Chapitre 2

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Son exclamation fut reprise par d'autres personnes.

Oui, je n'arrivais pas à y croire, mais c'était bien le cas. Là dans cette cage se tenait un ange. Beaucoup de questions se bousculaient dans ma tête, mais avant que l'une d'entre elle n'ait le temps de se former complètement, il se produisit quelque chose que je ne parvins pas à comprendre.

Une pierre parcourut la distance qui séparait le public de la cage et vint s'éclater avec fracas contre les barreaux.

Elle fut vite suivie d'une autre, puis d'une autre. Des huées commencèrent à s'élever de l'auditoire.

Un brouhaha cruel fait de tintements métalliques et de cris emplissait à présent mes oreilles. Et sous mes yeux, la créature dans sa prison n'avait d'autre choix que de recevoir la lapidation lorsque les projectiles parvenaient à se glisser entre les barreaux.

Lorsqu'elle tentait de se replier sur elle-même, Belépine faisait immédiatement usage de son fouet, à l'abri derrière un panneau de bois, pour la forcer à se redresser.

Je tentai de crier « Arrêtez ! » mais je n'entendis pas ma propre voix tant le public était enragé. Que pouvais-je faire ? Si je me levais je risquais uniquement de me prendre l'une des pierres jetées par la foule. Je n'eus d'autre choix que d'attendre devant le spectacle sadique.

Le sang gicla plusieurs fois avant qu'enfin un panneau de bois similaire à celui de Belépine ne descendent du haut du chapiteau pour s'interposer entre les pierres et la cage. Le Monsieur Loyal utilisa un mégaphone pour demander le silence.

« C'est tout pour aujourd'hui mesdames et messieurs, j'espère que vous avez pu obtenir ce que vous vouliez ce soir. Si vous en voulez plus, n'hésitez à venir à la représentation de demain. À très vite messieurs dames ! »

Les membres de l'auditoire semblaient déçus, mais ils évacuèrent malgré tout lentement les lieux, jusqu'à ce que je sois le dernier dans les gradins. Belépine vint alors me voir :

« Alors Docteur ? Qu'est-ce que vous avez pensé du spectacle ? »

Je le saisis immédiatement au col.

« Ce que j'en ai pensé ? Vous me demandez ce que j'en ai pensé ? Vous avez dévoilé devant mes yeux une créature qui n'existe que dans les mythes avant de me forcer à la regarder se faire lapider. Comment vous pensez que j'ai trouvé le spectacle ?

-Wow wow wow, on se calme Docteur. »

Il claqua plusieurs fois des doigts et je vis alors arriver les membres de la troupe avec un air menaçant. Je relâchai à regret l'horrible bonhomme. Il reprit :

« Est-ce que vous avez une idée de qui est cet ange ? »

Je restais quelques secondes perplexes face à cette question, le matin-même je n'avais même pas idée que les anges existaient.

« Je vais vous dire moi qui c'est. Suivez-moi. »

Il m'emmena alors dans les coulisses où la cage avait été rapportée. Je pus voir cet être plus près que je ne l'avais pu jusqu'à présent. L'ange se tourna légèrement en nous entendant arriver.

Pendant un instant, nos regards se croisèrent et je pus y voir une compassion sans borne qui me pénétra au plus profond de moi, mais également une sévère mélancolie.

Le ton nasillard de Belépine brisa l'intensité du moment :

« Je vois les yeux que vous posez sur lui Docteur, mais ne vous laissez pas prendre au piège de son apparence. Laissez-moi vous poser une question, pourquoi le monde est-il dans l'état dans lequel il est ? »

Je fus encore une fois décontenancé, tout le monde connaissait la réponse à cette question...

« La guerre... commençai-je.

