Chapitre 1

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Agoraphobie : Peur des lieux avec beaucoup de monde où il serait difficile de s'échapper.

Phobie social : Peur psychologique du regard et de la présence d'autrui.

Timidité : Manque d'assurance ou d'audace dans la réalisation d'une action ou dans l'interaction avec d'autres personnes.

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Dinan, petite ville de Bretagne...

Cette petite ville à l'aspect ancien, dont on peut sentir que le médiéval n'avait pas totalement laissé place à la modernité, subissait un froid mordant en ce début d'hiver 2018.

Emmitouflée dans sa grosse écharpe, trottinant sur le sol gelé, une jeune femme se précipitait pour atteindre une devanture de prêt-à-porter encore fermée. Elle fouilla dans son sac en bandoulière pour en sortir un gros trousseau de clés. Elle chercha celle dont elle avait besoin, l'inséra dans la serrure et souleva la grille pour enfin ouvrir la porte. Une fois à l'intérieur, elle désactiva l'alarme et commença à allumer la boutique.

Sa montre indiquait 6h45, lui faisant pousser un long soupir.

Il était encore tôt, mais c'était l'heure pour elle de démarrer cette routine lassante : allumer le chauffage, passer le balai, nettoyer le comptoir, ranger et trier les rayonnages, puis monter dans la partie des bureaux pour en allumer les lumières, lancer la cafetière, préparer les tasses de tout le monde ensuite vérifier les mails reçus durant la nuit.

Vers 7h30, la directrice entra dans la boutique, passa devant la jeune femme, sans lui adresser le moindre regard ni parole, et alla s'enfermer dans son bureau.

Elle lui apporta une tasse de café et une viennoiserie, puis sortit immédiatement pour aller s'occuper de ses croquis, jusqu'à ce que le reste des employés n'arrivent et qu'elle ne doive enchaîner entre les commandes de cafés et les moqueries masquées.

Son enfer commença surtout quand on l'envoya se charger de la boutique.

Yüna Kaelikast était une jeune femme de tout juste 31 ans qui travaillait pour une petite chaîne de prêt-à-porter depuis environ quatre ans. Elle ne détestait pas son travail, mais n'arrivait pas à s'y épanouir comme elle l'avait espéré en y entrant.

Yüna est atteinte d'une grande timidité qui a assez vite dérivé vers d'autres maladies assez complémentaires : l'agoraphobie et la phobie sociale.

Les gens l'effrayaient et ses collègues de travail s'en amusaient.

Savez-vous ce que l'agoraphobie peut faire à un être humain ? La dégradation psychologique d'une personne possédant déjà très peu d'assurance fait partie de cette maladie. Elle empêche ses victimes de pouvoir évoluer correctement dans la vie et leur retire cette flamme qui caractérise le genre humain à vouloir faire des choses et à se booster pour les accomplir.

L'Agoraphobie est une peur de l'être humain et des environnements plus ou moins restreints et dont la sensation d'insécurité peut mettre ces personnes dans des situations de stress ultime.

Imaginez-vous être enfermé dans un appartement de 20 m² avec une trentaine de personnes très bruyantes et qui vous empêchent de pouvoir atteindre soit la fenêtre pour respirer, soit la porte d'entrée pour vous enfuir et vous éloigner le plus possible du lieu.

Le milieu du travail est un domaine impitoyable pour les personnes atteintes de ce genre de maladie et la compréhension de ce traumatisme n'est pas spécialement facile.

Yüna travaillait justement dans un domaine qui a un besoin constant d'être au contact du client et qui stimule le partage et la créativité collective. Mais comment stimuler un collectif quand ce dernier rejette l'un des leurs à cause de cette maladie très mal identifiée et pas si bien connue que ça ?

Toutefois, ce qui dérange le plus, ce n'est pas tant qu'elle soit incapable de répondre sans avoir envie de fuir loin ou de pleurer à chaque fois qu'on lui adresse la parole, mais plutôt qu'elle soit vraiment très douée dans son domaine qui est la création de vêtements.

Que fait donc une femme dans le début de la trentaine, atteinte de phobie sociale, dans une entreprise de prêt-à-porter si elle ne peut côtoyer ses semblables et ne jamais voir ses créations être proposées ?

Malheureusement, c'est le lot de beaucoup de personnes talentueuses, de nos jours...

Yüna fut soudainement appelée dans le bureau de sa directrice. Prise de panique, elle dut s'y reprendre à deux fois avant de pouvoir prendre ses affaires sans les faire tomber sur le sol et arriver devant le bureau.

— Entre ! s'exclama la femme quand cette dernière toqua à la porte fermée.

— Vous... Vous m'avez appelée, Madame ?

— Oui, assieds-toi.

La femme agita sa main comme pour éloigner une mouche importune sans lui adresser le moindre regard, le visage penché sur un dossier étalé sur son bureau.

Dans la pièce se trouvaient trois autres personnes, dont une que Yüna redoutait plus que tout :
Gérard Davignan.

Un homme à l'approche de la cinquantaine, au crâne bien dégarni dont le gris était assez irrégulier. Il n'était pas très grand et plutôt bedonnant. Rien à voir avec le genre de garçon dont pouvait rêver Yüna.

