Chapitre 16
Idri et Meera marchaient à vive allure sur le plateau. Ils avaient décidé de ne pas passer par le chemin principal pour pouvoir plus facilement se cacher, mais de nuit et sans repères, cela ne leur facilitait pas la tâche. Idri dut plusieurs fois rattraper Meera quand la pente se faisait plus raide
Heureusement, Idri avait un bon sens de l'orientation et ils arrivèrent tant bien que mal sur le plateau principal. On distinguait tout juste la figure imposante du volcan. Précautionneusement, ils ne s’exposèrent pas et restèrent abrités à l'ombre des arbres qui bordaient le plateau. Derrière eux se trouvait la falaise et ses côtes escarpées qui semblaient telles des dents sur lesquelles venait s'écraser la mer, particulièrement agitée ce jour-là. Ils tendirent l'oreille pour vérifier si leurs poursuivants les avaient rattrapés, mais aucun son, à part le bruit des vagues ne parvinrent jusqu'à eux. Meera s’assit, les jambes encore tremblantes d'avoir marché sans discontinuer, la peur au ventre, la vraie peur, pas celle induite par la pierre verte qui avait bien failli leur coûter la vie. Elle leva la tête vers Idri, encore toute pâle des récents événements :
¬ Qu'est ce qui vient de se passer exactement ? Je n'ai jamais ressenti pareille terreur… Comment as-tu fait pour résister ?
Idri était tellement perturbé qu'il n'hésita pas longtemps à partager l'un de ses secrets avec Meera. Il sortit de dessous sa chemin le bijou qui pendait à son cou.
¬ On l'appelle la Larme Dorée. C'est un bijou qui vient de ma mère. Ce sont ses larmes. Par un mécanisme qu'on n'a jamais su expliquer, elles sont dorées. Toutes les îles alentour qui en ont entendu parler la convoitent, car l'or est un métal qu'on ne trouve pas chez nous.
Il marqua un temps, puis décida de continuer:
¬ J'ai découvert aujourd'hui que la Larme Dorée à aussi le pouvoir de contrer les effets de la pierre verte qu'a utilisé Jahro sur nous tout à l’heure. C'est comme ça que j'ai pu me libérer de son emprise.
Il repensa aussi à la bourse dans sa poche.
¬ Yssim m'a donné ceci, peut être que ça contient un indice qui pourrait nous aider.
¬ Bonne idée, regardons ce que c'est. Pauvre Yssim, il s'est sacrifié pour nous sauver, j'espère qu'ils ne lui feront pas de mal.
Idri ne répondit rien, Jahro ne manquerait pas de torturer l'ange pour lui soutirer toutes les informations dont il pourrait avoir utilité. Il ne saurait dire si l’ange survivrait à sa captivité. Quand Idri ouvrit la bourse, il fut surpris de découvrir une autre pierre, celle-ci de couleur rouge. Elle brillait aussi, d'une lueur plus faible que la précédente qui avait fait tant de dégâts.
¬ C'est drôle, je ne ressens rien de particulier avec cette pierre, fit Meera.
¬ Non, moi non plus, confirma Idri. Mais peut être qu'il faut la toucher pour que ça marche, ajouta idri.
Meera avança aussitôt la main vers la pierre et Idri dut l'arrêter de justesse:
¬ Non, nous ne savons pas ce que cette pierre peut faire, la sermonna-t-il sévèrement, nous pourrons nous poser la question lorsque nous serons à l'abri.
¬ Et où pourrons-nous nous mettre à l'abri ? répliqua vertement Meera, un peu piquée au vif de s'être faite gronder comme une enfant.
¬ Si nous arrivions à nous cacher le temps qu'ils abandonnent leurs recherches, cela nous faciliterait la vie… espéra Idri, peu convaincu.
¬ Et si nous retournions dans le volcan pour tenter d'ouvrir le passage que nous avons découvert ? suggéra Meera.
¬ Mais nous ne savons pas comment l'ouvrir... avança Idri un peu hésitant, et le volcan reste dangereux.
¬ De toute façon, si j'ai bien compris nous n'avons pas trop le choix. Au moins ils n'auront pas l'idée d'aller nous chercher là-bas.
