Chapitre 11
Avec Yssim en guise d'escorte, ils n’eurent pas le choix de rejoindre le lieu du repas ainsi que leurs convives. Le regard du roi laissait bien entendre que la récréation était finie et qu'il était temps de revenir aux choses sérieuses.
¬ Mes amis, maintenant que nous avons bien célébré cette union, il nous faut maintenant accompagner Idri et Meera dans les dernières étapes de la cérémonie.
Idri commençait à réfléchir à quoi son père faisait allusion quand un éclair lui traversa l'esprit. Qui disait noces, disait nuit de noces… Idri déglutit avec difficulté quand il entendit son père confirmer ses craintes:
¬ Un mariage est l'union de deux esprits et deux corps et il ne pourra être considéré comme consommé que lorsque l’homme devient homme et la femme devient femme. Que l'on conduise les jeunes mariés dans leur chambre pendant que nous buverons et festoyerons en leur honneur. À Idri et Meera ! Conclut le roi en levant son verre en direction des deux adolescents, Idri rouge jusqu'aux oreilles et Meera imperturbable.
Une escorte les conduisit jusqu'à la chambre d’Idri, au moins une chose qui lui serait familière. Quand la porte se referma, Idri entendit au froissement des tuniques que l'escorte n'était pas loin. Voilà ce qui s'appelait avoir de l'intimité… Idri se demanda s’ils étaient réellement obligés de consommer ce soir. Ne pouvaient-ils pas prendre un peu leur temps, rien ne pressait ? Idri ne savait pas par où commencer: est-ce qu'il devait l'embrasser ? Se déshabiller ? Qu'est ce qu'il allait lui dire à propos de ces cicatrices ? Il lui revint en mémoire que Meera avait déjà été mariée et devait déjà tout connaître, il allait l'air ridicule. Meera l'arrêta net dans ses réflexions :
¬ Idri, ne te stresse pas, personnellement je ne suis pas pressée. Ces choses-là prennent du temps, c'est une stupidité de faire aller au lit deux personnes qui ne se connaissent pas encore. Ça viendra quand ça viendra.
Idri fut quelque peu interloqué et ne s'attendait pas à la réaction de Meera.
¬ Montres-moi plutôt ta chambre ! dit-elle d'un air enjoué.
Si son attitude était destinée à détendre l'atmosphère, cela marchait plutôt bien, idri se sentit nettement moins contracté par la nécessité de devoir produire une performance sur demande. La “visite” fut plutôt brève car la chambre d’Idri n'était pas non plus gigantesque. Après la porte d'entrée on tombait assez rapidement sur le lit à baldaquin, encadré de voiles blancs qui pouvaient servir de rideaux mais qu’idri laissait systématiquement ouverts. Il se sentait comme étouffé lorsqu'ils étaient dépliés. A droite de l'entrée et en face du lit se trouvait la porte de la salle des ablutions. En allant plus loin au fond de la chambre on trouvait un bureau et un petit coin bibliothèque. Derrière le lit, une grande baie vitrée donnait sur un petit balcon d'où on pouvait voir l'océan et un bout de la plage par où était arrivée Meera. Meera s’attarda un peu dans le coin lecture, faisant quelques remarques ça et là sur les auteurs qu'elle connaissait mais bifurqua bien vite sur le balcon et sa fameuse vue.
¬ Effectivement, tu n'as pas menti, la vue ici est magnifique, on pourrait y rester des heures.
¬ Oui j'aime bien venir ici pour réfléchir, le bruit de la mer m’apaise.
La baie s'assombrissait au fur et à mesure que le soir tombait, on voyait les lumières du village et des quelques bateaux encore en mer qui commençaient à poindre. Sans même vraiment y penser, Idri posa sa main sur celle de Meera, heureux de pouvoir partager enfin un moment paisible au milieu du tumulte de ces derniers jours. Meera se tourna vers lui, les yeux pétillants:
¬ Tu n'avais pas menti, c'est vraiment beau.
