03 - Christophe rentre, la dispute
Le trajet lui paru long, Christophe pensait à sa femme et son fils qui l’attendait. Il les mettait de plus en plus de côté. Il retardait chaque jour un peu plus son retour à la maison. Tenaillait entre le remords et l’envie d’autre chose, d’une autre vie. Happé à nouveau par la spirale du jeu, il regrettait de se laisser entraîner sur cette pente, connaissant suffisamment les dangers, les pièges qu’il présageait. Il s'en voulait de glisser petit à petit vers ce besoin, cette pulsion malsaine qui faisait qu’il en voulait à sa femme d’être là, seul obstacle pour l'empêcher à nouveau de sombrer, gardienne attentive de son obsession, de ses débordements. Elle seule connaissait toute son histoire pour l'avoir vécu avec lui, elle seule saurait l'arrêter, enfin c’est ce qu’il espérait et redoutait à la fois. Un retour à ces vieux démons leur serait fatal, à lui et à sa famille. Il s'accrochait au côté anodin de son envie, minimisait son attirance, avec cette certitude qu’il serait maîtriser, contenir cette pulsion dans les limites du raisonnable pour ne pas se laisser déborder. Il n’avait rien dit à Adèle, il devait rester discret sur ces parties de poker. Mais tôt ou tard aucune de ses explications et de ses excuses sur ses retards ne serait plus suffisant. Elle comprendrait alors que tout recommencer comme avant quand il était étudiant, où le jeu le dévorait chaque jour, chaque nuit. Que peu à peu, le jeu reprendrait le dessus et consumerait leur vie comme il l’avait déjà fait. Mais tout cela n’arriverait pas, il en était convaincu. Ce n'était que quelques parties entre amis rien de plus. Étourdi par l’alcool et l’absurdité des ses pensées, tenaillait entre toutes ses contradictions, il s’en voulait à lui-même et à la terre entière de ne pas pouvoir se sentir libre. Il jeta un œil sur le siège passager ou il avait posé la carte blanche avec le numéro de ce type. Il repensa à leur conversation. Il lui promettait de lui faire rencontrer des joueurs, des joueurs de bon niveau, pas des amateurs. Il prit la carte, regarda le numéro de téléphone et la glissa dans la poche intérieur de sa veste. La vitre de la voiture côté passager légèrement ouverte laissait entrer un filet d’air parfumé par les odeurs de la nuit. Ce mélange d'herbe et de foin humide l'apaiser. Il aurait voulu continuer à rouler enivré par cette douce sensation de fuite, d’oubli.
*
Adam finissait de débarrasser la table quand la porte d’entrée s’ouvrit. Son père rentrait enfin. Christophe se déchaussa et déposa son trousseau de clé dans le petit panier en osier sur le meuble d’entrée, comme il le faisait chaque jour, dans un rituel millimétré. Ses gestes étaient mécaniques, comme si revenir chez lui, lui imposait de devenir quelqu'un d'autre. Il endossait une autre personnalité bien différente de celle qu'on lui connaissait à l'extérieur. Il se renfermait, devenait taciturne. Avec les années, le poids de cette routine domestique lui devenait insupportable. Il se sentait soumis à une sorte de rigueur, prisonnier des apparences imposées par l'image du chef de famille, une enveloppe rigide qu’il ne supportait plus. C'était à l'extérieur qu’il pouvait laisser éclater son tempérament, ses exubérances. La figure du père et du mari, qu'on lui imposait, l'écrasait, l’entravait dans ses envies. Il revenait chez lui à contrecœur. Il aurait préféré être seul, retrouver la maison vide. Toute cette ambiance l'étouffait. Il n’avait pas envie de parler, d’expliquer son retard, de faire semblant de s'intéresser à leur vie. Adèle ne le reconnaissait plus. Après toutes ses années ensemble, son couple se délitait. Elle se retenait pour ne pas laisser éclater sa peine et s'effondrait en larmes. Comment pouvait-il se comporter comme ça ? Sans attendre de croiser son père, Adam s'éclipsa rapidement de la cuisine, il pressentait