-Héhéhé, c'est ce que tout le monde croit, une guerre tellement rapide que tout était fini avant même qu'on sache que ça avait commencé. Mais vous avez tort de croire ça. Tout le monde a tort. Parce que ce que vous avez devant vous, c'est le putain d'ange qui sonné la putain de trompette de l'Apocalypse. Si le monde est dans cet état Docteur, c'est parce que Dieu nous a abandonné. »

Estomaqué, aucun mot ne parvint à sortir de ma bouche. Le maître des lieux en profita pour continuer :

« Il est descendu du ciel au milieu d'une grande ville, vous voyez. J'étais là quand il a soufflé dans son instrument de malheur. Une seconde avant que tout ne s'effondre.

« Quand le chaos est retombé, je l'ai vu au milieu des débris. Il regardait le ciel comme s'il attendait que Dieu le rappelle. Mais visiblement il était aussi seul que nous à présent.

« J'étais pas le meilleur des catholique, mais je connais ma Bible. Il ne m'a pas fallu longtemps pour faire le lien entre ce qui venait de se produire et l'ange qui venait de souffler dans une trompette. Et j'ai pas été le seul dans ce cas... Vous voyez les marques sur sa gorge ? »

En effet, maintenant qu'il l'avait fait remarquer, je pouvais voir des cicatrices sur le cou de l'ange.

« Plusieurs personnes lui ont sauté dessus quand ils ont compris la même chose que moi. Et un de ces gars a essayé de lui trancher la gorge.

« Mais comme il était pas le seul à vouloir lui faire la peau, ça a dégénéré en bagarre. Plus par chance que par force (même si j'ai bien balancé quelques torgnoles), il restait plus que moi à la fin.

« L'autre là a eu deux fois de la chance. Déjà ses blessures étaient pas très profondes. Je lui ai fait un bandage comme j'ai pu avec mon tee-shirt, mais apparemment ça a suffi. Quoique ça lui a sûrement niqué les cordes vocales parce qu'il a pas dit un mot depuis ce jour-là.

« Et ensuite il a eu de la chance parce que vu ce qu'il a fait, les autres l'aurait buté à coup sûr. Mais moi je voulais le garder, je savais qu'il serait utile.

« Je l'ai pris sur mon épaule et je suis parti me cacher. J'ai attendu mon moment, que les choses se calment un peu. J'ai découvert petit à petit la façon dont les choses allaient fonctionner. J'ai gardé notre ami ici présent dissimulé, le temps de trouver ma place dans ce nouveau monde. Le temps de trouver sa place dans le monde.

« Et puis, plus je me suis mis à réfléchir, plus j'ai compris ce que les gens voulaient. Ce dont ils ont besoin Docteur, c'est de vengeance. On les a jetés dans un monde effroyable qu'ils n'ont pas demandé. Une rage s'est accumulée en eux et ils ne savent pas contre qui la diriger. Je leur offre l'opportunité de l'assouvir. Et comme vous avez pu le voir ce soir, le bouche à oreille fonctionne bien. J'ai de plus en plus de spectateurs.

-Vous leur offrez un bouc émissaire en somme, répondis-je d'un ton caustique.

-Ça impliquerait qu'il est innocent Docteur, or, comme je vous l'ai dit, je l'ai vu de mes yeux le mener à notre perte. »

Je jetai un œil à l'ange dans sa cage. Il saignait toujours et son corps était couvert d'hématomes. Il ne soutint pas mes yeux et détourna le regard, l'air coupable. Je ne sus trop quoi penser de cela. Je repris la conversation avec Belépine :

« J'ai bien entendu votre petite histoire. Mais je ne vois toujours pas ce que moi j'ai à faire là-dedans.