Idri resta sans rien dire, le sourire aux lèvres, cette fille était vraiment spéciale. Parfois elle semblait tellement immature, faisant des caprices telle une enfant gâtée, et l'instant d’après, elle prenait un air grave et semblait avoir vécu toute une vie. Puis il se demanda ce qui s'était passé pour lui, qui avait vécu dans un cocon pendant des années, et semblait se réveiller maintenant, à l'aube de sa vie d'adulte, en ayant tout à apprendre. À la regarder les yeux dans les yeux, il eut soudain l'envie de l'embrasser:
¬ Je peux t'embrasser ? souffla-t-il timidement.
Meera rit:
¬ La première leçon, mon cher Idri, c'est qu'il ne faut jamais poser la question !
Elle s'approcha et posa ses lèvres sur les siennes. Sa bouche était chaude et douce. Il fut surpris quand elle glissa sa langue dans sa bouche mais se laissa faire. C'était donc ça un baiser. C'était tellement agréable qu'il se demanda comment il avait pu s'en passer pendant si longtemps. Meera lui caressa les cheveux à la base du cou, mais quand sa main commença à descendre le long de ses omoplates, se rapprochant de ses cicatrices, Idri ressentit la sonnette d'alarme dans sa tête et se détacha, le plus doucement qu'il pût, un peu à regret de devoir écourter ce moment. Il eut envie de s'excuser d'avoir stoppé cet élan vers plus d'intimité mais il se rappela de la leçon et ne dit rien. Pourtant dans sa tête, mille et une questions se bousculaient. Il n'avait pas pensé à discuter clairement avec son père du secret qu'ils étaient les seuls à partager et il commençait à entrevoir que ça allait commencer à être de plus en plus compliqué de le cacher à Meera. Peut être même que ce secret ne tiendrait pas la nuit… Non, décidément il fallait tirer ça au clair le plus vite possible.
¬ Idri ? Autant tout à l'heure tu avais l'air bien impliqué dans le moment présent, autant là tu as l'air complètement ailleurs !
¬ Oui, pardon, je.. Je me demandais si tu étais déjà allée plus loin, qu’un simple baiser ?
Cacher un secret par un autre pourquoi pas, c'était une stratégie… il n'avait pas trouvé mieux pour détourner Meera des réflexions qui lui traversaient l'esprit. Meera laissa fondre son sourire pour prendre un air plus grave.
¬ Oui. Rares sont les maris qui savent se contenter d'un baiser. Mais, tu peux me croire, ce n'était pas agréable. Donc je ne suis vraiment pas pressée. Et ce n'est pas parce que ce que je ne te trouve pas à mon goût, ajouta-t-elle d'un ton taquin.
Idri rougit jusqu'aux oreilles.
¬ Je me disais que je pourrais aller nous chercher à boire ? Ou des fruits si tu as envie ?
¬ C'est une bonne idée, je vais rester encore un peu profiter de la vue. À tout de suite mon prince.
Il eut un peu honte de sa tentative de diversion, mais cela lui permettait de ne pas complètement mentir à sa dulcinée. Il se dirigea doucement vers la porte, tendant l'oreille pour savoir si leur escorte leur tenait toujours lieu de chaperons. Il entrebâilla la porte, et jeta discrètement un œil dans le couloir, se préparant psychologiquement à sortir son demi-mensonge. Personne en vue, ouf ! Les gardes leur avaient laissé un peu d'intimité. Ou plutôt ils en avaient eu marre de faire la plante verte devant la porte de sa chambre et ils avaient préféré profiter de la fête, quoi de plus normal. Tant mieux, cela arrangeait plutôt ses affaires. Il se fit aussi discret que possible, heureusement que tout le monde était à l'extérieur, les couloirs étaient plutôt vides. Il espéra qu'il n'allait pas mettre trop longtemps pour retrouver son père et commença à réfléchir à la façon dont il pourrait obtenir une entrevue avec son père sans trop attirer l'attention. C'était quelque peu ennuyant de devoir s’expliquer devant tous, il n'y avait guère qu’Yssim qui parvenait à l'approcher sans fournir un quelconque justificatif. Yssim mais bien sûr ! Il allait se mettre en quête d’Yssim et allait lui demander de prévenir son père s'ils pouvaient de toute urgence discuter en privé dans son bureau. Yssim devrait théoriquement ne pas être très loin du roi ou des festivités. Ça n'était pas vraiment plus simple niveau discrétion.