la dispute qui éclaterait fatalement entre eux. Bien que sa mère n'élevait jamais la voix et que les disputes étaient rares et courtes, il ressentait dans l’attitude de sa mère, s’installer la tension. Son corps et ses gestes étaient devenus rigides, presque douloureux et son visage fermé, ne laissait aucun doute sur la tension intérieure qui la ravageait. Il jeta un coup d'œil à sa mère, cherchant à croiser son regard pour lui transmettre son soutien, mais elle était déjà perdue dans ses pensées, fixant le carrelage comme si elle cherchait dans le sol la force de rester debout. Chaque fois qu’il sentait monter la tension en eux, il préférait disparaître, s'éloigner pour se préserver de son père qui installait à ces moments-là une atmosphère pesante. Son visage devenait dur, ses gestes brutaux. Il s'éclipsa à pas feutrés et se mettait dans un coin, ne bougeait plus craignant le pire, se faisait oublier. Alors il monta l’escalier pour rejoindre sa chambre, mais s'arrêta sur les dernières marches pour écouter ses parents, curieux de savoir ce que son père aurait à dire. Peut-être que si les choses tournaient mal, il aurait à intervenir. Son père s'emportait facilement, surtout quand il n’arrivait pas à obtenir ce qu’il voulait. Adam avait en mémoire ces colères mémorables. Elles éclataient comme un orage dans un ciel d'été se couvrant peu à peu de gros nuages lourds, trop lourds à porter. Soudain, il explosait, libérait toutes ces tensions accumulées. Il voyait alors son père se transformer, emporté dans des rages incontrôlables. Pendant quelques minutes interminables, la folie le submergeait, l’envahissait, il perdait alors le contrôle de son corps et de son esprit. Il saisissait tout ce qui lui passait par la main et les projetait contre les murs. Les objets se tordaient, fracassés par la force du choc, explosaient en mille morceaux. Il brisait tout, mettait à néant tout son travail. Parfois des jours entiers disparaissaient ainsi détruit par son impatience, son insatisfaction. C'était surtout la mécanique qui le mettait bien souvent hors de lui. Combien de fois, il avait vu les entrailles de leur voiture étalées sur le trottoir. Face à l'impossibilité de régler la panne, combien de colère et de fureur avait-t-il déversé sur cette maudite carcasse. Le bricolage à la maison ne lui réussissait guère mieux. Rien ne semblait lui convenir, faisant tout à regret, s'épuisant dans des travaux qui s'éternisaient. Quand une colère le submergeait, quand cela arrivait, la stupeur s'abattait dans la maison, l'effroi et la peur s'emparaient d’Adam et de sa mère. Un silence terrible les étouffait. Pétrifiés sur l’instant, surpris par la brutalité, ils fuyaient pour se réfugier dans leur chambre. Puis la rage passait, son père se remettait au travail. Il fallait du temps pour que la maison retrouve son calme. Ils se déplaçaient sans faire de bruit, comme pris dans une gangue. Une tension épaisse et palpable baignait leurs mouvements. Les paroles étaient chuchotées, à peine murmuraient. La crainte de le voir à nouveau exploser de fureur les terrorisait. C'était sûrement la raison pour laquelle il bricolait de moins en moins et que les travaux de la maison n'avançaient plus. Pourtant, Adam avait toujours vu son père aller au bout des choses, reprenant là où il s'était arrêté, où la folie s'était emparé de lui. Ses emportements passaient, il se remettait à la besogne, comme résigné. Ce qui consolait et rassurait un peu Adam, c’est que son père n'avait jamais porté la main sur eux, passant ses colères sur le matériel. Jusqu'à quand tiendrait-il cette limite ? Sa mère avait-elle quelque chose à craindre de lui ? L'alcool pouvait-il lui faire dépasser cette frontière ? Il resterait là sur les dernières marches de l’escalier, tant que sa mère en aurait besoin, tant que les tensions ne seraient pas retombées.
