Le refuge de Wanda
L'épagneul et moi nous retrouvions emprisonnés. J'avais laissé mon portable sur le dossier que je comptais faire remplir au futur propriétaire de Django. Je le voyais, il n'était qu'à trois mètres de moi, inaccessible. J'enrageai.
Aucun voisin proche ne pourrait m'entendre si je criais. La première propriété se trouvait à cinq minutes en voiture de mon refuge.
C'est d'ailleurs pour cela que je l'avais choisi, il était loin de la route, entouré de maisons, mais suffisamment éloigné pour me permettre de garder l'autonomie qui m'était chère. J'avais besoin de me prouver que je parviendrai seule à tenir cette auto-entreprise qui me tenait à cœur. Pour le moment, mon avenir funeste me faisait trembler de terreur. J'étais impuissante face à cette situation que j'aurais pu prévoir. Quelle gourde j'étais !
« Ne plus faire confiance, ne plus faire confiance », me répétais-je comme un mantra.
— Que faites-vous ? Vous rendez-vous compte que vous commettez une grosse erreur ? Croyez-vous vous en tirer comme ça ? Ouvrez-moi !
Mes supplications étaient stériles, inutiles, j'avais affaire à un monstre. Il avait dû certainement repérer les lieux bien avant de venir. Toujours sans un mot, il prit le trousseau de clés que j'avais posé sur une tablette avec mon portable et le dossier renfermant les fiches descriptives de chaque chien, essaya d'insérer chacune d'elle dans la serrure où patientait Django. Avec un grognement de satisfaction, il fit tourner l'objet de métal, ouvrit la cage et libéra le chien.
Django sauta immédiatement sur lui en le léchant, fou de joie, reconnaissant envers son libérateur, heureux d'avoir enfin trouvé un maître.
Mais un violent coup de pied dans les côtes modéra aussitôt ses ardeurs. J'assistai à la scène, horrifiée. Je réalisai tout à coup quel homme il était. Ce chien en manque d'affection qui avait été maltraité par un couple de personnes âgées incapables de gérer cet animal fougueux, qu'il fallait apprendre à connaître, se retrouvait maintenant entre les mains d'un homme mauvais qui n'aimait visiblement pas les animaux.
J'enrageai en mon fort intérieur, j'avais les larmes aux yeux. Django était un gentil chien. Allait-il en faire un monstre ?
Je savais que ces chiens étaient utilisés pour participer à des combats dans les bas fonds des quartiers malfamés. Je ne pensais pas à ma situation à ce moment-là, mais au terrible destin qui attendait mon pensionnaire.
J'avais créé ce refuge pour donner une seconde chance à tous ces animaux abandonnés et dignes de recevoir l'amour d'un maître.
Quelle vie ce brigand voleur de chien allait-il lui offrir ? Je retins mentalement les détails qui pourraient aider la police à retrouver ce piètre personnage. Je me promis de porter plainte dès que je serais en mesure de le faire.
L'homme avait prévu une laisse, il la sortit de sa poche de pantalon, crocheta le mousqueton au collier de Django et tous deux se rendirent à la voiture qui démarra en trombe, me laissant hagarde, stupéfaite, démunie.
J'avais quand même eu le temps d'apercevoir un tatouage sur la main de l'homme, une araignée grossièrement tracée à l’encre noire.
Sur la voiture quelques autocollants représentant des animaux, ceux que les chasseurs affectionnaient. C'étaient les seuls indices qui pourraient éventuellement être utiles à la police.
Je passai ainsi la nuit dans l'enclos avec Charly qui fut ravi de profiter de cette aubaine. Il reçut des caresses toute la nuit, chose qu'il n'avait certainement jamais vécue.
Lorsque la lueur du petit jour me réveilla, j'étais recroquevillée contre le chien, mon pantalon était imprégné d'urine, j'avais moi-même terriblement envie d'aller aux toilettes. Heureusement, le livreur de croquettes avait prévu de passer ce matin-là pour me réapprovisionner. Ses coups de klaxon annonçant son arrivée m’incitèrent à me relever, ce que je fis péniblement, engourdie par la longue nuit passée dans cet enclos inconfortable.
— Sandy ! cria Joël Rocard, quand il m’aperçut enfin, la mine défaite, accrochée aux barreaux de la cage. Que s’est-il passé ?
— C’est allé très vite. Un homme a volé un de mes chiens. Pour être sûr que je ne me lancerai pas à sa poursuite et m’empêcher de prévenir la police, il m’a enfermée. C’est stupide, je sais, mais il a bien manœuvré, il avait prévu son coup à l’avance.
