Chapitre 10
Idri s'était préparé dans le calme, presque sans nervosité maintenant qu'il était mis devant le fait accompli. Après tout, il aurait pu tomber sur pire épouse que Meera et même s'il était trop tôt pour parler de sentiments, il sentait déjà qu’une certaine affinité s'était créée entre eux. Il ressentait aussi un peu d'excitation, ce n'était pas comme cela qu'il avait imaginé que cette étape de sa vie se passerait. Il ne se souvenait d'ailleurs même pas s'il y avait déjà songé tant se marier était loin de ses préoccupations il y a quelques mois de cela, mais il savait que ce tournant dans sa vie avait une importance et qu'il en sortirait changé.
Il se regarda dans le miroir, sérieux, le front grave et le sourcil sévère. Il portait les habits traditionnels du marié, pantalon de lin blanc, chemise blanche et une écharpe blanche aux motifs dorés, simplement posée autour de ses épaules et qu'il donnerait à Meera lors de l'échange des vœux. Il respira profondément pour ne pas se laisser submerger par l'émotion et sortit de sa chambre. Un cortège de huit domestiques l'attendait, une bougie à la main. Ils descendirent ensemble l'escalier puis empruntèrent sur la droite le couloir qui menait à la salle de réception. Ils étaient déjà tous là et idri eut comme un frisson de sentir tous les regards posés sur lui. La harpe et la flûte des musiciens accompagnaient doucement son entrée. Idri traversa toute la salle jusqu'à arriver auprès de son père qui le salua en mettant sa main sur son épaule sans dire un mot.
Il ne manquait que Meera et la cérémonie pourrait commencer. Elle arriva peu de temps après lui, et on peut dire qu’elle fit son petit effet. Elle qui avait porté le voile depuis son arrivée sur l'île, arrivait maintenant tête nue, exposant ainsi ses magnifiques cheveux noirs ondulés, mais aussi son visage à moitié ravagé par le feu. Elle portait une robe de soie rouge à manches longues qui dévoilait un peu son cou et ses épaules. Idri fut admiratif du courage qu'elle avait d'exposer sa faiblesse aux yeux du monde, mais aussi de la beauté de la jeune fille, que ces cicatrices n'avaient pas pu faire disparaître.
Il la regarda d'un autre œil, cette fille était décidément beaucoup plus que ce qu'il avait cru aux premiers abords. Et il allait l'épouser. Cela le réjouissait et le terrifiait en même temps. Ses réflexions furent interrompues par le roi Ibrahim, son père, lui aussi en tenue de cérémonie. La musique s'arrêta pour lui laisser la place. Comme toujours, Idri envia la voix calme et puissante de son père, et se demanda s'il serait un jour capable de parler en public de la même façon.
¬ Mes amis, nous sommes réunis ici pour unir Idri et Meera, et les accompagner dans cette étape importante de leur vie. Idri fils d'Ibrahim, acceptes-tu cette femme pour épouse ?
Idri eut la bouche sèche devant la solennité de la décision qu'il devait prendre. Cela n'aurait pas dû se passer de cette façon. Mais il était trop tard maintenant.
¬ Oui, j'accepte”, répondit idri d'une voix ferme et déterminée.
¬ Meera fille du sud, acceptes tu cet homme pour époux”.
¬ Oui, j'accepte, souffla Meera d'une voix douce et fluette.
Comme le voulait la coutume, ils échangèrent leurs écharpes et la passèrent autour du cou de l'autre.
¬ Meera et Idri sont désormais unis par le mariage, célébrons leur union !
Ils se tournèrent vers l'assistance qui après avoir été si calme pendant les échanges de vœux, laissait désormais éclater toute sa joie. La musique reprit de plus belle pour laisser sortir de la salle de réception les deux mariés. Idri était ému, même si le fait d'être le centre de l'attention le mettait un peu mal à l'aise. Il avait hâte d'être seul avec Meera pour pouvoir partager avec elle ses sentiments sur cette drôle de situation et tenter de mieux la connaître. Mais avant cela, il faudrait encore se servir un peu de mondanités pendant le repas. Idri, comme pour le reste d'ailleurs, n'ayant pas été particulièrement consulté, il ne savait pas trop comment seraient disposés les invités.