-Ahhh, c'est la partie la plus intéressante, Docteur. J'ai découvert une chose intéressante à propos de l'ange. Ses blessures guérissent à une vitesse hors du commun. Grâce à ça, je peux tenir un planning d'une représentation par jour. Mais le public en veut toujours plus et je suis obligé de baisser le panneau en bois de plus en plus tôt chaque soir. Mais avec votre expertise, je serai capable de le pousser plus loin... à l'extrême limite. »

Ces paroles me mirent hors de moi. Je m'étranglais presque tant les mots fusèrent rapidement hors de ma bouche :

« Donc si je comprends bien, vous m'avez fait venir jusqu'ici pour que je le soigne pour que vous puissiez le torturer plus que vous ne le faites !? Vous êtes un connard cinglé ! Il est hors de question que je fasse cela ! »

Sur ce, je tournai immédiatement le dos à cette pourriture et je commençai à partir. Mais son ton amusé me fit m'arrêter :

« C'est comme vous voudrez Docteur. Sachez juste que même si je fais le plus attention possible à lui, je ne remettrai pas en cause le rythme des spectacles. Ça sera toujours un tous les soirs. Et avec le public qui enfle de plus en plus, qui sait combien de temps j'arriverai à éviter le pire. S'il meurt alors que vous auriez pu être là pour l'empêcher, n'est-ce pas un peu votre faute ? »

Mes poings se serrèrent. Il continua :

« Vous pouvez partir Docteur, mais vous aurez du sang sur les mains. »

Je me retournai. Je vis le regard brillant de cet enfoiré et l'ange qui souffrait visiblement. Je me rapprochai :

« Ok, Belépine, vous avez gagné, je reste. Mais... »

Mon poing toujours fermé arriva à toute vitesse sur sa gueule satisfaite.

« N'allez pas croire que je le fais pour vous. Maintenant allez me chercher ce que vous avez qui se rapproche le plus de bandages, du fil et une aiguille et votre bouteille d'alcool la plus forte.

-Hahahaha ! » Il était hilare avec sa main sur la joue. « J'aime ce genre d'attitude Docteur ! »

Il passa à côté de moi et je me retrouvai plié en deux. Il m'avait rendu mon coup dans l'estomac.

« Mais ne vous avisez pas de refaire ça. Je suis gras, je le sais, mais ça ne veut pas dire que j'ai oublié comment me battre. Ne bougez pas, je vais vous chercher ce que vous demandez. »

Et ainsi, une fois qu'il fût sorti des coulisses, je me retrouvai seul avec l'ange. Belépine n'avait pas encore déverrouillé la cage, je m'approchai donc des barreaux.

Ma conscience professionnelle me poussait à examiner ses blessures en priorité. Ses jambes étaient couvertes d'hématomes, mais il ne semblait pas y avoir de fracture heureusement. Les bleus se poursuivait sur son torse, accompagnés de plusieurs coupures. Il était possible qu'il ait une côte cassée. L'entaille la plus profonde ce situait au niveau de sa joue gauche et le flux pourpre ne semblait pas près de se tarir.

C'est pendant cet examen sommaire que je croisai à nouveau son regard. Je ne réussis pas à discerner leur couleur dans la lumière tamisée des coulisses. Elle semblait presque changeante. Mais je pus ressentir l'intensité des émotions de l'être. Son regard me pénétrait tel une aiguille, mais pourtant il n'était pas glaçant. Au contraire, il diffusait en moi une chaleur réconfortante. Je ne pouvais plus m'en détacher.

Je ne sais pas combien de temps s'écoula sans que je ne le quitte des yeux, mais une claque violente derrière la tête me ramena à la réalité.

« Je vous ai mis en garde Docteur, ne vous faites pas avoir, résonna la voix de Belépine. Ce truc c'est un poisson lanterne. Vous suivez la jolie loupiote jusqu'à vous faire gober tout cru. J'ai ce que vous m'avez demandé.

-Ah euh... merci. Vous voulez bien m'ouvrir la cage maintenant, que je puisse faire mon travail ?

-Bien-sûr, une petite seconde. »

Il sortit une clé attachée à son cou de sous sa chemise de Monsieur Loyal pleine de sueur. Il débloqua le verrou et je pus rentrer et me mettre à la tâche.