Adèle avait demandé à Adam de laisser en place l’assiette et les couverts de son père, comme pour marquer l'évidence de son absence. Elle avait mille et une raisons de lâcher sa colère, mais elle se contenait. Volontairement et pour marquer son irritation, elle tournait le dos à la table. Elle s’affairait à nettoyer l’endroit où elle avait préparé le repas, ce qui signifiait que le dîner était terminé, qu’il arrivait trop tard et que, pendant qu'il traînait dehors, elle était à la tâche dans la petite cuisine à espérer qu’il ne serait pas en retard ce soir. Quand elle eut fini, elle posa l'éponge sur l’angle de l'évier et se retourna, les bras ballant le long de son corps épuisé, le bas du dos appuyait sur le rebord du plan de travail, dans une position d’attente. Elle lui faisait face, pour la première fois, elle résistait, se rebellait. Les minutes s'écoulaient sans qu’aucun ne prononce le premier mot, attendant que l'autre brise le silence. Ils savaient tous les deux que les prémices, que toutes les conditions d’une dispute étaient réunies. Mais elle voulait préserver ce qui restait de son amour, elle se retenait espérant encore qu’il devinerait ses sentiments. Christophe s'installa, silencieux, à la table en formica jaune de la cuisine, figé dans une position de retranchement. Elle l'observait avec insistance, remplie d'une sensation de désespérance comme une mère attend de son enfant qu’il se repente. Elle avait mûri ses questions et ses arguments pendant tout le temps de son absence. Pendant le repas avec son fils, elle n’avait rien laissé paraître, mais ses pensées et son angoisse lui étreignaient le cœur. Les retards de son mari devenaient plus fréquents. Cette situation de non-dit créait entre eux un malaise profond. Elle voulait des explications. Elle ne le laisserait pas se défiler, comme toutes les autres fois, toutes celles qui avaient précédé, sans avoir obtenu les raisons de son retard, de ses absences. Visiblement il avait bu, ses yeux brillaient, ce qui ajoutait à son sentiment d'appréhension. L'alcool pouvait amplifier ces réactions, ces paroles, ces gestes. Christophe releva la tête et dans une profonde inspiration d'exaspération, se sentant observé, il leva les yeux vers le plafond de la cuisine et lâcha enfin.
- Quoi ?
Ce “quoi”, résonna dans la cuisine comme un coup de poing sur la table. Elle ne s’y attendait pas et un léger frémissement remonta le long de son corps, la tétanisant de stupeur avant de sentir tout son être se raidir de peur.
- Je sais, je ne suis pas à l’heure pour manger. Et comme d’habitude, je vais devoir expliquer le pourquoi et le comment de ce retard. Sinon, je vais avoir droit à la grimace toute la soirée.
Elle bascula la tête en arrière et dans un souffle, un murmure à peine audible, elle lança.
- Je ne te reconnais plus. Comment peux-tu te comporter de cette façon ? Ça fait deux heures que l’on t’attend pour manger. Où étais tu ? Tu rentres sans prononcer un mot. Tu t'installes, comme si j'allais te servir. Je ne serai pas la boniche. Je veux bien cuisiner pour tout le monde, assumer seule cette charge quotidienne, mais il y a des limites.
Elle regardait vers la petite fenêtre de la cuisine par où passait la faible lumière de la rue, pour ne pas avoir à croiser son regard, les yeux embués de larmes. Depuis longtemps le soleil n'éclairait plus cette petite ouverture qui donné vers le monde extérieur. Elle parlait d'une voix contenue, ne souhaitant pas aggraver la situation. Malgré tout, elle voulait lui signifier son mécontentement. Christophe leva les yeux et détourna la tête pour regarder la porte d'entrée comme s'il regrettait déjà d'être revenu chez lui. Il repensait à la carte qu’il avait glissé dans sa poche, ce type et à sa proposition. Il suffisait de l'appeler et il pourrait jouer avec des pro. Ce type, ce Matt avait l’air sérieux, sa proposition lui tournait dans la tête. S'asseoir à une table est jouer avec de vrais spécialistes, une aubaine. Pourquoi était-il rentré, avait-il cédé à je ne sais quelle convention domestique, pour se retrouver assis à cette place ? Il aurait bien remis sa veste et serait bien reparti pour rejoindre ses collègues restés à la table de poker et échapper à cet interrogatoire. Lui aussi aurait aimé continuer les parties dans cette ambiance bonne enfant, où les petites phrases assassines fusaient, où les vacheries étaient un jeu de surenchère amicales, où celui qui vannerait le mieux obtiendrait le respect tacite des autres. Les blagues, les rires, le jeu, ses amis, tous étaient pour lui une bonne raison de ne pas rentrer dans cette maison où il devait affronter une vie triste, morne, éteinte. Il reprit avec plus de véhémence.
- Et voilà, je m’en doutais. Je peux sortir de temps en temps sans avoir à toujours me justifier ?
- Mais bien sûr que tu peux sortir. J’aimerais juste être informée. Ça m'éviterait d’avoir à attendre bêtement que tu rentres. Tu pourrais juste nous envoyer un message.
Elle s’excusait presque de lui demander des explications.