Il lorgna vers elle avec cet air vicieux et déplacé, comme un pervers devant la sortie d'une école. La pauvre jeune femme tentait toujours de se tenir à l'écart de lui. Mais dès qu'il en avait l'occasion, il adorait l'approcher et la mettre dans un état de panique intense. Il s'en amusait et attisait cette envie de fuir. Visiblement, ça semblait l'exciter. Mais la jeune femme ne pouvait signaler ce problème à sa directrice, Madame Gelic, car ça voudrait dire qu'ils devraient se retrouver dans la même pièce et qu'elle devrait se confronter à lui. Rien que d'y penser, elle se sentait partir dans des tremblements de plus en plus forts.

— Yüna ! l'appela enfin Line Gelic, qui venait de relever son visage du dossier en question.

— Ou... Ou... Oui, Madame ! s'exclama la pauvre en sursautant.

— Je voudrais que tu étudies ce dossier et que tu me donnes un compte rendu détaillé pour demain matin.

Intriguée, Yüna s'avança pour récupérer ledit dossier et l'ouvrit. Son regard s'emplit de panique.

— Mais Madame !

— Quoi ? Tu as quelque chose à dire ? Je t'en prie, nous t'écoutons !

Humiliée, elle le referma contre sa poitrine et baissa la tête. C'était un coup bas et sa directrice le savait. Yüna n'avait pas la capacité de lui faire front et de rétorquer.

— C'est bien ce que je pensais, tu peux partir.

Congédiée, elle sortit précipitamment pour aller se réfugier dans les toilettes, afin d'y verser les larmes silencieuses qui menaçaient de la faire flancher.

[...]

De retour dans le grand open space, elle s'installa sur son fauteuil et ouvrit le dossier une nouvelle fois pour l'étudier plus en profondeur.

Elle n'en croyait pas ses yeux. Non seulement ce dossier allait être un enfer à gérer, car trop d'incohérences, mais en plus, elle n'avait que jusqu'au lendemain matin pour donner son avis sur le sujet.

La tête enfouie dans ses mains, Yüna poussa un long soupir tremblant, avant de se redresser pour vérifier l'heure : 12h40...

Elle attrapa son petit sac contenant son repas et quitta son poste pour rejoindre une petite place dans la ville où elle adorait s'installer pour prendre ses pauses ou juste se retrouver un moment. Elle sortit une petite boîte en plastique bleu passé de temps, une fourchette et commença à manger. Tandis qu'elle dégustait son repas sans grande envie, elle sortit ses écouteurs, les brancha à son téléphone et lança une application.

Elle eut le plaisir de voir l'émission de son groupe préféré : TRYomphe.

Son sourire se raviva enfin, balayant les quelques traces restantes de son état du matin.

Elle alla même jusqu'à fredonner l'air de cette nouvelle chanson que le boys band venait de sortir et qui passait durant l'émission.

Elle ne prêta pas attention aux passants qui l'observaient en murmurant des commentaires sur cette jeune femme étrange.

Une notification interrompit l'émission, faisant sursauter Yüna qui se précipita dessus.

« Salut, ma belle ! Ce soir, TRYomphe sera en live !! Tu y seras ? »

« Eh, salut Mika ! Bien sûr que je serai là !! Je vais en avoir besoin, tu sais qui sera en live ? »

« Tiens-toi bien... »

« Quoi ? Quoi ?!! Me fais pas languir !! »

« HAWKLY !! »

« QUOI ? PARDON ?!! HAWKLY ? »

Son cœur fit un bond dans sa poitrine et son souffle s'accéléra.

Hawkly...

Leader du groupe TRYomphe, c'était le garçon pour lequel elle avait le plus grand respect et dont elle était le plus fan.

Savoir que le jeune homme allait passer deux heures en live, tout seul, pour leur parler la rendait si heureuse qu'elle faillit crier dans la rue. Mais elle se ravisa assez vite, se rappelant de l'endroit où elle se trouvait. Elle répondit à son amie qu'elle avait rencontrée sur le net.

Mika, de son vrai nom Angelika Gontrand, était une Parisienne d'une quarantaine d'années bien entamées. Malgré la maladie de Yüna, les deux femmes s'étaient déjà rencontrées plus d'une fois. Elle était la seule que Yüna acceptait de côtoyer avec des câlins ou des embrassades amicales, car Mika était également une victime de cette maladie depuis une vingtaine d'années. Elles se faisaient souvent des séjours chez l'une et l'autre, c'était un peu comme un challenge pour elles. À cause de cette phobie sociale, il leur était très compliqué de faire entrer quelqu'un dans leurs vies, mais les rêves étaient permis, eux...

« Oh, Nyla ?! T'as mouru, ça y est ? » se moqua son amie.

Yüna pouffa en la lisant. Nyla était son pseudo en ligne. Le meilleur moyen pour rester anonyme, tout en profitant de pouvoir discuter sans devoir se dévoiler à des millions de gens sur la toile.

« Je suis là. Je suis juste trop pressée d'être à ce soir ! »

Quand elle avisa l'heure, Yüna mit fin à la conversation et retourna à l'entreprise pour finir son après-midi avec ce fichu dossier.

Mais à peine fut-elle rentrée que déjà Gérard s'approcha d'elle avec un large sourire.

Se sentant en grand danger, elle baissa la tête, serra contre elle son petit sac et rasa le mur à sa droite pour esquiver l'homme.

Il chercha à lui barrer la route, mais la jeune femme réussit l'exploit de le fuir sans qu'il ne tente de la pourchasser à l'étage.

Quelques collègues lui adressèrent des regards qu'elle ignora. Elle rajusta ses lunettes sur son nez et se concentra sur son calvaire du jour.

***

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