres, trois jours avant la fête de la presqu’île du 1er août. Sûrement par pointe de moquerie.

À l’heure des obsèques, le vent charriait des nuages de vapeurs nauséabondes relâchées par la papeterie située de l’autre côté de la baie. La crinière de pins les ralentissait et les émanations de soufre s’immobilisaient au-dessus de l’église.

Le cortège de mademoiselle Hortense s’était ébranlé depuis la place du village. La chaleur était de plus en plus torride, et à chaque angle de rue, le nombre de paroissiens avait diminué. Les hommes s’étaient adonnés au rituel des bières fraiches à l’ombre des terrasses. Parvenu aux pieds des marches du lieu saint, l’équipage s’était figé. Pas une feuille ne bruissait. Les porteurs funéraires s’étaient regardés. Ils ne restaient que quelques dames qui chuchotaient entre elles et le foutu bâtard de mademoiselle Hortense qui fourrageait les poubelles du coin. Il avait trottiné au cul du cercueil.

Le long de la plage, les eaux étaient calmes et les embarcations au mouillage. Près de la claire naturelle qui abritait un grand chai, Joël triait ses huîtres. Un groupe de baigneurs, inquiet par les odeurs s’était présenté. Le parqueur, un brin malicieux, s’était empressé d’exagérer. Il leur avait murmuré des confidences à l’oreille, des choses dont les villageois s’interdisaient de parler. Cet homme d’ordinaire taiseux leur avait laissé croire que les senteurs de soufre venaient de la nécropole, que c’était le vent de terre qui les rabattait jusqu’ici.

Par la suite, les ouï-dire avaient gonflé, se déformant en tombes d’où s’échappaient des volutes blanches, sûrement l’âme des défunts. Ou quelque chose du genre.

Voilà à peu près tout ce qu’il se racontait sur le cimetière.

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