- Moi, j’ai envie de me vider la tête après le boulot, tu peux comprendre ça ? j'ai besoin de décompresser, de faire une pause, de penser à autre chose qu'au boulot. On se retrouve avec des collègues, on boit un verre, on rigole, rien d'extraordinaire. Je n'ai pas vu l'heure passer, voilà.
- Ça arrive souvent en ce moment.
- Et alors, il y a un quota à ne pas dépasser ? J’ai besoin de me détendre, c’est pas interdit ? J’en ai marre d'être surveillé en permanence, de rendre des comptes. Je ne suis plus libre de faire ce que je veux ?
Le ton de la querelle montait. Elle ne cherchait pas l’affrontement, mais juste un retour d’affection. Une seule parole de sa part à lui, aurait pu tout apaiser, mais il s'obstinait dans son attitude. Il ne lâchait rien, et surtout, il ne s'excuserait pas d'être en retard. En retard, rien que ces mots le répugnait.
- Tu as recommencé à jouer ? Hasarda Adèle.
Christophe se raidit. Elle comprit instantanément dans son attitude qu’elle avait visé juste, que le malheur revenait au galop, que ses vieux démons reprenaient le dessus.
- Tu as recommencé à jouer, c’est ça, mais tu m'avais promis que tu ne recommencerais pas. Que tout ça c'était loin derrière nous.
- Mais arrête, je joue avec mes collègues. Ils sont nuls. Je joue pour me détendre, rien de plus. On se rejoint près du port, c’est à quelques pas du bureau. Et on joue aux cartes rien de plus.
- Rien de plus ?
- Quoi rien de plus ? Tu imagines quoi.
- Vous jouez pour de l’argent ?
- Oui, on mise de l’argent, OK, mais des petites sommes. Personne n'aura de problèmes.
Sur ces derniers mots Adèle eut un instant de stupeur.
- Tu joues de nouveau pour de l'argent, reprit-elle ? Tu sais comment ça c’est fini la dernière fois. Je ne veux pas d’un nouveau drame.
- Tu ne vas pas recommencer avec cette vieille histoire, c’est du passé tout ça.
- Tu m’avais promis de ne jamais rejouer.
- Arrête.
- Pour moi, c’est encore là.
Elle se tapota la tempe de son index, comme si depuis tout ce temps elle était poursuivie par une pensée obsédante qui revenait cogné dans sa tête et ne disparaissait pas malgré tous ces jours, toutes ces nuits. C'était une ombre posées sur leurs premières années passées ensemble. Un souvenir sombre et menaçant. Un arrière goût amer, désagréable qui remontait dans sa gorge, remplissait sa bouche et lui donnait envie de vomir.
- Mais tais toi, tais toi. Arrête de me servir, encore et toujours la même histoire, grogna Christophe, et puis les gars s’en foutent, ils sont plein de blé.
- Mais que tu gagnes ou que tu perdes ce n’est pas le problème et tu le sais.
Le ton de sa voix s'était durci.
Christophe ne prêta pas attention à ses paroles et continua à défendre sa cause.
- Mais on joue des petites sommes pour donner plus d'attrait au jeu.
Il balayait la remarque d’Adèle comme si cela n'avait aucune importance, comme s’il ne saisissait pas le sens de son objection. Elle savait qu’il minimisait la vérité, que les choses allaient bien plus loin qu’il ne le prétendait, que ce besoin de jouer venait à nouveau le ronger.
- M'enfin Christophe, tu sais où ce jeu peut nous mener. Tu dis qu’ils sont plein d’argent, mais tu sais comme moi que ce n’est qu’une façade. Tu sais très bien que certains de tes collègues ont du mal à joindre les deux bouts, comment peux-tu te permettre ce genre de fantaisie avec eux ? ils sont comme nous ce n’est pas avec mon petit salaire de coiffeuse et ton salaire de chargé d'affaires qu’on peut se permettre de gaspiller l'argent dans des jeux de cartes.
- La prochaine fois je les laisserai gagner.
Elle marqua un temps de pose, comme si elle hésitait d'aller plus loin.
- Quoi ? Mais tu n'as rien compris. La prochaine fois, la prochaine fois.
Elle avait prononcé ces derniers mots se questionnant intérieurement et se projetant dans un avenir incertain.
- M’enfin, j'espère qu’il n’y aura pas de prochaine fois. Et ça fait combien de temps que ça dure ?
