Chapitre 17
L’aube commençait doucement à se lever, projetant des pointes de blanc, de rose et de jaune dans le ciel encore bleu nuit qui peinait à sortir de sa torpeur. Idri et Meera, étaient eux bien réveillés. L’adrénaline et la peur qui pulsaient dans leurs veines leur donnait des ailes et leur faisaient oublier leurs pieds écorchés qui couraient sur le chemin édenté de cailloux. Ils étaient l’un derrière l’autre, l’étroitesse du passage les empêchant d’être l’un à côté de l’autre, Idri devant et Meera qui le suivait de près. Idri ne put s’empêcher d’être admiratif devant la résistance physique de Meera qu’il avait pensé beaucoup plus faible. C’était ainsi qu’il s’était toujours imaginé que devait être les jeunes filles de la haute société, bien à l’abri derrière leurs paravents et leurs carrioles. Il était heureux qu’il en fut autrement, sans quoi ils n’en sortiraient pas vivants. Et il était absolument hors de question qu’Idri s’enfuie seul. Ce serait eux deux ou personne.
Les gardes étaient maintenant arrivés sur le passage et s’étaient mis à leur poursuite. Avec leurs souliers et leur meilleure condition physique, ils rattrappaient peu à peu leur retard, mais Idri ne pouvait pas le savoir, car il foncait droit devant pour ne pas perdre de temps (ou ne pas paniquer) en se retournant. Encore quelques mètres avant d’atterrir sur la terre ferme… Ca y est, ils y étaient ! Ils grimpèrent quatre à quatre les marches de l’escalier de pierre menant à la grotte, tels des sauvageons poursuivis par le diable en personne. Idri sentit un souffle passer tout près de sa nuque et vit avec effroi la lance du garde s’écraser contre la paroi à sa droite. Il s’en était fallu d’un cheveu.
Ils se précipitèrent droit dans l’entrée principale de la grotte, espérant que leur dernière chance de s’en sortir vivants ne leur ferait pas défaut. Ils reconnurent aisément la porte secrète qu’ils avaient découverte au petit trou en forme de triangle que Meera avait repéré la première fois. Idri sortit fébrilement la pierre rouge de la bourse, et, oubliant les précautions qu’il avait lui-même précédemment préconisées à Meera, saisit la pierre à pleine main.
¬ Attends! cria Meera, qui elle visiblement s’en souvenait fort bien.
Mais sa voix lui parvint en sourdine, car Idri commenca a ressentir les premiers effets de la pierre rouge. Autant la pierre verte l’avait fait se sentir diminué, faible et privé de ses moyens, autant la pierre rouge avait l’effet inverse: il avait l’impression de s’embraser, se sentant puissant comme il ne l’avait jamais été, et surtout inondé par une colère dévastatrice. Il se sentait en rage contre le monde entier: contre son père qui lui avait caché la vérité toute sa vie, son oncle qui l’avait toujours méprisé comme s’il n’était rien, sa mère qui l’avait abandonné sans considération aucune pour son enfant. Les yeux flamboyants, il se tourna vers Meera, l’oeil mauvais, débordant de colère aussi pour cette fille capricieuse, qui fallait séduire et amadouer alors qu’il n’avait rien demandé, et il lui agrippa violemment le poignet. Alors Meera, Meera qui semblait ne jamais avoir peur de rien, se mit à avoir peur, peur de ce que ce garcon qu’elle croyait si gentil pourrait lui faire. Elle n’osait rien dire, et la panique se lisait dans ses yeux.
Dans un éclair de lucidité, Idri réalisa qu’à cet instant Meera avait peur de lui. Ce n’était pas normal, cette colère n’était pas lui, jamais il ne s’était révolté à ce point. Dans un ultime effort, il décida de combattre la colère qui s’était emparée de lui, lâcha le poignet de Meera et porta à la place sa main sur la Larme Dorée. La magie du pendentif fit aussitot effet, de nouveau, et ramena la paix dans son esprit. Tout cela n’avait duré que quelques secondes, mais la clameur à l’entrée de la grotte leur fit comprendre que les gardes venaient de pénétrer dans le volcan. D’un air entendu, Idri mit immédiatement la pierre rouge dans l’orifice. C’était leur dernière chance, et ils ne savaient pas trop à quoi s’attendre en jouant leur dernière carte sur une vague intuition.