Mais je sentais l'attention glaçante de celui qui a peur qu'on abîme ses affaires.

« Vous pouvez nous laisser un peu d'intimité ? dis-je sans même le regarder. Je sais qu'on est dans un cirque, mais un médecin et son patient n'ont pas besoin de spectateur. »

Il n'y eut pas de réponse pendant quelques secondes, alors je tournai la tête. Voyant cela, il haussa les épaules et lâcha :

« Comme vous voudrez, mais je reverrouille la cage dans ce cas. Vous n'aurez qu'à m'appeler quand vous aurez fini.

-Faites, faites, répondis-je. »

J'entendis le bruit métallique de la serrure, puis ses pas s'éloignèrent. Je sentis un poids se retirer de ma poitrine quand je soupirai. Je jetai un coup d'œil au visage de l'ange, mais la connexion que j'avais ressentie plus tôt n'était plus. Ses yeux était vide. Non, plutôt, lointains...

Je me concentrai donc sur mes efforts médicaux. Je finis de désinfecter comme je le pus la plaie sur son visage. Il n'eut aucune réaction lorsque je commençai la suture.

J'avais espéré pouvoir en apprendre plus sur lui en étant aussi proche. Une part de moi espérait découvrir une supercherie d'excellente facture. J'espérais me rendre compte que les ailes étaient accrochées avec une colle particulièrement bien cachée. Mais non, biologiquement cette créature était un mystère. L'école de médecine ne m'avait pas préparé à ça.

J'avais enfin fini de faire ce que je pouvais d'un point de vue médical. J'avais installé des bandages là où c'était nécessaire et désinfecté autant que possible.

Il n'avait en réalité pas une mais deux côtes cassées. Avec du bon matériel je n'aurais déjà pas pu faire grand-chose, alors dans les conditions dans lesquelles je me trouvais... Je ne pouvais qu'espérer qu'il n'y aurait pas de complications et que le problème se résoudrait de lui-même.

Ayant fini mon travail, je tentai de communiquer avec l'ange. À voix basse, pour ne pas que Belépine nous entendent, je lui demandai son nom. S'il m'entendit, il n'en montra rien.

Après plusieurs autres tentatives infructueuses, je me résignai à rappeler son bourreau. Quand il revint, il laissa échapper un sifflement.

« Beau travail Docteur ! On a nos différends, mais je pense qu'on va réussir à s'entendre vous et moi. »

Son sourire m'écœurait.

« Oui, je repasserai le voir demain matin, répondis-je simplement. »

Je me dépêchai de retourner à ma caravane. Je ne voulais pas passer plus de temps que nécessaire avec cette ordure.

M'allonger à nouveau dans ce qui me servait de lit me semblait irréel à présent. J'avais l'impression qu'un mois s'était écoulé depuis mon arrivée au cirque. Je ne pouvais pas dormir, je pensais trop à cette journée... et à celles qui allaient venir.

Je n'avais pas choisi de rester pour imposer à cet ange une souffrance éternelle. J'étais médecin, j'avais fait serment de ne pas prolonger les agonies et je comptais bien m'y tenir ! La question était comment m'y prendre...

Deux problèmes émergèrent rapidement. Comment le sortir de sa cage et comment nous enfuir. Pour le deuxième j'avais la voiture dans laquelle j'étais venue, mais elle ne nous emmènerait pas loin. Il fallait que je me procure des pièces et que je la répare sans trop attirer l'attention.

Pour ce qui était de le libérer en revanche... Pour ce que j'en savais, il était possible que Belépine ait la seule clé. Et je ne savais pas crocheter une serrure... Je manquais d'information. Je voulais mettre en œuvre l'évasion au plus vite, mais trop me précipiter n'aurait pas été sage. J'allais devoir être patient... et espérer que l'ange parviendrait à tenir le coup jusque-là.

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