Chapitre 1

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La mer était belle ce jour-là, calme, d'une teinte turquoise. Elle étincelait sous les rayons du soleil, comme si le volcan avait dispersé tous les diamants qu’on trouvait d’habitude dans ses cendres le long de la baie. Au loin, la voix du professeur se diffusait en sourdine, comme s'il s'agissait de la marée. Un toussotement sortit Idri de sa contemplation Il détourna à regret le regard de la fenêtre pour poser un air contrit sur son interlocuteur. L'attention de son élève étant de nouveau dans le droit chemin, son professeur particulier continua sur sa lancée, ou répéta, Idri ne saurait le dire.

¬ Ainsi fut construit le palais que nous connaissons aujourd’hui, et put être enseignée aux êtres vivants primitifs la civilisation des humains lors de la découverte de ces côtes.

Idri fronça imperceptiblement les sourcils. Les êtres vivants primitifs. Il était toujours délicat pour lui d’entendre la description des anges faite par les humains, lui qui était moitié l’un, moitié l’autre mais ni l’un ni l’autre à part entière. Par ce seul point, Idri était différent des autres, mais eux, ils ne le savaient pas.

Bien sûr, ses cheveux crépus noirs de jais et sa peau métissée détonnaient un peu parmi les chevelures raides et noirâtres de ses compatriotes mais cela le rendait original. La plupart du telps, les personnes ne connaissant pas son histoire n'y voyaient que du feu et portaient sur lui un regard bienveillant. Il lui suffisait de prétendre que sa mère venait d'une île lointaine et personne n'y trouvait rien à redire. Pour le reste, il avait hérité de la carrure de son père, solide gaillard aux larges épaules. Pourtant, cela aurait été une erreur de le confondre avec son père tant leurs caractères étaient différents: autant le roi était d'un naturel taciturne, rigide et peu enclin à livrer ses émotions, autant Idri était un garçon sensible aimant la compagnie. Seules les deux cicatrices boursouflées sur ses omoplates, vestiges des ailes qu'il n'aurait sans doute jamais, lui rappelaient la vérité sur ce qu'il était: un métis, un hybride, un bâtard. Mais si seuls son père et Idri lui-même restaient les deux seules personnes à être au courant, tout irait pour le mieux. Perdu dans ses réflexions, Idri remercia du bout des lèvres son instructeur. La leçon terminée, il prit congé et Idri se retrouva de nouveau seul dans sa chambre. Il délaissa son bureau et revint se planter devant la fenêtre pour reprendre le fil de ses pensées. Il y avait aussi une autre raison qui faisait qu‘Idri n’était pas particulièrement concentré aujourd’hui.

Aujourd'hui, il avait 18 ans. Il y aurait un carnaval tout à l’heure, prévu par le roi en l’honneur de son fils. Et au-delà de la fête et de l’amusement, Idri serait aussi légalement reconnu responsable de ses actes et libéré de toute tutelle parentale, libre de choisir un métier, de se fiancer… Libre. Enfin, libre, tout était relatif, il serait toujours l'unique fils du roi. Idri soupira, il supputait qu'il aurait encore droit à quelques leçons avant d'être jugé accompli par son père, lequel était quelque peu exigeant.

Soudain, on toqua à la porte. C'était la domestique:

¬ Monsieur Idri, le tailleur nous a fait dire que votre costume serait prêt dans une heure.

Le visage d’idri s’illumina, mais son enthousiasme fut, comme à son habitude, plutôt discret:

¬ Merci, c'est parfait, je vais aller le chercher.

La jeune fille, pas plus grande qu'un enfant de douze ans, blêmit:

¬ Mais Monsieur Idri, ce n'est pas nécessaire de vous déplacer, on va envoyer quelqu'un….

¬ Ce n'est rien, dit Idri, ça me fera prendre l’air.

Il attrapa sa besace et laissa la pauvre fille médusée et déconfite sur le pas de la porte. Idri était d'un naturel joyeux, et ne rechignait pas à la besogne. Il trouvait ridicules toutes ces obséquiosités et se faisait un point d'honneur à faire les choses par lui-même. Son père l'avait toujours encouragé à respecter les gens et à respecter le travail de chacun: “Tout travail est utile, Idri, chaque personne apporte sa pierre à l'édifice et le rôle du roi est de s'assurer que l'édifice tient debout”. Idri admirait énormément son père, même s'il avait parfois l'impression qu'il ne lui disait que ce qu'il pensait être utile et pas forcément ce qu'il pensait tout court. Depuis tout petit cependant, il y avait une chose sur laquelle il était intraitable, Idri devait garder le secret de sa naissance. Idri chassa ses zones d'ombre de son esprit et sortit respirer le soleil à plein poumons.

Le tailleur se trouvait au centre du village, en contrebas du palais, juste au bord de la plage. Le long du chemin, se trouvait le jardin aquatique. Idri aimait y passer énormément de temps, à analyser les espèces animales, végétales et surtout minérales des bassins. Il ne s'y attarda pas cette fois, il avait un autre objectif en tête. Idri n'était pas contre l'instruction, il aimait beaucoup lire et étudier mais il préférait par-dessus tout vivre dans la nature. Et il était bien servi, leur île était remplie d'animaux et de plantes fascinantes. Quand on savait bien regarder. Le village n'était pas très grand et était surtout un village de pêcheurs, mais quelques autres corps de métiers y avaient élu domicile. Le chemin se divisait ensuite en deux: le sentier de droite menait à la plage, où la première partie du village comprenait le port et les maisons sur pilotis. Les autres habitations se trouvaient derrière la petite colline, qu'on atteignait par le chemin de gauche. Idri prit à gauche, le tailleur se trouvait quelques mètres plus loin, à l'ombre d'un pin. Quand il entra dans l'échoppe, il fut tout de suite agressé par les effluves puissantes des teintures et des détergents. Il entendait le tailleur pester. Le petit homme sortit d'un pas pressé de l'arrière boutique:

¬ Qui vient me déranger dès le matin ? Ah c'est toi Idri, tu me sembles pressé, se radoucit-il en lui faisant un clin d'œil. Ton costume est presque prêt, je suis en train d'essayer de le rafraîchir, toutes ces odeurs de pêche vont abîmer le tissu. L'air marin me tue!

Idri eut un demi sourire: il entendait régulièrement le tailleur râler sur l'air ambiant. Lui était plutôt satisfait de vivre près de la mer. Comme ce climat changeant, rien n'était statique. Et l'odeur des embruns ajoutait un je ne sais quoi d'aventure qui n'était pas pour lui déplaire, lui qui était pourtant si casanier.

¬ Regarde le beau tissu que j'ai réussi à obtenir, il est très léger, et pour une fois la couleur n'est pas trop foncée.

Idri toucha le tissu de lin, admiratif. Il était rare de faire des vêtements avec du lin sur leur île, car la plante poussait difficilement. La majorité des vêtements étaient faits à partir d'algues, même si le tissu était beaucoup plus rêche et donc moins agréable. Il remercia le tailleur mille fois pour ses efforts et repartit avec son costume sous le bras. Dehors, le soleil était déjà haut dans le ciel, mais la douce brise marine refroidissait légèrement l'air. A l'horizon, s'étendait l'océan à perte de vue. Idri se demandait parfois quelles contrées se cachaient au bout. L’immensité des choix de sa nouvelle vie lui donnait le vertige et à la fois tiraillait sa curioisité. Aujourd’hui, tout semblait possible.

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