Ils se dirigèrent à l'extérieur, sur la terrasse ou étaient disposées les tables de réception qui formaient un U. Ils prirent place en premier au milieu de la table principale, puis tous les autres invités vinrent s'installer, guidés par les domestiques. Meera et Idri étaient assis côte à côte, et faisaient face à leurs pères respectifs. Sur le reste de la table centrale se trouvaient aussi Jacinda, Palak, Jahro et Meroem. La nuit était déjà tombée, mais la température était encore agréable. Toutes les lampes du parc aquatique avaient été allumées, et les pierres s'embrasaient de milles feux et couleurs. Des petits lampions similaires aux versions grand format avaient aussi été rajoutés sur les tables pour améliorer la luminosité.
Idri était encore un peu chamboulé et avait l'estomac noué, mais ce n'était pas le cas de Meera qui semblait intéressée par tous les plateaux qui arrivaient. En guise de mise en bouche, on commença par les plateaux de fruits. Idri montra à Meera comment piquer les morceaux de fruits sur la fourchette-broche. Et quand arriva le plat de résistance, Meera ouvrit des yeux émerveillés en découvrant le poisson qui reposait sur un lit de rubis, réduits à l'état de cubes de gelée grâce à la plante spéciale qu’Idri lui avait montré dans le laboratoire aquatique. Idri oublia un peu son malaise en lui expliquant leurs us et coutumes, d'autant qu'ils auraient pu être seuls que ça n'aurait rien changé, le gouverneur étant absorbé par sa conversation avec jahro et les autres convives restant inexplicablement muet. Jacinda rompit cet équilibre en balançant son pavé dans la mare:
¬ On peut dire que c'est beaucoup plus copieux que ton premier mariage !
Tout le monde se tourna vers elle, interrompant ce qu'il était en train de faire devant l'énormité de ce qu'elle venait de dire. Meera pâlit.
¬ Jacinda, tu ne devrais pas mettre Meera dans l'embarras, répondit timidement le gouverneur.
Jacinda mit la main devant la bouche et écarquilla les yeux, personne ne put douter que cette bourde était absolument non intentionnelle.
¬ Oh pardon, je ne voulais pas être désagréable…, dit-elle aussitôt d'un ton contrit et baissant les yeux.
¬ Ce n'est rien Jacinda, ce n'est pas un secret.
Meera regarda Idri dans les yeux et lui dit d'un ton froid et détaché:
¬ J'ai été mariée il y a quelques années mais mon époux est malheureusement décédé. Je n'ai pas pensé que c'était important, je suis désolée.
L'annonce de Meera avait jeté un froid et les conversations n'étaient plus aussi animées qu'auparavant. Cela ne surprit personne quand quelques minutes plus tard, elle quitta la table en prétextant vouloir aller se rafraîchir. Idri se sentait mal à l'aise, et ne savait pas vraiment quoi penser de cette révélation. N'y tenant plus, il se leva lui aussi peu de temps après pour partir à sa recherche. Il la trouva quelques mètres plus loin, un peu plus à l'écart de la fête, en pleine observation d'une lampe d'extérieur, dont le rubis se consumait et projetait aux alentours ses éclats rougeâtres. Ce fut Meera qui brisa le silence:
¬ J'ai beaucoup repensé à la porte du volcan. Je trouve qu'une pierre comme celle des lampes pourrait parfaitement combler le trou que nous avons trouvé. Mais une simple pierre comme celle-là serait trop simple, est-ce qu'il n'existerait pas des pierres spéciales ?
Idri comprit que Meera n'avait aucune intention de s’étendre sur ce qui avait été révélé ce soir et que les explications devraient attendre. Il aurait été dommage de la braquer et de perdre le petit lien qu'ils avaient créé, aussi Idri décida-t-il de rentrer dans son jeu, malgré sa forte envie d'en savoir plus. Il repensa à la salle du trône et aux secrets cachés du royaume qu'il avait découvert il y a peu et réalisa que Meera avait sûrement raison. La solution de cette énigme se trouvait très probablement là-bas. Il hésitait quand même à lui parler car partager ces secrets avec quelqu'un d'extérieur pourrait s'avérer dangereux et il ne savait pas ce que son père en penserait. Mais d'un autre côté, Meera et lui étaient maintenant mariés et allaient devoir passer le reste de leur vie ensemble, et il ne se voyait pas lui cacher des choses. Il lui parla de la salle:
¬ Elle a un accès restreint, même moi je n'y avais pas accès jusqu'à présent.