Il descendit les escaliers mais se cacha bien vite sur le côté car il commençait à y avoir plus de monde. Il passa par les cuisines où personne ne fit tellement attention à lui, les cuisiniers étant beaucoup trop occupés à faire griller encore quelques poissons et découper quelques fruits. Il attrapa au passage un panier de fruits qui avait été laissé de côté dans l'agitation, histoire de ne pas revenir les mains vides et rendre son escapade un tantinet plausible. Il sortit par la porte de service qui était restée grande ouverte pour ne pas mourir comme un petit pois à l'étouffée dans la chaleur des cuisines qui tournaient à plein régime. Idri laissa son panier de fruits devant la porte pour ne pas s'encombrer. Il reviendrait sûrement par le même chemin, et se mit en quête d’Yssim. Avec le nuage qui enfumait l'entrée des cuisines, Idri pouvait tranquillement observer la fête qui se déroulait sur la terrasse plus loin sur sa droite. De la où il était, il pouvait à peine distinguer la table principale et ne pouvait donc pas savoir si Yssim ou son père étaient là ou non. Il pouvait soit rejoindre directement la terrasse par le petit pont qui enjambait le premier lac du parc aquatique, mais il se retrouverait alors directement noyé dans la foule, soit contourner les jardins aquatiques par la rive gauche et utiliser l’entrée gauche du laboratoire aquatique. Il décida que la seconde option était la meilleure. Il éviterait la foule et pourrait observer tout le long du chemin si Yssim était dans les parages. Il espérait qu'il pourrait le localiser assez rapidement pour ne pas inquiéter Meera plus que nécessaire si son absence devait se prolonger.
La nuit était tombée depuis longtemps et il y avait beaucoup moins de monde que tout à l'heure, néanmoins, idri pouvait voir que la terrasse était encore bien remplie. Les quelques fourrés qui encadraient le parc aquatique dissimulant un peu sa présence. Quand il fut assez avancé sur le chemin, Idri put voir que son père et les autres invités étaient toujours à leur place à la table principale. C'était déjà ça mais Idri aurait préféré passer par un moyen détourné. Où diable était donc Yssim, il n'était jamais là où on l'attendait celui-là ! Idri était presque arrivé à l'entrée gauche du laboratoire aquatique, et ne voyait presque plus la terrasse. Il lui fallait emprunter le passage pour se rapprocher. S'il ne trouvait pas Yssim, tant pis il irait voir son père directement et lui demanderait une entrevue le plus tôt possible. Il traversa le laboratoire aquatique et ressortit presque immédiatement par l'entrée droite, ce qui lui permettait d'éviter le pont juste au-dessus. Sur la rive droite, il y avait déjà plus de monde, mais les villageois, enhardis par la fête, faisaient à peine attention à lui. Toujours pas de trace d’Yssim. Tant pis, il faudrait prendre son courage à deux mains, c'était trop important.
Quand il arriva sur la terrasse, il vit que Jacinda et Palak n'étaient plus là, ils avaient dû aller se coucher. Seuls restaient son père, le gouverneur, Jahro et Meroem ainsi que d'autres membres de la cour. Idri se racla la gorge:
¬ Père ?
Ibrahim se retourna brusquement:
¬ Idri que fais tu là ? Tu n'es pas avec Meera ?
Elle s'est endormie, mentit Idri, et je n'arrivais pas à trouver le sommeil à cause des affaires que nous avons laissé en suspens.
