Chapitre 12
Quand Idri pénétra dans le bureau, ce qu’il vit en premier était le désordre inhabituel qui régnait dans la pièce. Les meubles étaient renversés, les papiers éparpillés et les bibelots en miettes. Puis ce fut cette odeur, forte, de sueur et de sang, cette atmosphère lourde et pesante qui oppressait déjà Idri, sans qu’il eût la moindre idée de ce qui venait de se passer. Enfin, ce fut la voix vacillante, d’habitude si vaillante de son père, qui acheva de matérialiser son angoisse:
¬ Idri…
Idri se précipita derrière le bureau, ou son père tentait maladroitement de se relever, mais parvint tout juste à se maintenir dans une position semi-assise. Son père avait l’oeil tuméfié, preuve qu’il s’était battu, mais surtout baignait dans une mare de sang, qui continuait de couler depuis son abdomen. Horrifié, Idri fut tout d’abord comme pétrifié: son père, qu’il avait toujours considéré comme infaillible, était dans une situation de faiblesse telle qu’il crut que son imagination lui jouait des tours. Puis il reprit ses esprits, attrapa un dessus de table qui trainait sur le sol et tenta de juguler la plaie béante d’ou le sang sortait à petits flots.
¬ Idri… reprit son père, ne t’acharne pas, je ne survivrais pas ce soir.
¬ Tu dis n’importe quoi, le coupa Idri, plus déterminé que jamais à ne pas laisser cette possibilité se réaliser.
¬ C’était inévitable, j’ai été fou de croire que j’arriverais à les contrôler.
Idri fronça les sourcils, de quoi ou plutôt de qui parlait-il? Dans un dernier soubresaut de volonté, le roi lui agrippa le bras et le regarda droit dans les yeux:
¬ Il y a des choses que tu dois savoir. Des choses que je t’ai cachées, pour te protéger. Et aussi pour la protéger. Tu n’es plus en sécurité ici, il faut que tu ailles la retrouver, elle saura quoi faire.
Idri eut peur de ne pas comprendre, ou plutôt eut peur de trop bien comprendre ce que son père voulait dire:
¬ Mais… de qui parles tu ?
¬ Je parle de ta mère, Idri. Yvoire est en vie.
Idri avait donc bien compris, mais les implications de ce que cet aveu signifiait le remplissait de tristesse, et aussi de colère. Il aurait aimé dire tout ce qu'il ressentait à son père qui avait cru que lui cacher la vérité serait pour son bien, mais il y avait plus important que cela à ce moment précis. La plaie de son père ne s'arrangeait pas, il perdait énormément de sang, et sur son visage d'habitude impassible on lisait la souffrance et la pâleur de la mort. Idri appela à l'aide mais personne ne vint, à croire que le palais qui une heure auparavant était noir de monde avait soudainement été déserté.
Son père posa alors sa main sur sa joue et le regarda intensément avant de rendre son dernier soupir. Idri, toujours pétrifié, réalisa qu'il venait de perdre la dernière chance de faire part à son père de ce qu'il ressentait. De son admiration pour lui, de son amour, mais aussi de la difficulté qu'ils avaient toujours eu à communiquer. Il resta là, hébété, assis par terre et tenant dans les bras le corps de celui qui avait été au centre du royaume et de sa vie, et qui maintenant n'était plus. Il réalisa aussi la portée des derniers mots de son père : sa mère qu'il avait cru morte pendant des années était en réalité vivante, quelque part. Les révélations de son père était troublantes car elles lui apportaient plus de questions que de réponses. Il perdait son père et gagnait sa mère, qu'il ne connaissait pas et qui ne le connaissait pas. Sans qu'il s'en rende compte, les larmes commencèrent à couler, symptômes du débordement d'émotions qu'il avait ressenties depuis ces dernières semaines.