Elle marquait un point.
¬ D'accord, concéda Idri, mais nous devrons passer la nuit de ce côté pour rejoindre le volcan seulement demain, car le passage est impraticable à cette heure-ci. Nous allons trouver un endroit sur la plage pour dormir, nous serons moins à découvert que sur le plateau.
Ils entreprirent alors de descendre sur la plage mais ils furent obligés d’emprunter le chemin principal, les bords du plateau descendant à pic et donnant directement sur la mer qui entouraient leur île. Ils y allèrent précautionneusement, à pas feutrés, sans entendre le moindre bruit, à part le bruissement léger du vent dans les arbres. Ils atterrirent sans encombre sur le rebord de sable. L’atmosphère était calme et paisible mais la nature puissante avait repris ses droits, et le passage escarpé était à peine visible à marée haute. La mer cependant, était lisse de tranquillité et s’écrasait doucement mais inlassablement contre les dents acérées des pics rocheux qui semblaient destinées à les couper en rondelles s’ils leur venait l’idée saugrenue de s’y aventurer.
Ils traversèrent la bande réduite de sable noir avec l’idée de se réfugier sur les bords de la falaise, un peu à l’écart du bras de mer qui séparait les deux parties de l’ile. Ils enjambèrent d’abord un amas de petits pitons rocheux puis un petit filet d’eau pour finalement arriver tout au bord de la falaise. Idri allait se poser la, les pitons rocheux ne les masquaient pas complètement, mais ca serait mieux que rien.
¬ Attends ! fit Meera, regarde par ici.
La falaise faisait comme une tour plantée dans l’océan, et finissait par une petite crête fine d’un mètre, un mètre cinquante de hauteur à sa pointe terminale et assez large pour poser un pied. Meera avait relevé sa robe et était à califourchon sur la crête, sans se soucier des vagues qui lui fouettaient le dos.
¬ Tu es folle, tu vas te tuer ! paniqua Idri en se précipitant vers elle pour tenter de la faire redescendre.
¬ Pas si vite, il y a un bout de plage derrière.
Elle continua dans son élan et passa de l’autre côté de la crête, ou une petite bande de sable menait à une anfractuosité dans la roche. Elle les protégerait un peu du vent et des regards. La petite plage n’était pas large, et ils furent bien arrosés par les vagues qui ne manquaient pas de s’écraser dessus, mais une fois arrivés dans la fissure, ils arrivèrent finalement à être au sec. Satisfait, Idri, qui n’avait pas cessé de jeter des coups d’oeil inquiets dans tous les coins, put se relâcher un peu et posa son postérieur avec lourdeur sur un caillou, comme écrasé par le poids de ses ennuis, qui somme toute s’étaient quelque peu complexifiés au fil et à mesure. Il espérait bien que désormais le compte était bon, car il ne pensait pas pouvoir en supporter davantage. Enfin, c’était toujours ce qu’il se disait, quand un nouveau problème finissait immanquablement par pointer le bout de son nez…
¬ Essayons de dormir un peu…dit-il à Meera, comme tentant de se convaincre lui-même.
Meera acquiesça et se pelotonna de son côté du mieux qu’elle pouvait contre les parois de la fissure, utilisant son voile de cheveux pour s’en envelopper. Il ne devait pas s’être écoulé une si longue période depuis leur fuite car la nuit était encore bien noire. Idri, dont l’esprit turbinait à mille à l’heure sans pouvoir se calmer, commença peu à peu à rendre les armes et à doucement s’assoupir quand il entendit au loin des bruits de frottements et de légers cliquetis. Malgré la fatigue et le manque de sommeil, son sang ne fit qu’un tour, et il réveilla Meera, qui s’était finalement assoupie sur son épaule, sans beaucoup de ménagements.
¬ Meera ! ils nous ont trouvés! chuchota-il en la secouant.
