Présentation
Cela pouvait sembler étrange, mais la voix lénifiante de l’inconnu permit à Emma de reprendre son sang-froid. Il hocha la tête vers le type derrière son dos qui lui détacha les mains, et lui intima de rester tranquille. Elle bondit sur le côté en se frottant les poignets et dévisagea avec méfiance l’homme en costume.
Sa belle prestance et sa posture démontraient une assurance indéniable. La dangerosité qui se dégageait de tout son corps lui procurait la chair de poule. Une sensation de noirceur appesantissait l’atmosphère. Mais ses yeux l’effrayèrent davantage. Des prunelles dorées improbables la fixaient, elle n’arrivait pas à déterminer si son regard la glaçait ou la brûlait.
Elle sentit ses joues chauffer et se mit à trembler à la vue de son sourire en coin, alors qu’elle le détaillait sans vergogne. Il bougea et s’installa dans un fauteuil derrière un bureau en bois massif. Elle profita de cet instant pour scruter la pièce. Sur la droite, un salon couleur camel, une table basse en bois massif, ainsi qu’une bibliothèque qui habillait le pan de mur à l’arrière, et un bar situé dans un angle.
Le côté gauche servait de salle de réunion pourvue d’une table de conférence en verre et acier entourée de sièges. Le mur du fond se couvrait d’une dizaine d’écrans plats éteints. Enfin, son regard se posa vers ce qui l’intriguait le plus : la vitre occultée. Qu’est-ce qu’elle cachait ? Alors qu’un nouveau frisson de malaise la parcourait, ses yeux revinrent vers lui et croisèrent ses prunelles fixées sur elle alors qu’il prenait la parole.
— Permettez-moi de me présenter. On m’appelle Tôalsãr et je dirige cet endroit. Vous avez déjà rencontré Dan, l’un de mes lieutenants. Asseyez-vous, je vous prie.
Elle se tint immobile. Son nom n'était pas courant, nom ou prénom d'ailleurs ? Décidée à ne pas plier devant son ravisseur, elle leva le menton, et le défia du regard. Celui-ci le soutint, et alors que son visage restait immuable, une horrible sensation d’effroi la traversa lorsqu’il reprit la parole.
— Je vous ai demandé de vous asseoir, croyez-moi, vous ne souhaitez pas m’obliger à vous y contraindre.
Sa voix grave, basse et menaçante l’incita à battre en retraite. Elle s’installa sur le bord du siège face au bureau, soulagée d’avoir réussi à garder un visage impassible. Dan était adossé au mur près de la porte, les bras croisés, la jeune femme sentait son regard fixé dans son dos. Tôalsãr ouvrit un dossier posé devant lui.
— Bien, d’après nos informations, votre vie a pris un tournant assez inattendu ces derniers mois, mademoiselle Evans. Vous avez poignardé puis émasculé votre demi-frère, battu à mort et tranché les mains de votre ex-beau-frère connu pour ses actes de violence sur son épouse, mais jamais inquiété, et enfin tiré à bout portant dans la tête du meurtrier de votre père. Cela fait beaucoup pour une jeune femme sans histoires, vous ne trouvez pas ? Votre réputation vous désigne comme quelqu’un de timide, réservé et effacé, vous n’avez eu aucun démêlé avec la justice. Cette violence sanglante, sans pitié, contredit votre profil de citoyenne modèle. J'aimerais que vous m’expliquiez le pourquoi de ces meurtres et ce qui a déclenché en vous la décision de les commettre ?
Emma se sentit blêmir au fur et à mesure des paroles sortant de la bouche de cet homme, cependant, elle n’avait aucune intention de lui dire quoi que ce soit.
— Je n’ai rien à vous expliquer ! Et d’abord qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous me voulez ? Où suis-je ?
— Oh, mais vous avez beaucoup de choses à me dire, mais je peux être patient. Ou plutôt, je pourrais l’être dans une certaine mesure. Quant à vos questions, vous obtiendrez des réponses, mais pas dans l’immédiat. Alors ? Êtes-vous disposé à répondre aux miennes ?
— Allez vous faire foutre !
À peine acheva-t-elle sa phrase que l’homme bondit par-dessus le bureau et l’attrapa à la gorge. Il se pencha à quelques centimètres de son visage et planta son regard dans le sien. La vitesse à laquelle il s’était déplacé, alors que ses yeux prenaient une teinte ambrée flamboyante, la tétanisa. De plus une fragrance subtile, mais indéniable qui lui titillait les narines se dégagea de lui, lui donnant la sensation de la goûter sur sa langue. Elle reconnaissait cette odeur, une odeur presque semblable à celle qui s'était enroulée autour de son corps lors de ses deux derniers châtiments, mais elle échouait à l'identifier.
— N’avez-vous aucun instinct de survie ? Je ne tolèrerais aucun manque de respect. Alors je vous suggérerais de vous adresser à moi sur un autre ton, et avec une totale courtoisie. Me suis-je bien fait comprendre ?
Emma ne broncha pas malgré sa frayeur, refusant de lui montrer ses faiblesses. Au prix d’un effort considérable, elle soutint son regard dont l’intensité semblait atteindre son âme.
— Mmh... vous êtes effrayée, et pourtant vous réussissez à garder votre sang-froid. Mais cela ne va pas durer, l’odeur de votre terreur est trop perceptible, elle imprègne l’air de mon bureau.
Il la relâcha et regagna son fauteuil. Elle réprima son envie de mettre la main à sa gorge de nouveau meurtrie et tenta de juguler son tremblement irrépressible. C'est d'une voix rendue rauque par l'inflammation due à ses contusions qu'elle prit la parole.
— Vous exigez de moi des réponses alors que vous refusez de me dire qui vous êtes et ce que vous me voulez. Vous pensez réellement que je vais vous donner satisfaction ? Je n’ai plus rien à perdre. Et les hommes qui brutalisent les femmes me débectent. Oui, je suis terrorisée, mais vous n’obtiendrez aucune explication de moi, les raisons de mes actes ne regardent que moi. Vous pouvez faire de moi ce que vous souhaitez, je n’en ai rien à foutre.
Un sourire diabolique fendit le visage de Tôalsãr.
— J’espérais ce genre de réponse. Dan, tu vas l’emmener visiter nos locaux de bienvenue, et ce qui lui est autorisé, ensuite tu la ramèneras dans ces quartiers. Pour information, mademoiselle Evans, je ne brutalise pas les femmes. Je les forme. Vous êtes notre invitée, et je vous reverrai lorsque vous serez décidée à répondre à mes questions. Oh ! Je connais les raisons de votre quête, mais je veux l’entendre de votre bouche. Mon lieutenant vous guidera. Inutile de l’attacher. Cette jeune femme est assez intelligente pour comprendre que se rebeller ou tenter de s’enfuir est voué à l’échec, d’autant que nous nous situons sous terre. Je vous souhaite un séjour instructif.
Emma, abasourdie, resta sans bouger. Elle voulait comprendre et ouvrit la bouche pour exiger des explications, mais avant d’avoir pu s’exprimer, Dan l’empoigna par le bras et la tira vers lui en grommelant.
— Je te conseille de la fermer si tu ne veux pas aggraver ton cas, viens.
Elle prit sur elle et suivit le lieutenant, non sans fusiller Tôalsãr du regard. Celui-ci l’ignora et s’adressa à quelqu’un par le biais d’une oreillette qu’elle n’avait pas remarquée.
— Mila, je t’attends dans mon bureau immédiatement.
Il fixa Emma en prononçant ces derniers mots.
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