07 - Christophe monte en voiture

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Christophe ne remarqua pas ce qui venait de se passer sur le trottoir d'en face, trop occupait à rire et à discuter avec la jeune femme brune. Elle s'engouffra et s’installa dans la voiture sur la large banquette en cuir noir et rouge, dont l'odeur aux notes sensuelle de tabac saturait l'habitacle. Elle aussi, restait indifférente à ce qui se passait autour d’elle, accaparée par le jeu de séduction qu'elle déployait pour charmer Christophe. Il s'installa à côté d’elle à l'arrière du gros SUV. Il semblait complètement étourdi par tous ses charmes. Depuis longtemps, il n’avait pas ressenti autant de sensations. Il se laissait emporter par ce plaisir de plaire, comme un adolescent flatté de séduire la plus jolie fille du lycée. Absorbé, les yeux fixés sur les contours parfaits de ce corps dont il devinait les attraits sous ces vêtements ajustés. Christophe ne voyait plus que cette nymphette aguicheuse, et tout ce qui se déroulait autour de lui s'effaçait dans un second plan flou et inaudible. Il avait accepté l’invitation de Matt et à cet instant il ne le regrettait pas. Depuis vendredi, le soir, il voyait Matt. C'était la deuxième fois et déjà il savait qu’il n’irait plus jouer avec ses collègues, il avait trouvé mieux, bien mieux que ces vulgaires amateurs. Matt lui offrait ce qu’il avait toujours désiré: une table avec de vrais joueurs. Le type aux allures d'athlète revenait essoufflé au pas de course et s’installa à l'avant sur le siège passager. Matt l'attendait, les deux mains campaient sur le volant près à partir, contrarié de devoir attendre le retour de son acolyte.

- Mais qu'est ce que tu fous, lui demanda t-il.

- Ces gamins m'ont fait courir. Je n'ai pas réussi à les rattraper, mais j'ai pris en photo la plaque du scooter.

Il avait du mal à reprendre son souffle. Ses paroles entrecoupées de grandes respirations ne facilitaient pas la compréhension de ses explications.

- Tu pourrais développer, demanda Matt qui s’impatientait et n’avait pas remarqué les deux adolescents qui avaient pris la fuite.

- Il y avait un gamin qui nous regardait sur le trottoir d'en face et qui nous prenait en photo.

Il fit une pause pour reprendre sa respiration.

- Il y en avait un autre avec lui, en scooter. Ils ont réussi à m'échapper, mais j'ai pris sa plaque en photo.

- Matt écoutait avec intérêt son récit.

- Je connais un gars, reprit l’acolyte, au service des immatriculations, il saura me dire à qui il appartient. Je n'aurai plus qu'à lui rendre une petite visite à ce petit curieux.

Matt le regardait visiblement contrarié.

- Mais c'est qui ces petits merdeux qui nous prennent en photo! Essai d'avoir les infos rapidement sur ces gars.

Christophe avait écouté la conversation sans en comprendre toute l'importance. La voiture démarra et sortit de la cour en projetant une volée de gravier avant que l'imposante grille ne se referme. L’acolyte consulta son répertoire et fit défiler sur l'écran de son smartphone plusieurs noms avant de trouver celui qu'il cherchait.

-J'appelle le gars des immatriculations, annonça t-il, comme s'il devait rendre compte de ce qu’il faisait à Matt.

La sonnerie du téléphone résonna plusieurs fois avant qu'un homme à la voix grave ne décroche.

- Salut Antho, tu peux me trouver le nom du propriétaire d'un deux roues ? Le numéro…, AA123AA.

Après un court silence, l'acolyte repris.

- Ok, tu m’envoies ça sur mon téléphone. Super merci.

Il n’avait pas fallu plus de dix minutes pour recevoir la réponse et connaître l'identité du propriétaire du véhicule.

-Je l’ai, s’exclama l’acolyte. Il s’appelle Thomas Vandrier, 27 rue des églantiers. C’est dans le quartier.

- Thomas Landrier, ça me dit quelque chose, releva Matt, c'est pas le môme qui a gagné le championnat régional de poker l'année dernière ? Il a raflé une belle mise. On devrait lui rendre visite et lui demander ce qu'il foutait là avec son pote à prendre des photos en douce. Je dépose notre champion chez Samy pour la rencontre de ce soir et on y va.