Il passa discrètement la tête au bout de l’anfractuosité et vit effectivement, tout au bout de la plage, les premiers soldats qui débarquaient le plus discrètement possible du chemin. Idri se plaqua contre la roche, et enjoint Meera, encore embrumée de sommeil à faire de même. Tous ses sens étaient aux aguets. Avec un peu de chance, Ils feraient demi-tour en voyant que la plage était déserte. Mais s’ils étaient un peu scrupuleux et passaient la plage au peigne fin, il ne donnerait pas cher de leur peau. Il jeta un deuxième coup d'œil rapide sur le passage. La mer s’était bien calmée, et on commençait à voir le chemin étroit entre les pics, mais de grands remous couvraient encore régulièrement le frêle sentier et le passage risquait d’être très glissant. Si les soldats dépassaient le passage avant qu’Idri et Meera n’aient le temps de s’y rendre, ils seraient définitivement coincés.
Il ne restait pas beaucoup de temps pour se décider. Ils attendaient, se rapant la nuque sur la paroi rugueuse, pendant ce qui sembla une éternité. Idri entendait les bruits de pas se rapprocher, puis doucement s’éloigner. Les gardes ne semblaient pas particulièrement motivés pour fouiller la plage au peigne fin. Idri supposa que Jahro ne devait pas être présent, la descente n’étant pas vraiment un cadeau pour ses genoux abîmés, de nuit de surcroit. Il remarqua aussi que les gardes étaient moins nombreux, ils avaient dû se séparer pour couvrir toutes les possibilités.
Il y avait deux gardes postés à l’entrée du chemin, et deux qui déambulaient sur la plage. Ils examinèrent d’un air circonspect le passage édenté, doutant visiblement que les fugitifs aient pu l’emprunter, puis firent demi tour, échangèrent quelques mots avec leurs collègues, et repartirent en patrouille remonter sur le plateau. Ca faisait toujours deux de moins à se préoccuper. Les minutes passaient, et les deux gardes au bout de la plage ne décollaient pas de leur poste. Idri comprit enfin qu’ils n’avaient pas l’intention de bouger, ils allaient surveiller le passage jusqu’à ce que Jahro ait décidé le contraire. La situation s'annonçait corsée. Idri se tourna vers Meera et lui communiqua les informations à messes basses.
¬ Deux soldats sont partis, mais il en reste toujours deux, qui vont probablement rester là jusqu’à ce qu’on leur en donne l’ordre. L’obscurité est un avantage et un inconvénient, en plein jour, nous ne pourrons plus faire un pas sans être repérés… Nous pourrions essayer de traverser le passage maintenant mais ça risque d'être très dangereux.
¬ Est ce que nous ne pourrions pas essayer de nager? suggéra Meera.
Idri secoua la tête:
¬ Les courants sont trop forts, ca me semble plus risqué de nager que de tenter de s’échapper par le passage. Mais pour faire ce que je pense, nous allons tout de même devoir nager un peu. Avec l’obscurité, nous devrions avoir le temps d’aller nous cacher derrière les pitons rocheux et de la, gagner le passage sur le côté. Comme la marée est descendue, si nous arrivons à grimper sur le côté, nous serons sur le chemin avant qu’ils se rendent compte que nous sommes là. Nous avons de la chance, aujourd’hui la mer est plutôt calme, il faut utiliser cela à notre avantage. Idri baissa les yeux avant de poursuivre le déroulé de son plan:
¬ Ta robe risque de te gêner, tu… tu devrais l’enlever, ajouta-t-il, gêné.
Meera leva un sourcil, il avait remarqué qu’elle avait ce tic quand elle désapprouvait quelque chose. Pourtant elle s’exécuta sans rechigner. Idri ne regarda même pas, focalisé sur leur but, qui n’allait pas être une partie de plaisir, mieux valait ne pas trop se déconcentrer. L’objectif était simple: d’abord, rejoindre le petit amas de pitons rocheux sans se faire voir, puis réussir à rejoindre le flanc gauche de chemin qui commençait à être de plus en plus visible. Il fallait se décider rapidement. Un nouveau rapide coup d'œil apprit à Idri que les gardes s’étaient assis, avec un peu de chance, ils étaient peut-être même assoupis. C’était le moment, il ne fallait pas tergiverser.