Il essaya de montrer sans lui dire qu’il l'avait dérangé pour une bonne raison, même si les invités alentour ne firent aucune remarque, il sentait bien que toutes les oreilles étaient aux aguets. Le roi eut l'air de comprendre l'allusion:
¬ Retrouve-moi dans mon bureau à la fin du service, nous pourrons en discuter rapidement.
¬ Oui père, merci.
Idri était soulagé, ce n'était finalement pas si terrible, il pourrait discuter avec son père à cœur ouvert de ce petit problème, qui n'était pas seulement amoureux mais aussi politique. Idri s'éclipsa aussi vite qu'il était venu. Il faisait encore chaud, Idri décida d'attendre en se promenant autour du palais et de prendre un peu l'air. Il eut envie d'aller prévenir Meera que son escapade prendrait un peu plus de temps que prévu mais il eut peur de s'éterniser, de rater l'entrevue prévue avec son père et surtout de devoir retrouver un alibi pour s'éclipser de nouveau. Il prétendrait avoir été retardé par les curieux. Il allait décidément devenir expert en mensonges… Pieux mensonges pour le bien de tous, se rassura-t-il.
Quand il estima que c'était l'heure, il commença à se diriger vers l'entrée du palais. Plus besoin de passer par les cuisines, il était repéré maintenant. Il fit quand même un petit détour devant l'entrée où la fumée avait depuis un peu décru pour récupérer son panier de fruits. Il allait monter le grand escalier quand on l'appela:
¬ Idri !
Le ton autoritaire mais néanmoins discret ne faisait pas de doute sur l'identité de son interlocuteur, Jahro. Son oncle était tapi dans l'ombre sous les escaliers, de sorte qu’Idri ne l'avait même pas vu arriver.
¬ Je n'ai pas eu l'occasion de te féliciter, dit il d'un ton ambigu qui voulait dire le contraire.
¬ Oui… Merci mon oncle, répondit Idri, plutôt mal à l'aise.
Qu'est que Jahro faisait ici ? Qu'est ce que ce vieux renard lui voulait, ce n'était certainement pas pour le féliciter, il savait pertinemment que son oncle ne le portait pas dans son cœur, il avait suffisamment eu l'occasion de lui faire comprendre.
¬ Je suis désolé, mon oncle, je dois vous laisser, je dois voir mon père. Jahro se leva du banc où il était assis et se rapprocha de lui:
¬ Mon garçon, il y a tellement de choses que tu ignores sur notre monde. Ton père t'a beaucoup trop protégé, et cela ne te rendra pas service.
Jahro avait la main gauche dans sa poche, triturant quelque chose, et soudain Idri eut peur, si peur qu'il fut tétanisé au point de ne plus bouger. Il laissa tomber son panier de fruits qui allèrent rouler au bas de l'escalier. Il resta ainsi pendant un long moment, son oncle en face de lui le regardant sans parler, sans faire de gestes, le visage froid. Idri tremblait de tout son corps et ressentait une angoisse qu'il n'avait jamais ressentie auparavant. Il avait dû mal à respirer, il sentait son cœur battre comme s'il avait couru un marathon et il avait le vertige. Il ne saurait dire combien de temps il resta ainsi, puis son oncle partit sans dire un mot.
Dès qu'il se fut éloigné, Idri commença à sentir les effets de son angoisse se dissiper. Il était encore un peu essoufflé, preuve que ses sensations avaient bien été réelles. Il s'assit sur la marche de l'escalier pour reprendre ses esprits. Qu'est ce qui s'était passé ? Il avait cru que son oncle allait lui faire du mal, mais il n'en avait pourtant rien fait. Et cette angoisse ! C'était inexplicable. Quand Idri se fut totalement remis, il se demanda combien de temps il était resté ainsi. Son père devait l'attendre depuis déjà un moment. Il n'allait pas être très content de son retard…
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