les montagnes
Les chevaux ont le dos fourbu et je suis un cheval. Mon dos me fait mal et je voudrais qu'on s'arrête là. Qu'on s'arrête. Qu'on ne reparte pas.
La sorcière me regarde depuis la croupe du cheval fourbu de mon frère. Elle a les yeux endormis, lovés sur son visage, blottis. Le dos de la sorcière est fourbu et sa bouche est tendre. Elle ramène sa crinière et son châle. On dirait qu'elle a pleuré.
Le vent ne souffle plus, mais l'air est plus froid que jamais. La nuit nous cherche. Elle nous trouvera, la route est claire et nous y sommes seuls. Tout ce qui cherche en ce monde nous trouvera ici. Sur les montagnes et le passage vers l'est où la nuit et l'hiver nous attendent.
Mon frère écarte son cheval de la route et l'amène vers les rochers qui sont là depuis toujours. Mon frère arrête son cheval et descend. Il doit être fourbu.
La sorcière s'occupe du feu, mon frère s'occupe des chevaux. Moi je m'occupe du ciel et de l'encre qu'a renversée la nuit. Je lis les montagnes comme des bouquets de fleurs. Et derrière nous, je m'occupe que nous soyons seuls.
Je dis :
Adieu, l'Empire, et le jour où nous avons failli mourir.
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