Autant Idri était parfois long à se décider sur la marche à suivre, autant une fois que la décision était prise, il l’appliquait sans états d’âme. Il fit un signe à Meera, et lentement, tels des chats, ils contournèrent l’épine qu’ils avaient dû escalader quelques heures plus tôt et dont la pointe plus basse était maintenant découverte, et gagnèrent la première étape sans faire un bruit. Ils s’accroupirent pour se cacher et attendirent quelques minutes de voir si leur première fuite avait marché. Le silence leur fit comprendre que oui. Un petit soulagement les envahit, l’espoir était donc encore permis, même si l’adrénaline de la suite qui les attendait reprit vite le dessus.
Idri regarda de nouveau entre les pics: les gardes n’avaient pas bougé. Ils étaient peut-être à une cinquantaine de mètres des premiers rochers délimitant le passage, et à deux cents mètres de plus des gardes. C’était donc parfaitement jouable de gagner le passage avant eux, même si une fois sur le chemin, ils ne pourraient pas les manquer, et il faudrait alors trouver une autre solution. Mais s’ils arrivaient à prendre un peu d’avance, ils auraient au moins un plus plus de possibilités pour se cacher que coincés sur une bande de sable. Ils auraient pour avantage d’être partiellement masqués par les hauts rochers qui marquaient l’entrée du passage. Idri compta dans sa tête, il ne fallait pas reculer, 3, 2, 1, partez!
Arrêtant de réfléchir et se consacrant entièrement à son objectif, Idri s'élança lentement, avec des gestes souples, à demi replié comme un animal se mouvant dans la nuit, vers les rochers, se préparant à courir au moindre signe suspect. Meera le suivit telle une ombre, calquant ses mouvements sur les siens. 5, 4, 3, 1 mètre, il toucha la pierre rugueuse et froide, mouillée par les embruns. Mais la ligne d’arrivée était encore loin. Toujours concentré, il continua d’avancer: il fallait maintenant nager. A ce stade, ils étaient presque hors de portée de vue des gardes, protégés par les hauts rochers. Ils ne redeviendraient visibles qu’une fois sur le chemin. Il leur faudrait tenir un maximum de temps sur le flanc du passage pour pouvoir gagner quelques précieuses minutes d’avance. Il fit signe à Meera de le suivre dans l’eau froide et glacée. Il savait, pour avoir tenté plusieurs fois de nager dans ce bras de mer, que sous le sable se trouvait la roche, qui tombait à pic dans une faille profonde dès que l’on entrait dans l’eau. Il ne faudrait donc pas s’éloigner des rochers. S'agrippant à la paroi, Idri entra dans la mer et entreprit de se déplacer le long des rochers, s'avançant de plus en plus dans le bras de mer. Meera le suivit, reproduisant avec application tous les mouvements et placements de bras d’Idri. Ils durent retenir un petit sursaut tant l’eau était froide et se déplacer n’était pas une mince affaire, leurs vêtements mouillés les rendant plus lourds, et le ballottement des vagues moins précis. Ils arrivèrent néanmoins à se déplacer petit à petit, lentement, sûrement. Ils avaient parcouru à peine un tiers du chemin quand un cri d’alerte se fit entendre. Idri pesta:
¬ Comment ont-ils pu nous voir, les rochers étaient supposés nous cacher!
Un regard en haut à droite lui apprit que ce n’étaient pas les gardes de la plage qui avaient donné l’alerte, mais les gardes arrivés en haut du plateau, qui avaient fini par les voir se déplacer.
¬ Vite, montons, cela ne sert plus à rien de rester dans l’eau, cela nous ralentit.
D’un geste vif, il agrippa un pic rocheux pour se hisser et aida Meera à faire de même. En quelques secondes ils furent sur le chemin. Les gardes de la plage, désormais bien alertés et avertis de leur présence, se précipitaient sur l’entrée du passage.
¬ Il ne faut pas traîner, nous avons à peine quelques instants d’avance.
Ils se mirent en route, courant à demi, pas trop vite pour ne pas glisser, pas trop lentement pour ne pas se faire rattraper. Ils faisaient pâle figure, trempés comme des soupes, les pieds nus, fuyant la fatalité et refusant de se soumettre. Idri ne pensait plus, à ce qu’il fallait faire ou pas, à ce qui était bien ou pas, tout ce qui comptait, c’était de retrouver la sécurité qu’il avait perdu et surtout, surtout, de rester en vie.
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