C'est aussi sans qu'il s'en rende compte que plusieurs personnes commencèrent à arriver. Idri entendit de façon étouffée les premiers cris, et les mouvements des gens qui s'attroupaient devant la porte du bureau. À moitié hébété et encore sonné par le choc émotionnel, Idri réagit à peine quand les domestiques emmenèrent le corps du roi hors du bureau. Ils lui demandaient tous ce qui s'était passé mais Idri ne les écoutait qu'à peine. Son instinct de survie reprit un peu le dessus quand les domestiques voulurent lui enlever sa chemise autrefois blanche et désormais poisseuse de sang. Il lutta mais ils étaient trop nombreux et il était trop faible pour résister, et la chemise tomba. Cela lui fit l'effet d'une douche froide, et il se sentit nu comme un ver ainsi exposé. Il reprit un peu ses esprits et tenta de remettre ce qui restait de sa chemise sur le dos mais quelqu’un eut le temps de l'apercevoir et quand il entendit un cri de surprise il sut que son secret était éventé.
La foule s’arrêta net de fourmiller à droite et à gauche et tous les regards se portèrent sur Idri. Le silence général en disait long sur la stupeur de l'assemblée. C'est à ce moment, alors qu'il était dans l'état le plus vulnérable et misérable qui soit, qu’Idri aperçut son oncle Jahro qui venait d’arriver, le visage rude et fermé, ses yeux reflétant parfaitement sa contrariété. Il sentit qu'on l’amenait de force devant lui:
¬ Amenez le dans sa chambre se changer et ramenez le moi, nous aurons à parler.
Puis il se pencha vers lui et lui murmura dans un souffle narquois que seul idri put entendre:
¬ Tu vois je te l'avais dit que tu saurais tout seul démontrer ton inutilité.
Cette phrase résonna longtemps dans son esprit tandis qu'il se faisait raccompagner jusqu'à sa chambre. Les gardes ne semblaient pas ravis de leur mission et laissèrent Idri rentrer seul dans sa chambre tandis qu'ils l’attendaient devant la porte. Idri jeta un œil vers le lit, Meera dormait encore. Il se prit la tête entre les mains et s’écroula sur le sol, la tête encore embrumée de tout ce qui venait de se passer. Qui avait tué son père ? Et désormais qu'allait il advenir de lui, et de Meera par la même occasion puisque leurs destins étaient désormais liés? Peut-être la douche n'était-elle pas une mauvaise idée après tout, cela lui remettrait les idées en place. Il allait se diriger vers la salle de bains lorsqu'il entendit son nom derrière la porte:
¬ Idri, dépêche toi j'ai à te parler.
C'était Yssim. En d'autres circonstances, Idri aurait rit de la situation improbable car jamais l’ange ne lui avait directement adressé la parole.
¬ Yssim ? Que fais-tu là ? Et où sont passés les gardes qui m'attendaient ?
¬ Je les ai envoyés ailleurs, répondit Yssim, toujours imperturbable. Le temps presse, Jahro va te faire accuser du meurtre d’Ibrahim, lâcha Yssim, allant droit au but. Et ce ne sera pas difficile à croire étant donné que ta véritable nature a été révélée. Ibrahim savait que tu serais en danger dès lors que cela se saurait.
Et devant les yeux écarquillés d’Idri, Yssim lui passa la Larme Dorée autour du cou et fourra une pierre verte dans la poche de son pantalon.
¬ Tiens, prends ceci, Jahro ne doit les récupérer à aucun prix. Il ne lui faudra pas longtemps pour prendre le contrôle du royaume et me réquisitionner les clés de la salle du trône. Tu dois fuir, pour l'instant tu n'as pas les armes pour le combattre.
Idri aurait aimé donner tort à Yssim, mais il sentait qu'il disait malheureusement la vérité. Il s'était caché et n'avait pas voulu voir la réalité pendant trop longtemps. Jahro voulait le pouvoir et il haïssait Idri. Yssim avait raison. Pour sa survie, il fallait fuir.
¬ Et toi ? Jahro ne te fera pas confiance comme mon père, il voudra aussi se débarrasser de toi…
¬ Pour l'instant il ne peut encore rien faire tant que la loi n'est pas de son côté mais oui, ça ne durera pas longtemps. Et il voudra que je lui livre mes secrets avant de me jeter aux orties… Mais peu importe, je connaissais le marché.. Je saurais me débrouiller, j'ai encore quelques atouts dans ma manche, le plus important pour le moment est de mettre les talismans à l'abri. As-tu dit la vérité à Meera ?