¬ Ce qui veut dire qu'au moment présent, tu y as bien accès ?
Idri commençait à se sentir quelque peu agacé, Meera était celle qui aurait dû se sentir sur la défensive mais elle était têtue comme une bourrique et n'avait décidément rien à voir avec la frêle et fragile jeune fille qu'il avait cru qu'elle était. Il n'osait pourtant pas lui réclamer des comptes, car lui aussi avait des choses à cacher, et il n'était pas encore prêt à les dévoiler. Aussi capitula-t-il, encore une fois, devant la demoiselle au caractère bien trempé.
¬ Très bien, essayons. J'espère que cela ne nous mettra pas dans l'embarras une fois de plus, nos bêtises et mauvais choix commencent à en agacer plus d'un, lança-t-il en guise de pique.
Mais nullement inquiète, Meera affichait l'air satisfait de celle qui avait eu gain de cause. Idri, Meera sur ses talons, se mit en quête d'Yssim, en priant pour qu'il accepte de l'aider. Ils le découvrirent, caché derrière un bosquet au fond du jardin botanique. Idri tenta tant bien que mal d'expliquer à Yssim pourquoi il était absolument vital que Meera et lui se rendent dans la salle du trône, sans bien sûr lui dévoiler l'existence de la porte. Yssim leva un sourcil:
¬ D’accord.
Idri en resta pantois, il était presque déçu que cela ait été si facile. Le palais était désert, tous étaient en train de profiter de la fête Ils prirent tout de même la précaution de passer par une porte secondaire pour ne pas trop attirer l'attention. Idri regardait Meera qui semblait fascinée par les ailes d'Yssim, mal à l'aise de devoir lui expliquer un jour qu'il était à demi comme lui. Yssim passa devant les gardes en poste sans dire un mot, et ouvrit la porte avec la clé qu'il portait toujours sur lui. Il referma ensuite soigneusement la porte de l'intérieur de manière à ce qu'ils ne soient pas dérangé. Il était un peu fâcheux qu'Yssim reste les surveiller mais c'était mieux que rien. Très vite, Meera se précipita vers les armoires, scrutant ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à leur recherche. Elle s'intéressa particulièrement aux pierres exposées dans l'armoire du milieu.
¬ Pourquoi ces pierres brillent-t-elles ?
¬ C'est un secret du royaume, ma Dame, répondit Yssim, imperturbable.
¬ Peut-on les toucher, insista Meera, pas découragée pour autant.
¬ Non, ma Dame, seul le roi peut les toucher.
Meera ne répondit rien, mais lança un regard lourd de sens à Idri, il fallait trouver urgemment une solution à ce problème. Les armoires étaient fermées à clé, et il était exclu de casser la vitre pour s'emparer des pierres comme des voleurs. D'autant qu'Yssim ne les laisserait sûrement pas partir avec. Idri secoua la tête, il leur faudrait renoncer à ce projet, pour le moment du moins.
¬ Très bien, dit Meera, merci beaucoup pour la petite visite, ces pierres sont magnifiques.
¬ A votre service, ma Dame.
Yssim les laissa au premier étage après avoir bien évidemment refermé la salle du trône. Meera se montra de nouveau loquace dès qu'Yssim ne fut plus dans leur champ de vision:
¬ Quelle poisse, je suis sûre que ces pierres ont un lien avec ce que nous cherchons. Quel dommage que tu n'aies pas eu connaissance de leur existence plus tôt.
¬ Je n'avais pas connaissance de la porte secrète non plus, remarqua Idri.
Meera soupira:
¬ Tu dois te dire que je me mêle vraiment de ce qui ne me regarde pas, mais je sens que cet endroit est très important, et je ne sais pas pourquoi mais cela m'obsède… Et si tu me faisais un peu visiter le palais ? Avec toutes ces émotions, je n'ai pas eu le temps de le découvrir. Et je n'ai pas la moindre envie de retourner à notre table ou les gens seront soit désagréables soit muets!
