Chapitre 1
— Ma belle, si tu continues à regarder par cette fenêtre comme ça, tu vas finir aussi pétrifiée que ce bonhomme de neige.
Je détourne la tête un instant vers mon amie avant de reporter mon attention sur l’extérieur. Elle se trompe, ce n'est pas lui que je regarde, mais eux. Ce beau petit couple au cœur liquéfié.
— Allez, bouge toi un peu. Pour ton information, ce rebord de mur n'est pas conçu pour imprimer la forme de ton popotin. En plus, je ne comprends pas. Comment tu fais ? Tu n'as pas mal aux fesses comme ça ?
J'entends qu'elle s'agite tout en me parlant. Je ne sais pas trop ce qu'elle fait, mais elle semble déterminée, il n'y a qu'à écouter le rythme de ses bottines qui vont et viennent dans tout mon appartement. Pas deux minutes qu'elle est là, que c'est déjà la tempête chez moi.
— Et que veux-tu que je fasse d'autres ? Dis-je en soufflant et admirant toujours le calme hivernale de l’extérieur.
— Ben, je ne sais pas moi, picole, trouve-toi un beau mec, parce qu’à mon avis l'autre était tout pourri, il n'y a qu'a voir ta tête en ce moment, baise et recommence. Vis une vie quoi, au lieu de rester enfermée !
À l'écouter, ça semble d'une simplicité déconcertante sauf qu'elle semble oublier un détail essentiel. Mon plâtre. Pas franchement glamour pour draguer ou même pratique pour s'envoyer en l'air.
Je détiens aussi une information qu'elle n'a pas. Et c'est à cause de ce même renseignement que je ne veux plus avoir de vie sexuelle et amoureuse. Ça m'a coupé l'envie de m'amuser. Pour dire vrai, toutes ses choses insouciantes que j'aimais, j'ai cessé de les vouloir depuis le jour où cette même Lili que celle qui déambule dans mon salon, m'a trouvé par terre, pliée en deux par la douleur il y a à peu près un mois. Dans mes souvenirs, je me rappelle être stupidement tombée d'une échelle, tous ça après avoir voulu décorer seule mon toit à l'approche des fêtes. J'aurai pu mourir là, congelée, ornée de guirlandes lumineuses, mais la faucheuse si elle existe, n'a pas voulu de moi ce soir-là. C'est toujours un peu flou, mais je me revois encore dans la neige pouvant à peine bouger ma jambe droite, avec un mal de tête et un dos qui me lancinaient avant de m'évanouir. Je me souviens de la dureté du sol et du froid sur ma joue et de l'air ambiant glacial. C'était un sacré putain de mauvais moment. J'avais le sentiment que la vie voulait me punir, sauf que sans le savoir, ce n'était qu'une étape avant la suivante.
Voyant mon état, Lili a trouvé judicieux de m'expédier aux urgences. Je ne pouvais discerner son inquiétude, mais je la ressentais. Le choc m'avait secoué et j'étais légèrement dans les vapes, mais je savais que c'était elle qui me tenais la main. Les hôpitaux n'ont jamais été ma tasse de thé, mais dans le cas où j'aurai pu refuser, j'y aurai quand même atterri avec un coup de pied au derrière, façon meilleure amie. Parce qu’on ne refuse rien à Lili ! Cette femme est charismatique, jolie et très déterminée alors que moi, je suis plutôt du genre indécise en jean-baskets.
Là-bas, après être revenu à moi, ce bon docteur a voulu faire preuve de professionnalisme et a jugé nécessaire de me faire un examen complet comprenant une radio. Qu'est-ce que je pouvais faire si ce n'est que de le laisser travailler ? Il fallait bien qu'il vérifie qu'un os n'était pas touché au vu de l'importance de l'hématome se trouvant au-dessus de ma cheville droite. Manque de chance, celle-ci a révélée une fracture et une tout autre chose qui a mit ma vie entre parenthèse et auquel on avait pas songé (merci de me rappeler de ne jamais jouer au loto). J'ai découvert pendant que Lili était partie se chercher un café que j'avais une thrombose veineuse profonde. Ce qui veut dire entre autres, que je peux mourir n'importe quand.