Idri secoua négativement la tête.
¬ Comme tu veux c'est à toi de voir… Mais elle n'est pas en très bonne posture non plus, je ne suis pas sûr de ce que ton oncle a prévu pour elle.
Idri frissonna. En se mariant, Meera avait lié son destin au sien. Comment allait-il pouvoir lui expliquer la situation ?
¬ Dépêche-toi de la réveiller, tout le monde dort encore, c'est le moment d'en profiter. Et les gardes ne tarderont pas à revenir quand ils comprendront que je n'ai plus les bonnes grâces du royaume. J'ai encore deux ou trois choses à récupérer on se retrouve en bas.
Et il partit comme il était venu. Idri referma la porte. Décidément tout allait de plus en plus mal, maintenant il était obligé de prendre la fuite, et d'entraîner Meera dans sa galère alors qu'elle n'avait rien demandé. Il regarda sa chemise blanche maculée de sang. Il faudrait peut-être au moins qu'il se change, s'il ne voulait pas que Meera se réveille en hurlant. Il alla se laver en quatrième vitesse, attrapa la première chemise qui traînait. Puis il alla au chevet de Meera, qui s'était endormie en l'attendant. Idri avait le cœur serré d'être le responsable de briser son sommeil, elle qui semblait si apaisée, si belle. Il se prépara à ce qu'il allait lui dire :
¬ Meera ?, appela t il doucement en lui caressant les cheveux.
Meera finit par bouger un peu et commença à se réveiller doucement.
¬ Idri ? Combien de temps es-tu parti ? Je n'ai pas réussi à t'attendre ! Dit elle en baillant allègrement.
Idri triturait ses doigts, mal à l'aise:
¬ Je n'ai pas le temps de t'expliquer tout en détail, mais nous devons fuir aussi vite que possible. Mon père a été assassiné.
Meera était désormais bien réveillée.
¬ Mais.. Comment… oh Idri je suis tellement désolée.
Idri se sentait vide. Même les larmes ne venaient pas.
¬ Mais pourquoi faut-il partir maintenant ? Tu n'y es pour rien…
Idri déglutit, il n'osait même pas la regarder, lui expliquer dans les yeux que si justement on lui reprochait d'être la cause de tout ce foutoir, que c'était à cause de ce qu'il était, qu'il était pire qu'un bâtard, un être hybride qui n'appartenait à aucune espèce. Et qu'elle s'était mariée avec lui sans avoir connaissance de tout cela. Il ne pouvait pas lui balancer ça aussi brutalement, alors il éluda certaines parties.
¬ Mon oncle m'accuse du meurtre parce qu'il me déteste et que tout le monde a entendu que je devais rejoindre mon père dans son bureau cette nuit je suis donc le coupable idéal. Comme tu es ma femme, je te mets aussi en danger. Tu es libre de choisir si tu veux partir ou rester, tu pourrais même probablement faire annuler le mariage, mais je ne suis pas sûr que mon oncle l'entende de cette oreille. Nous devons partir vite, Yssim nous attend.
¬ Et ma famille, que va-t-il se passer pour eux ?
Idri répondit avec un peu d'hésitation:
¬ Comme ils ne sont pas directement liés à moi et que mon oncle a besoin des relations commerciales avec les îles du sud, je pense qu'il leur dira de rentrer chez eux.
Idri espéra qu'il ne se trompait pas, même s'il voulait que Meera fasse son choix en toute connaissance de cause, il pensait vraiment que Meera ne devait pas rester ainsi.
¬ Je suis navré, lâcha-t-il finalement je sais que c'est beaucoup… Est ce que tu veux être seule un instant pour y réfléchir ?
¬ Oui, souffla Meera, s'il te plaît.
¬ Très bien je serais derrière la porte, mais je ne pourrais pas attendre longtemps, ensuite je devrais partir, quel que soit ton choix.
Annotations
Versions