Le suspense ne fut pas long, car la porte se mit instantanément à se lever du bas vers le haut. Dès que le passage se fut suffisamment ouvert, Meera se précipita à l’intérieur de la grotte, suivie de près par Idri. Dès qu’ Idri eut retiré sa main tenant toujours la pierre rouge du trou commandant l’ouverture, la pierre se mit à redescendre dans l’autre sens. Idri eut à peine le temps de se glisser lui aussi à l’intérieur que les gardes arrivaient. Avant qu’ils comprennent que les fugitifs venaient de les rouler encore une fois dans la farine et avaient trouvé une porte de sortie inconnue au bataillon, la porte s’était déjà refermée.
La pierre épaisse qui les séparait maintenant des soldats lui faisait parvenir de manière étouffée leur frustration, tandis qu'ils digéraient la leur. Ils venait de s'enfermer, volontairement de surcroît, dans les entrailles d’un volcan actif, sans savoir s’il existait une autre porte de sortie. Ils verifièrent qu'il existait bien le même mécanisme pour sortir, même s'ils n'étaient pas certains de pouvoir l'utiliser s'ils ne voulaient pas rencontrer leur comité d'accueil. En effet sur la droite, se trouvait un orifice semblable à celui se trouvent de l'autre côté. Ils supposèrent donc que le retour serait possible, mais se promirent de ne l'utiliser qu'en cas d'extrême urgence.
Ils avaient atterri dans un petit couloir sombre qui se poursuivait sur quelques mètres. Ils delaissèrent donc l'entrée de ce passage secret pour découvrir les lieux. Ils débouchèrent bientôt dans une gigantesque caverne partagée en deux par un gouffre. Et au milieu de ce gouffre, s'étendait une coulée de lave bouillonnante qui diffusait une chaleur épouvantable. On se serait cru dans les fourneaux de l'enfer. La bordure qui les séparait du liquide en fusion ne devait pas dépasser un mètre, et Idri et Meera n'osèrent pas s'approcher plus près. La lave était heureusement relativement basse par rapport à eux, le volcan semblait plutôt calme, si on pouvait parler ainsi concernant un volcan.
Il n'y avait aucun moyen de traverser le gouffre, aucune installation n'aurait d'ailleurs pu résister à la chaleur de la lave, la seule issue possible était donc de longer la bordure vers la droite ou vers la gauche. Comme le chemin vers la gauche avait tendance à descendre, suivant aussi son parallèle de l'autre côté de la paroi, Idri jugea qu'ils auraient plus de chance de peut être trouver une sortie vers l'extérieur de ce côté. Ils s'engagèrent donc précautionneusement, à la queue leu leu l'un derrière l'autre, sur le chemin étroit. Ils se tassaient instinctivement sur la paroi, mais la roche était chaude, ils devaient donc sans cesse jongler entre ne pas toucher les parois brûlantes et ne pas trop s'approcher des bords raides du gouffre. La lave diffusait une faible lumière, mais suffisante pour qu'ils puissent se repérer sans trop de difficultés. Au bout du gouffre, se trouvait un petit passage qui descendait abruptement, comme un toboggan. Cela voulait dire pas de retour en arrière.
¬ Regarde la bas ! s'écria soudain Meera.
Là, sur la gauche, dans le renfoncement de la pierre, on distinguait une petite ouverture. Ils s'approchèrent, intrigués. La roche faisait comme une petite cabane, ou visiblement, quelqu'un avait élu domicile. La cavité était très sommaire, il y avait un matelas posé par terre, avec quelques lambeaux de couverture. L'état général du lit leur faisait penser que s'il y avait eu autrefois quelqu'un, cette personne était partie depuis longtemps.
¬ Je ne pensais pas que quelqu'un serait capable de vivre ici s’exclama Idri stupéfait, ça devait être juste quelqu'un de passage…
¬ Je ne pense pas, le contredit Meera, regarde là, dit-elle en désignant une roche couverte de cendres. Avec un semblant de lit, un semblant de cuisine, cette personne a pu rester ici beaucoup plus longtemps que quelques jours. Il lui suffisait de s'éclipser dehors pour chercher de la nourriture et il aurait pu facilement survivre sans que personne ne se rende compte de sa présence. Tu n'as jamais entendu parler d'un ermite ? Ou d'une personne du village qui aurait mystérieusement disparu ?