Dans le compte rendu qu'il m'a été fait, on m'a expliqué qu'il s'agissait d'un caillou sanguin dans une artère principale empêchant le sang de bien s’irriguer jusqu'à mes poumons. Ce qui signifie, en gros, que je dois faire plus qu'attention à moi pour ne pas risquer l'embolie pulmonaire. C'est selon mes recherches un diagnostic plutôt alarmiste. J'ai lu que dans près de vingt pourcents des cas, l'embolie est vraiment fatale.
Depuis, je rumine de lui cacher la vérité. Je ne me suis pas senti capable de lui avouer ma mauvaise nouvelle lorsqu'elle est revenue vers moi et ça n'a pas changé. Je suis tout aussi terrifié de me voir disparaître de ce monde d'un claquement de doigts que pétrifiée de devoir le lui annoncer cette probabilité. Personne n'est près à vivre la perte d'un être cher. Surtout pas elle qui a déjà perdu l'ensemble des siens de façon tragique. Je suis pour elle, ce qui ressemble le plus, à une famille.
Ceci dit, je ne désespère pas de me sortir de cette situation avant qu'elle ne le découvre. Là-bas, le médecin m'a dit que j'étais un cas très sérieux, mais pas non plus extrêmement critique. Chaque mois, je devrais être suivie afin de voir mon évolution. Je n'ai plus qu'à bien me débrouiller pour qu'elle croit que c'est pour ma fracture, et non pour tout autre raison.
Je suis rentrée en mode bulle pour me protéger et j'en suis venu à préférer la compagnie d'un bon pull en pilou-pilou qui m'arrive aux genoux, et d'un bon bouquin, que de prendre le moindre risque à faire des galipettes avec un inconnu. Mais ça, je ne peux définitivement pas lui dire !
— C'est décidé, tu viens avec moi. Et je ne veux pas entendre une phrase d'excuse dans ta superbe bouche.
Au même moment où elle me dit ça, une avalanche de tissu m'arrive sur la tête. À peine le temps d'enlever le tas, que c'est mon ensemble de lingerie noir qui atterri sur mes genoux, avec un seul côté de chaussure noire.
Je l'a regarde surprise par son attitude quand elle me montre du doigt les fringues, c'est comme si elle avait prévu son coup d'avance. Je n'en reviens pas qu'elle est réussi à trouver quelque chose de potable dans tout mon fatras. Il ne manque presque rien à sa mise en beauté.
— Mais qu'est ce que...
— Mets ça !
Je secoue la tête pour refuser, je n'ai pas l'intention de bouger, ni t'enfiler ce truc. Je vais choper la crève et en plus c'est trop sexy. Maintenant, je comprends mieux ce que ma tornade fichait. Cette nana est butée.
— Je ne peux...
Je n'ai pas le temps de continuer qu'elle me bouscule un peu pour me faire descendre de mon perchoir.
— Hé, mais tu es cinglée !
— Oui, non. Peut-être, me dit-elle.
Sur le coup, je m'estime heureuse d'avoir toujours un pied valide et de ne pas m'être étaler, encore ! Je ris alors un peu de mon agilité tout en ne pouvant m'empêcher de la fusiller aussi du regard. J'aurai pu me blesser et devoir tout lui dire.
— Allez, ouste. La salle de bain est par là me désigne-t-elle. Je crois que tu connais le chemin.
— Mais je... tentais-je d'intervenir en attrapant mes béquilles.
— Veux pas savoir, continua-telle. Dépêche-toi.
En fait, peu lui importe que je sois claudicante. Je n'obtiendrais pas le dernier mot. Pas ce soir.
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