Chapitre 8
Idri était dans sa chambre, les bras repliés sur ses genoux, pensif. Après le choc de l’annonce de son mariage, il avait dû digérer toutes ces nouvelles informations. A peine avait-il eu le temps de se préparer à rencontrer sa nouvelle épouse, que déjà il devait gérer son premier revers sentimental. Une fois rentrés, Meera avait demandé à rester dans sa chambre pour se reposer, invoquant la fatigue du voyage. Elle n’y était pas sortie de l’après-midi, et la nuit commençait maintenant à tomber.
Cette rencontre ne se passait pas de la façon la plus idéale qui soit et il avait des doutes quant à la réussite de ce mariage arrangé. Était-ce possible de trouver l’amour avec quelqu’un qu’il n’avait pas choisi? Il eut un rictus en pensant à ce que son père en aurait dit: le but était de faire son devoir, pas de trouver l’amour. Il se préparait à se morfondre toute la soirée quand il eut soudain une idée. Il se leva d’un bond de son lit, sortit de sa chambre et se précipita vers l’aile réservée aux invités. Quand il toqua à la porte de la chambre de Meera, une femme de chambre lui ouvrit et le regarda d’un air surpris, tandis qu’ Idri la gratifia de son plus beau sourire.
- Bonjour, pourrais-je parler à Meera s’il vous plaît?
La femme de chambre s’éclipsa, et il entendit des chuchotements de voix, sans distinguer le moindre mot de ce qui se disait. Meera apparut dans l’entrebâillement de la porte:
- Oui, qu’y a t-il? » souffla-t-elle.
- Je voudrais vous montrer quelque chose, dans les jardins. Une… particularité de notre île qui pourrait vous intéresser.
Meera baissa les yeux, sembla hésiter.
- Je me suis dit que vous deviez vous ennuyer… ça ne durera pas longtemps.
- Oui… d’accord, quelques minutes à l'extérieur pourront me faire du bien.
Le visage d’Idri s’illumina, comme un enfant à qui on venait d’offrir une friandise.
- Parfait! Je vous attends en bas.
Idri faisait les cent pas au bas de l'escalier en se disant qu'il avait peut être été un peu trop enthousiaste et qu'elle allait se défiler quand un chuintement lui fit tourner la tête. Meera se tenait sur les marches, toujours bien enveloppée par son voile rouge qui lui mangeait la moitié du visage. Idri fut à moitié ravi et à moitié surpris d'avoir finalement remporté cette petite victoire. Il s'enhardit:
- Viens, sortons!
Meera se laissa faire et le suivit. Ils traversèrent l'estrade et rejoignirent le parc aquatique, ou le doux bruit des vaguelettes faisait comme une musique accompagnant la venue de la nuit. Ils s'approchèrent d'une grande vasque de pierre en forme de lotus finement ciselée et perforée de trous décoratifs. Au centre était déposé un rubis.
- C'est joli ces décorations, fit Meera avec néanmoins une pointe de déception dans la voix.
- Attends, ce n'est pas tout.
Idri héla un des veilleurs de nuit qui passait par là, et revint avec un pot et un pinceau. Meera regarda idri badigeonner le rubis d'un liquide transparent d'un air interloqué.
- Voilà ça devrait suffire, dit Idri satisfait, puis il recula d'un pas.
Il ne fallut que quelques minutes pour qu'un moustique vienne se poser sur le rubis. Dès que l'insecte fut en contact avec le liquide qui imprégnait la pierre, il s'embrasa dans une lumière rouge puissante qui remplit toute la vasque. Bientôt, on vit toute la bordure du parc aquatique s'illuminer de toutes les couleurs. Idri montra à Meera l'émeraude, le saphir, l'améthyste contenues dans toutes les vasques disposées le long du chemin. Idri voyait au sourire de Meera que la jeune fille commençait à se détendre et à apprécier la sortie. Il hésita à dévoiler une autre de ses cartes directement et se demanda s'il ne devait pas plutôt attendre demain. Puis il décida que tant qu'à faire, autant aller un peu plus loin dans l'opération séduction, on se savait jamais de quoi demain serait fait.
- Veux tu voir d'autres curiosités de notre pays?
Meera qui acquiesça aussitôt. Idri poussa même l'audace jusqu'à lui prendre la main, que Meera ne refusa pas tant elle semblait encore émerveillée par ce qu'elle venait de voir.
- Il y a un endroit où j'aime beaucoup aller quand j'ai besoin de me changer les idées, j'aimerais te le montrer.
