Chapitre 4

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- Entrez.

La voix du roi était grave et austère. Bien qu’il s’agisse de son père, Idri avait la gorge serrée. Le roi était assis à son bureau, penché sur ses livres de comptes, annotant une colonne par ci, une ligne par la, le visage soucieux et le sourcil froncé. Il leva légèrement la tête :

- Ah, c’est toi, dit-il, soulagé. Je t’ai fait venir car je vais bientôt faire certaines annonces. Je voulais t’en informer en premier, tu es le principal concerné et aussi t’en expliquer les raisons. Comme tu le sais, dit le roi d’un ton ennuyé, mon règne est de plus en plus contesté. Nous avons épuisé presque toutes nos ressources depuis la révolte des anges. Le peuple attend des décisions qui me déplaisent. Je souhaite plus que tout que ce soit toi qui me succède mais le temps nous est compté. Si nous n’agissons pas maintenant, d’autres que toi prendront ma place. Et ce ne sera pas pour le meilleur, ajouta-t-il dans un soupir. Je ne vais pas te le cacher, mes observateurs ont noté que le peuple ne te fait pas totalement confiance. Tu es jeune, ils doutent de ta capacité à diriger. Si nous voulons avoir une chance de résister, il nous faut renforcer ta crédibilité. C’est pourquoi j’ai pris une grande décision te concernant, et crois bien que j’aurais préféré qu’il en soit autrement.

Le roi fit une pause puis la sentence tomba comme un couperet:

- Tu vas donc te marier.

Idri resta pétrifié de stupeur, abasourdi par ce qu’il venait d’entendre.

- Elle s’appelle Meera. C’est la fille du gouverneur des îles du Sud. Avec ce mariage, son père s’engage à nous fournir des ressources supplémentaires et des hommes pour travailler à la carrière. Je suis bien conscient que c’est un sacrifice, mais il est nécessaire pour notre survie et celle de notre royaume.

Idri déglutit avec difficulté, voyant ses rêves de liberté s’envoler avec la nouvelle destinée que son père venait de lui imposer. Son côté raisonnable savait bien que son père avait raison, il n’était pas naïf sur l’état du royaume, mais il n’avait jamais pensé à cette alternative. Et de l’autre, sa soif de liberté lui hurlait de se révolter et de ne pas subir ce choix qu’on avait fait pour lui. Mais Idri était plus sensé que rebelle. La peur de s’opposer à son père et de le décevoir, lui qui était sa seule famille, était plus forte que la peur de se marier. Alors, il ne dit rien, hocha la tête et souffla:

- Je le ferai, Père, pour nous et notre royaume.

- C’est bien fils, je n’en attendais pas moins de toi, conclut son père d’un ton satisfait, teinté néanmoins d’une petite amertume.

Il se leva et lui posa la main sur l’épaule:

- Etre roi demande d’être fidèle à son pays et à ses valeurs. Même s’il faut parfois s’oublier soi-même… Crois-moi je le sais aussi bien que toi. J’annoncerais la nouvelle pour le discours de clôture du carnaval. Nous aurons trois jours pour les préparatifs, cela tiendra tout le monde occupé et fera, je l’espère, taire les rumeurs et amener un nouveau souffle. Ah oui, j'oubliais, il faudrait un peu plus t’impliquer dans les affaires du royaume. Mon messager va te faire visiter la salle du trône. Je l’aurais bien fait moi-même mais j’ai encore tant de choses à m’occuper…

Le roi se leva, et sembla fatigué, comme plié par un trop lourd fardeau. Il se tint le bas du dos en grimaçant, et Idri pensa que sa sciatique ne s’arrangeait décidément pas. Même s’il était déplaisant de l’admettre, son père vieillissait.

- Yssim! appela-t-il.

Le messager entra sans un bruit et attendit les instructions.

- Emmène Idri à la salle du trône et montre lui ce qu’il doit savoir.

Le messager ne répondit rien, ne posa pas de questions, il attendait Idri, qui lui se demandait bien ce qu’il était sensé savoir qu’il ne savait pas déjà.

- Va, je te retrouve tout à l’heure.

La voix du roi laissait entendre que la conversation était terminée et que nulle autre explication ne serait délivrée pour le moment.

- Oui, à tout à l’heure, père.

Idri sortit du bureau de son père un peu décontenancé, à la fois encore sous le choc des nouvelles qu’il venait d’apprendre. Un peu excité que son père partage enfin ses secrets avec lui, un peu inquiet aussi, de ce qu’il allait apprendre. C’est dans cet état d’esprit qu‘Idri suivait une fois de plus le messager du roi, Yssim. La salle du trône était au centre du palais, légèrement surélevée par rapport à l’allée centrale qui en faisait le tour. On pouvait y accéder par quatre ponts, menant à quatre portes. Entre les ponts, se trouvaient des verrières en forme de triangle. Idri était passé devant une centaine de fois. Il avait parfois vu les portes -gardées constamment par la milice du roi- s’entrouvrir pour laisser passer le roi, les conseillers dont son oncle, les gouverneurs des îles avoisinantes, et les diplomates étrangers, sans jamais savoir ce qu’elle renfermait. Yssim s’avança vers les gardes. Sans qu’il ait à dire un seul mot, ils s’écartèrent pour les laisser passer. La double porte en ébène, particulièrement solide, était rivée de clous pointus en acier. Yssim décrocha le pendentif en forme de croix de sa boucle d’oreille et s’en servit pour ouvrir la porte. La lourde porte grinça et ils entrèrent. Idri fut presque déçu: la salle circulaire était petite, en son centre régnait une table ovale en bois de teck, avec une dizaine de chaises disposées autour. Au centre du dôme, un lustre pendait pour éclairer sobrement la pièce. Entre les portes se situaient quatre grandes armoires en teck. Idri était tellement absorbé par son observation qu’il sursauta quand Yssim se mit à parler:

- La salle du trône est utilisée pour les conseils royaux où siègent le roi et ses huit conseillers. Elle est aussi utilisée pour recevoir les dignitaires étrangers. Tout ce qui se dit dans la salle du trône est hautement confidentiel et doit rester dans la salle du trône.

Yssim récitait sa leçon sans regarder Idri, et parlait d’un ton froid et détaché sans laisser paraître une quelconque émotion.

- Tu dois aussi savoir que la salle du trône renferme des trésors convoités qui sont nécessaires à la sécurité du royaume. Ils ne doivent sous aucun prétexte quitter cette salle, excepté si le roi le juge nécessaire.

Yssim s’approcha de l’armoire vitrée sur leur gauche.

- Dans cette armoire se trouvent les pierres d’émotions.

Idri s’approcha de la vitre, et vit des dizaines de pierres précieuses telles qu’on en trouvait fréquemment dans la carrière, rubis, saphirs, émeraudes, améthystes, citrines. Idri les connaissait toutes, mais celles-ci brillaient d’une lueur plus ou moins brillante selon les pierres.

- Les pierres d’émotions sont spéciales et sont nécessaires à la sécurité du royaume, répéta Yssim.

- C’est tout ! Tu n’en sais pas plus? Pourquoi brillent-elles de cette façon ?

Yssim laissa pour la première fois échapper un petit rictus, qu'Idri prit pour du mépris, pour reprendre aussi vite son masque habituel.

- C’est tout ce que tu as besoin de savoir pour le moment.

Yssim reprit son tour du propriétaire et passa à l’armoire suivante:

- Dans cette armoire est conservée l’amulette aux émotions. Elle est utilisée en cas d’attaque du royaume.

Sur un buste, reposait un collier avec un pendentif sur lequel on pouvait sertir une pierre, mais le pendentif était vide.

- Ou est la pierre qui va avec ce pendentif? demanda Idri en espérant qu’ Yssim finirait par lui lâcher des bribes d’information.

- Ce pendentif sert à utiliser les pierres d’émotions, plusieurs pierres peuvent être serties selon ce que le porteur veut en faire.

Utiliser les pierres. Elles ne servaient donc pas qu’à faire joli.

- Et à quoi servent les pierres?

-Tu le sauras en temps voulu, répondit Yssim en tournant les talons et en passant à l’armoire suivante.

- Dans cette armoire sont archivées tous les manuscrits les plus importants du royaume. Des cartes, des encyclopédies, des récits des ancêtres du royaume et les livres de comptes.

Idri nota qu’ Yssim avait parlé des ancêtres du royaume, et se demanda s’il parlait des ancêtres des anges ou des humains. Dans la dernière armoire se trouvait un objet plutôt familier: la Larme Dorée. Ce devait être l’un des seuls objet de cette salle à avoir été exposé à l’extérieur, Idri l’avait vu bien souvent au cou de son père lors des manifestations. C’était aussi le seul objet ici dont Idri connaissait l’histoire lorsque son père avait dû lui expliquer d’où il venait et qui était sa mère.

La larme dorée était le seul exemplaire, et aussi la seule preuve à ce jour que les anges étaient capables de produire de l’or. Le pendentif en forme de goutte d’eau renfermait une larme qui mêlait de l’eau et une grande quantité de paillettes d’or. Idri savait que son père avait obtenu la larme dorée de sa mère, Yvoire, qui en était morte. Le roi en avait déduit que cette larme était le dernier cadeau que les anges faisaient au monde avant de mourir, comme leur dernier soupir.

Après la révolution, le prétexte avait donc été vite trouvé pour torturer et tuer les anges qui restaient, ils n'étaient plus qu'une poignée. Le roi avait mis un terme à ces tortures, protégeant ainsi les anges survivants, et s’attirant ainsi les foudres des hommes cupides du royaume. Le mystère des larmes dorées et de comment les anges arrivaient à les produire restait donc entier.

- La larme dorée a été produite par une ange du nom d’Yvoire et est la propriété du roi Ibrahim.

Yssim déclamait toujours aussi bien son texte, pourtant Idri crut entendre une fêlure dans sa voix si droite et posée. Il n’eut pas le loisir de lui poser de plus amples questions sur le sujet, car la visite prenait fin. Yssim, probablement sur les instructions du roi, le raccompagna à sa chambre, l’enjoignant à se reposer avant le discours du roi. Décidément, cette journée était remplie en rebondissements et découvertes, et il apprenait que le savoir aurait un certain prix. Idri s’affala sur son lit, le regard sur les fenêtres qui étaient toujours grandes ouvertes sur la mer calme, tandis qu’une autre fenêtre à l’intérieur de lui se fermait.

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