Elle ajouta d'une voix plus douce:
¬ Je promets de tout te raconter sur l'incident de tout à l'heure, mais pas ce soir. Je ne suis pas encore prête à te révéler tous mes secrets, je suis désolée… Je peux juste te dire de ne pas t'inquiéter, même si j'agis parfois impulsivement, je suis une fille gentille. Et je t'aime bien.
Idri rougit à cette révélation qui lui mettait un peu de baume au cœur. Si être patient était la seule chose qui lui serait demandée, cela ne devrait pas lui poser trop de difficultés.
¬ Merci, Meera. Je sais que ça peut être dur de faire confiance à quelqu'un qu'on ne connaît que depuis quelques jours mais je suis sur qu'on trouvera. Allons visiter le château, je n'ai pas envie non plus de devoir me justifier devant toute notre tablée.
Il lui offrit son bras pour commencer leur promenade ¬ pouvait-on dire en amoureux, tant la situation était encore incongrue¬ et ils firent tout d'abord le tour de la salle du trône. Au premier quart, ils passèrent devant la chambre de Meera, au deuxième quart, devant celle d'Idri, au troisième quart devant la tour de la bibliothèque et ils allaient arriver devant le bureau du roi quand Idri arrêta Meera.
¬ Attends, il y a quelqu'un, je n'ai pas vraiment envie d'expliquer notre présence ici.
Ils se cacherent derrière les plantes en pot qui ornaient une des entrées de la salle du trône, parfaitement conscients que s'ils passaient inaperçus pour les intrus dans le couloir, ils ne l'étaient pas du tout pour les gardes qui surveillaient la salle du trône. Fort heureusement, ce n'était pas leur rôle de signaler leur présence, tant qu'ils n’essayaient pas d'entrer dans la pièce qu'ils devaient protéger, ce qu'ils faisaient aux alentours ne les intéressaient pas le moins du monde. Idri risqua un œil au-delà de la masse touffue qui les protégeait pour tenter d'apercevoir de qui ils étaient en train de se cacher. Il fut surpris de reconnaître son cousin Meroem et son oncle Jahro en pleine conversation animée. Meroem semblait agité et il commença à hausser la voix, de sorte qu’Idri et Meera pouvait l'entendre:
¬ Je ne sais pas si je serais capable de faire ça, je ne pensais pas que nous serions obligés d'aller si loin.
Jahro comme à son habitude, ne se laissait pas trahir par ses émotions et parlait d'une voix calme et trop doucement pour qu'ils puissent entendre sa réponse. Meroem se calma et capitula :
¬ Oui père, tu as raison il n'y a pas d'autre moyen, je ferais ce que tu me diras, pour la gloire de notre famille et de notre peuple.
Puis ils se séparèrent, chacun partant de son côté. Ils virent passer juste devant eux Meroem qui marchait d'un pas décidé et rapide et retinrent leur souffle, mais il était tellement absorbé par ses pensées qu'il ne les vit pas. Ou du moins il ne se retourna pas. Quand plus aucun bruit ne leur parvint, ils sortirent de leur cachette un peu dubitatifs. “
¬ Je me demande de quoi ils pouvaient parler, lança Idri, mal à l'aise de la scène qu'ils venaient de voir.
¬ Je n'en ai pas la moindre idée, fit Meera, l'air grave, mais cela n'avait pas l'air d'être de bonne augure. Ton oncle est une personne étrange. Je perçois en lui beaucoup de contradictions et il n'a pas une aura très sympathique.
Idri ne répondit rien, c'était exactement ce qu'il avait toujours ressenti à propos de son oncle, sans que celui-ci ne l'ait jamais ouvertement critiqué devant quelqu'un autre. Il sentait son mépris envers lui et cette façon qu'il avait de le regarder qui le faisait sentir aussi insignifiant qu'un insecte. Perturbés par cette interruption, les deux tourtereaux ne savaient plus bien s'ils devaient continuer leur balade sensée être romantique ou investiguer sur le phénomène étrange auquel ils venaient d'assister. Ils étaient en pleine indécision quand Yssim, surgissant de nulle part comme cela était décidément trop souvent le cas, fit son apparition, et leur signifia que le roi réclamait leur présence, ce qui ne présageait rien de bon.
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