Il y a cette ombre qui s'étiole et s'atténue timidement jusqu'à presque disparaître dans les moments d'obscurité, mais qui est toute intense et audacieuse lorsque le soleil brille.
Une ombre qui s'étend, puis rétrécit, aussi volage que l'ego et l'humeur de l'humain qu'elle suit ou précéde, selon le moment de la journée.
Une ombre qui retranscrit des gestes sur un mur, par terre, n'importe où, mimant silencieusement chaque activité de son propriétaire, qu'elle soit réalisée maladroitement ou avec grâce.
Une ombre qui peut parfois trahir l'étourdi mal caché, traçant sa silhouette sur un rideau peu opaque, ou l'étirant au delà de sa cachette, aux yeux de tous.
Enfin, une ombre qui disparaît doucement, se fondant dans celle, totale, de la tombe, en même temps que le corps qu'elle accompagnait se décompose.
Petite flaque de ténèbres, aussi éphémère que lui, elle n'aura existé que quelques secondes à l'échelle de l'humanité.
Mais il y a aussi cette ombre qui reste derrière, presqu'immortelle.
L'ombre d'un sourire d'une grand-mère qui se retrouve dans celui de sa petite fille, rebondissant et sur le coeur du père de cette dernière lorsqu'il s'en aperçoit, le serrant avec nostalgie et mélancolie.
L'ombre de l'absence d'un oncle sur la chaise à bascule qu'il était le seul à faire doucement balancer, et dans son ouvrage préféré, à jamais usé et marqué par ses mains disparues.
L'ombre des idées, des convictions et des mots d'un gnostique révolutionnaire qui embrase le flambeau de ses descendants spirituels à travers ses écrits.
L'ombre d'un bienfaiteur anonyme derrière chaque gorgée d'eau salutaire d'un puit perdu dans un village isolé, continuant à désaltérer génération sur génération.
Une ombre de lumière, invisible, impalpable, et pourtant si perceptible.
La première ne faisait que dessiner et mimer un corps physique limité, voué à disparaître.
La seconde, éthérée, fait écho à l'âme qui l'avait modelée : s'étendant à perte de vue dans le temps et l'espace, poursuivant son existence au delà de la tombe.