Joël trouva une pince, écarta le portillon et me libéra.
— Il faut aller porter plainte, Sandy.
— J’en ai bien l’intention, mais d’abord je dois nourrir mes protégés. Pauvre Django, cet homme est violent, il lui donné un coup de pied. Il n’a pas l’intention de lui apporter de l’affection. Tu sais comme je me soucie de chacun de mes pensionnaires. Je voudrais tellement le retrouver.
Nous étions désormais au mois de novembre, je n’avais pas oublié mon chien, le premier à disparaître ainsi de mon refuge. C’était pour moi un constat d’échec. Comme j’étais fière et déterminée, je refusais toujours l’aide de qui que ce soit, mais, parfois , ma mère venait me donner un coup de main, malgré ses soixante-dix ans. J’étais sa fille adoptive chérie, elle était trop heureuse de m’épauler. Je ne pouvais pas refuser cette main secourable.
Elle trouvait que mon job était une folie, surtout économiquement. L’achat de la nourriture, les vaccins, les couvertures, l’entretien des enclos demandaient évidemment un budget important, et pour faire face, j’organisais des vide-greniers, des expositions ou des soirées diaporamas pour essayer d’augmenter mon capital qui s’amenuisait chaque jour.
Les gloutons que j'hébergeais pouvaient diminuer les réserves de nourriture de moitié en une semaine, il fallait gérer les portions de chacun pour éviter le gaspillage.
J’avais trop souvent rêvé de ce refuge pour admettre qu’il demandait un investissement important et douter que je puisse y arriver. En vérité, dans mon entourage, personne n’y croyait vraiment, certains me regardaient avec un œil étonné, évitant de me juger mais pensaient évidemment que l’entreprise était risquée. Mais comme ils connaissaient mon caractère bien trempé, ils n’osaient argumenter car ma passion pour les chiens était immense et rien ne pouvait me décourager.
Cela faisait seulement quatre mois que j’avais trouvé l’endroit idéal, et je n’en étais pas peu fière.
Un terrain municipal acheté une bouchée de pain grâce à l’appui d’une amie d’enfance, qui me dégotta aussi une camionnette d’occasion.
Cette région des marais poitevins que j’affectionnais était l’endroit où je voulais vivre.
J’avais passé mon enfance en ville, avec mes parents adoptifs, à Nantes, et je m’étais promis d’avoir une vie comme je la souhaitais loin du bruit et de la foule. Certes, il passait deux voitures par jour, sur la petite route qui jouxtait mon domaine, mais cela me convenait, je ne m’ennuyais jamais.
Je n’avais pas besoin de relations quotidiennes avec les hommes, l’amour des animaux me suffisait.
Ma mère dirait que cela était dû à mes blessures de jeunesse, et sans faire de psychologie bas de gamme, j’avoue que c’était en partie les disputes récurrentes avec mes amies de lycée qui m’avaient éloignée des gens.
Pourquoi m’engager dans des relations que je trouvais toujours toxiques ? Ma liberté était plus importante que le reste, et nouer des amitiés ou des relations amoureuses était secondaire.
Soudain, alors que j'étais concentrée sur mon texte de poésie, Wanda sauta sur mes genoux. C'était un spitz brun-roux que j'avais trouvé complètement déshydraté au cours d'une promenade en forêt.
Elle avait aussitôt fait chavirer mon cœur, malgré sa mine peu engageante. Elle s'était sans doute perdue, avait erré plusieurs jours. Malgré ses poils emmêlés et sales, son regard suppliant n'avait fait que me conforter dans mon sentiment, il me fallait l'adopter.
Emmitouflée dans une couverture de fortune trouvée dans la voiture, je l'avais posée près de moi, sur le siège passager. Je l'avais surveillée du regard tout au long du chemin car son état m'inquiétait vraiment.
J'avais atteint le seul vétérinaire du coin en moins d'une demi-heure, et par chance, le professionnel m’accorda quelques minutes juste avant qu'il ne ferme son centre.
Une auscultation rapide plus tard me confirma qu'elle n'avait pas de lésions importantes. Quelques croquettes et un bol d'eau fraîche l'avaient remise sur pied au bout de quelques heures. Je lui avais offert un panier dans lequel elle se lova jusqu'au lendemain matin. C’est à ce moment-là que j’avais décidé que mon chenil se nommerait «Le refuge de Wanda».
Mes paupières lourdes m’incitèrent à éteindre mon ordinateur, je frottai mes yeux endoloris par les heures passées sur l’écran. Je repensai au mail que j’avais reçu d’un blogueur qui aimait particulièrement mon style. Il m’avait écrit un poème. C’était touchant.
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