Il s'était redressé sur sa chaise près à bondir. Il ferma ses deux poings posés sur la table, se tourna vers elle et il la regarda d’un oeil noir. Elle venait de franchir une limite. Elle l'avait compris à l'attitude de Christophe. Elle n'attendait plus de réponses, la discussion était close. Elle se retourna et reprit son travail à l'évier.
- Tu trouveras des lasagnes dans le four, dit-elle résignée pour mettre fin à la dispute.
Une larme coulait sur les joues pâles d’Adèle. Le moment était si intense que ses jambes tremblaient.
Sur le haut de l’escalier, Adam avait écouté toute la scène. Il hésita un instant, puis il comprit que la querelle était finie, que tout était dit. Il monta les dernières marches qui lâchèrent un grincement sinistre et regagna sa chambre. Christophe leva les yeux vers l’escalier, entendit la porte de la chambre se refermer. Dans un geste brutal, il balaya l'assiette et le verre qui se trouvait sur la table. Un fracas de vaisselle brisée emplit la cuisine. Dans un sursaut tout le corps d’Adèle se raidit, les mains crispées sur le bord de l'évier. Il se leva, renversa la chaise. Il se plaça derrière elle, lui saisit le bras d’une poigne ferme et vigoureuse. Une décharge électrique douloureuse lui remonta dans le cou. Elle eut envie de crier. Il se colla contre elle pour lui faire davantage ressentir sa domination et dans l’intimité glacée d’un couple qui survit, il lui souffla dans l’oreille.
- Tu commences à me faire chier. Tu as vu ce que tu es devenu. Une mégère derrière ses fourneaux. Tu ressasses toujours la même histoire. Je vais continuer à jouer que ça te plaise ou non, j’en ai rien à foutre.
Il lâcha son étreinte et partit dans la chambre à coucher. La porte claqua. Adam assis sur son lit dans sa chambre, sursauta, il n’osait plus bouger. Le silence retomba sur la maison, étouffant. Adèle se frotta le bras, son muscle lui faisait affreusement mal. Elle ressentait encore la main de Christophe serré sur son membre endolori. Jamais il n’avait été violent. Jamais il n’avait porté la main sur elle. Mais elle comprit qu'à cet instant plus rien ne serait comme avant. Elle resta contre l'évier quelque instant. Elle avait besoin d’un peu de temps pour recouvrer son calme, tout son être frémissait de peur. Ce qu'elle savait maintenant, c’est qu’il passait à nouveau des heures à traîner dans les bars, à boire et à jouer aux cartes. Cette passion dévorante reprenait après toutes ces années et cela prendrait de plus en plus de place dans leur vie, elle en était persuadé si elle ne mettait pas un terme à tout ça. Elle avait compris qu’il reprenait goût au jeu. Il ne s'arrêterait pas, malgré ses alertes. La détresse de sa femme, de son fils lui importait peu. Cette addiction qui avait failli les séparer une fois, refaisait surface et exhumait de vieilles douleurs. Les souvenirs lui revenaient, elle ne voulait pas revivre ces instants terribles qui avaient coûté la vie d’un de leur ami au début de leur rencontre. Sa culpabilité dans cette histoire tragique refaisait surface. Elle avait sa part de responsabilité, elle le savait. c’est cette partie du drame qu’elle ne supportait pas de revivre. Malgré les années, cette histoire était toujours inscrite dans sa mémoire, le temps passe, les détails s'effacent mais sa culpabilité, elle, était toujours présente et lui rappelait sa faute. Elle l’avait suppliée d'arrêter et il avait juré de ne plus jouer. Elle avait pardonné de l’avoir embarqué dans cette tragédie. Mais il recommençait à perdre de l’argent, ou à en faire perdre à ses collègues et le drame qu’ils avaient traversé et surmonté ensemble allait se renouveler. C'était cet engrenage qu’elle redoutait le plus. Leur précarité, déjà ostensible, s'aggraverait. Le crédit de la maison n'était pas complètement remboursé et leurs salaires suffisaient à peine à boucler les fins de mois. Tous ses efforts, toutes les économies qu’elle faisait au quotidien ne menaient à rien, tout serait perdu. Elle le mettait en garde, mais il ne semblait pas préoccupé par les angoisses de sa femme. Un abîme s’ouvrait sous ses pieds, ils seraient tous engloutis dans ce néant, par sa folie, son goût du jeu et de l’argent.
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