Idri réfléchit un instant mais répondit par la négative.
¬ Depuis que mon père a été désigné roi, je ne me souviens d'aucun évènement de ce genre. Lors de la révolution des anges, il y a eu effectivement beaucoup de disparitions, mais cela remonte à l'année de ma naissance et la galerie donnant accès à cette grotte a été empruntée de nombreuses fois, ca aurait été très difficile que personne ne se soit rendu compte qu'il existait un passage secret. Sans compter qu'il aurait fallu la pierre pour pouvoir entrer.
¬ Oui mais si cette pierre provient bien de la salle du trône comme Yssim nous la montré, il en existe beaucoup d'autres. Toi aussi tu en avais trouvé, j'en ai vu au laboratoire aquatique.
¬ Ces pierres sont très différentes de celles que j'avais l'habitude de trouver… D'ailleurs à ce propos… Je te dois des excuses pour tout à l'heure. Je ne sais pas ce qui m'a pris. En touchant la pierre, j'ai ressenti une immense colère que j'ai très difficilement réussi à contrôler. Je pense que cela vient de la pierre.
Meera l’écouta avec attention et posa sa main sur sa joue:
¬ C’est vrai que tu m’as fait peur, mais je sais que tu n’étais pas toi-même. Je sais que tu ne me ferais pas de mal volontairement, tu es quelqu’un de gentil. J’ai appris à mes dépens à reconnaître les hommes violents, et tu n’en fais pas partie.
Idri profita de ce moment de répit en savoir un peu plus. Après tout, ils ne savaient pas grand chose l’un de l’autre, et il se demandait si Meera était vraiment la petite fille gâtée qu’il avait cru qu’elle était au premier abord:
¬ Est ce que tu parles de ton premier mari? il ne t’a pas bien traitée?
Meera baissa la tête, presque honteuse:
¬ Mon premier mari me battait. Il était beaucoup plus âgé que moi, je n’étais là que pour assurer sa descendance et si je n’obéissais pas assez vite, j’avais droit à ces coups de ceinturon.
Idri était choqué:
¬ Je te promets que jamais je ne lèverai la main sur toi, quelque soit nos désaccords. Et que lui est-il arrivé?
¬ Il est mort dans l’incendie provoquée par l’explosion du volcan”, répondit-elle laconiquement en détournant les yeux.
Idri avait l’impression qu’elle ne lui disait pas tout, encore une fois, mais il n’insista pas, elle n’était surement pas prête ou devait avoir une bonne raison de ne pas tout lui révéler. Comme lui-même avait ses raisons pour ne pas lui livrer tous ses secrets. Il savait qu’il lui faudrait un jour ou l’autre aborder le sujet, mais il repoussait chaque fois l’échéance, tétanisé à l’idée qu’elle puisse le rejeter.
¬ Et maintenant, quel est notre plan? dit Meera en soupirant et en s’affalant sur le matelas de fortune, qui dégagea aussitôt des grands volutes de poussière.
¬ Et bien, le but est de retrouver ma mère qui saura peut-être comment contrer Jahro, le hic est que je ne sais absolument pas ou la trouver. Yssim devait sans doute le savoir, mais maintenant qu’il est aux mains de nos ennemis, cela va être très difficile, il faudrait tenter de l’approcher pour... qu’est ce que tu fais Meera?
Idri s’était interrompu car Meera était désormais affairée à dépecer le pauvre matelas, qui crachait ses plumes par un des côtés qui était décousu.
¬ Ah! voila! j’avais bien senti qu’il y avait quelque chose dans le matelas!
Elle brandissait, triomphante, un carnet relié, qu’elle avait extirpé des tréfonds du lit abandonné. Idri ouvrit des yeux ronds.
¬ Mais ca alors! qu’est ce que c’est?
Meera ouvrit avec avidité et lut la première page:
¬ Ce journal appartient à Sénèque.
¬ Qui est Sénèque? l’interrogea Meera.
Idri dut une fois de plus affirmer son ignorance:
¬ Je n’en ai pas la moindre idée…
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