Ils avaient suivi toute la bordure de vasques jusqu'au bout du parc aquatique. Le parc aquatique était un grand bassin d'eau douce, peuplée de roseaux et de nénuphars, de quelques grenouilles jaunes et rouges, des poissons multicolores et des tortues à la carapace couleur jade. Le chemin principal menait de l'estrade du palais jusqu'à un promontoire qui faisait office de pont, séparant ainsi le bassin principal du petit bassin, situé plus en contrebas sur le chemin qui menait à la plage. Idri et Meera s'approchèrent du pont, et empruntèrent un petit escalier de pierre, qui descendait jusque sous le pont. Au bout, se tenait une petite porte dans laquelle Idri et Meera s'engouffrèrent. Au fond du couloir d'entrée froid et humide se trouvait une seconde porte. Le laboratoire aquatique était une longue pièce rectangulaire. Deux rangées de tables étaient disposées dans la longueur de la pièce, ou s’entreposaient des paniers, des pots de terre, des sacs de jute, remplis de mille et un trésors. Une végétation luxuriante encadrait la pièce: des palmiers, des plantes grimpantes, des lianes aux fleurs roses, jaunes, bleues qui entravèrent parfois leur passage. Sur la gauche, une petite lucarne diffusait la lumière de la lune, et on y distinguait les contours du grand bassin. Idri était tout excité de montrer à Meera ses trouvailles:
- ici j’élève quelques jeunes tortues, que j’ai sauvées in extremis d’un requin qui en aurait bien fait son déjeuner!
Meera tressaillit:
- Un requin? Dans le bassin?
Non, celles-là viennent de l’océan ! Répondit- il en riant. Mais quand elles sont suffisamment grandes, j’en garde parfois quelques-unes pour les bassins. Je cultive aussi quelques plantes, celles- ci ont une sève aux propriétés particulières qui rendent les pierres précieuses toutes molles. On les utilise donc parfois en cuisine, pour décorer.
Idri se déplaçait avec aisance entre les allées:
- Je collecte aussi quelques pierres pour les étudier, dit-il en désignant un bac peu profond qui contenaient diverses pierres roses, transparentes, violettes, rouge tirant sur le brun, rouge tirant sur le jaune. Il y en avait de toutes les couleurs. Idri repensa aux pierres d’émotions et fit une pause en examinant les pierres qu’il avait récolté dans la carrière. La plupart de ces pierres n’étaient pas des pierres précieuses, et n’étaient que des rebuts des minerais collectés pour remplir les caisses du royaume. C'était d’ailleurs pour cette raison qu’il avait eu l'autorisation de les conserver. Il reprit:
- Je fais cela depuis la dernière explosion du volcan. J’ai pris conscience que des plantes ou des animaux pouvaient disparaître si on ne prenait pas soin de les conserver.
Le visage de Meera se renfrogna:
- Oui, les volcans peuvent être impitoyables.
Elle fit une pause pendant un long moment puis reprit:
- Si nous devons lier nos destins, peut être qu’il est temps que je te montre quelque chose… et puis il ne serait pas honnête que tu t’engages lors que tu ne connais pas toute la vérité.
Idri se demandait de quoi elle voulait bien parler, quand Meera dégrafa son voile laissant apparent tout son côté gauche. Sur son profil droit, Meera était une fille des îles parfaite: un teint de peau légèrement hâlé, sa bouche rosée délicate n'était ni trop pulpeuse ni trop fine, son nez droit orné d'une petite pierre de quartz rose était bien dessiné et ses cheveux bruns étaient brillants et lisses. Mais ses yeux noisettes malgré leur jolie forme en amande, n'étaient que tristesse. Car sur son profil gauche, Meera était loin d'être parfaite. Sur son menton, toute sa joue et remontant jusqu'au haut du front, s'étendait une peau grumeleuse, constellée de cicatrices rosâtres, vestiges de cloques. Idri fut interloqué puis reprit rapidement ses esprits:
- Que s’est-il passé ?
- Il y a de cela quelques années, le volcan est entré en éruption Le vent a emmené des braises et des cendres jusque dans les îles du Sud. a maison a été incendiée une nuit ou tout le monde dormait. Le temps que je parvienne à sortir, le feu a eu le temps de prendre la moitié de mon visage.
Idri s’approcha sa main du visage de Meera:
- Est ce que je peux…?
Meera acquiesça. Il lui caressa la joue. Sous ses doigts, la peau était rugueuse mais les cicatrices n’étaient plus à vif depuis longtemps. Idri n’osa imaginer à quoi devait ressembler Meera juste après l’accident.
- Cela a dû être bien douloureux… tu as plutôt bien cicatrisé, analysa-t-il d’un ton factuel. Tu restes très belle, ce n’est pas ça qui gâchera le mariage.
Meera rougit du compliment. Idri hésita : devrait-il aussi lui livrer son secret? Elle s’était confiée à lui, il serait légitime qu’il soit honnête en retour, même si cela le mettrait dans une position très embarrassante.
- Je suis un peu fatiguée, si nous rentrions? Le moment des aveux était passé, et tandis qu‘ Idri raccompagnait Meera à sa chambre, il se demanda combien de temps il serait capable de lui cacher la vérité.
- C’était magnifique, merci beaucoup.
- Je suis à votre service, ma Dame. Maintenant et pour toujours.
Annotations
Versions