À l'arrière de la voiture, Christophe savait que Matt parlait de lui. C’est comme ça qu’il avait pour habitude de l’appeler: “champion”.

- Et demande à Serge, ajouta Matt, de t’envoyer la vidéo de la cour. Je suis sûr qu’on voit les deux gamins dessus.

L’acolyte s'exécuta. Pendant qu’il demandait à recevoir la vidéo sur son téléphone, Christophe, intrigué par cette agitation, qui prenait de plus en plus d’importance, se pencha en avant et demanda à Matt.

- C’est quoi cette histoire ?

- Je n’en sais trop rien, mais on finira bien par le savoir. Je n'aime pas qu’on fouine dans mes affaires.

Matt se retourna et jeta un regard à l'arrière.

- T’as rien à voir avec ça j'espère ?

Christophe resta muet et leva les épaules en signe d'ignorance. La voiture circulait sur le boulevard principal vers la salle où il devait jouer dans la soirée, un entrepôt de marchandise ou transitaient toutes sortes de marchandise plus ou moins égale, d'après ce qu’il avait comprit. Une partie en petit comité, avec des amis de Matt. Il s'enfonça dans la banquette et regarda à l'extérieur les arbres défilaient. Il oublia un instant cette fille dont le parfum lui tournait la tête. Un éclair de lucidité et de remords lui pinça le cœur. Il remontait le boulevard le long de l’Orne. Christophe aimait cette route, le fleuve, les arbres, il y avait quelque chose de majestueux et d’émouvant sur ce boulevard. Était-ce cette nature aux portes de la ville qui le charmait ? Le calme relatif de ses berges où ces grands arbres majestueux s'élançait vers le ciel et lui rappelait ces forêts qu’il aimait parcourir avec sa famille le dimanche après-midi, dans la quiétude et le bien être de la vie simple qu’il s'était construit. A cette instant, il aurait voulu être ailleur, avec sa femme et son fils peut-être. Mais il n’avait pas d’autre choix que d'obéir, il était piégé et il le savait. Il n’était plus question de faire marche arrière. Matt avait su l'impliquer suffisamment pour qu’il ne puisse plus se dérober.

- C’est bon, je l’ai.

L’acolyte brandissait son téléphone comme un trophée. Il déclencha la vidéo et se remémora la scène qu’il avait vécue quelques minutes plus tôt, mais sous un autre angle, celui de la caméra de la maison.

- Putain, il court vite ce petit con.

Matt le regarda un instant avec ce regard de chef qui désapprouve les commentaires imbéciles et inappropriés de son acolyte.

- Je m’en fout qu’il court vite, ce que je veux savoir c’est qui est ce môme.

L'acolyte, surpris par les paroles sèches de Matt, effaça son sourire imbécile de sa figure.

- Montre la vidéo à Christophe, ordonna Matt.

Matt surveilla sa réaction dans le rétroviseur. Christophe blêmi, il reconnaissait son fils qui partait en courant, suivi par un gars en scooter qu’il ne connaissait pas. Qu'est-ce qu'il faisait là ? Pourquoi son fils le prenait en photo. A sa figure décomposée, Matt sut tout de suite que quelque chose clochait.

- Qu'est ce qui t'arrive Champion, tu connais ce jeune qui nous observait ?

Christophe hésita.

- Non, jamais vu.

- Je ne te conseille pas de raconter des conneries. Quand j'aurais mis la main sur ce gamin, je saurai lui faire dire la verité et crois moi, il va me la dire. Les menaces de Matt raisonnèrent dans la voiture et dans la tête de Christophe. Sa jambe droite se mit à trembler. La fille le regardait désemparé et s'était imperceptiblement reculait au fond du siège. Plus question de rire ou de charmer qui que ce soit. L’atmosphère détendu et enjoué qui régnait dans la voiture, il y a encore dix minutes, s’etait transformait en un brouillard noir et pesant qui étouffait Christophe et cette pauvre fille.

- C’est mon fils, souffla-t-il.

La réaction fut immédiate. Matt pila, arrêtant la voiture au milieu du boulevard. Il braqua le volant et se gara sur le côté. Les véhicules, qui arrivaient à vive allure derrière, klaxonnaient à tout rompre et évitèrent la voiture de justesse. Les occupants de la voiture furent secoués par les manœuvres brusques, mais précises du conducteur. Chacun craignait que la colère de Matt ne retombe sur lui. Christophe se tassa davantage encore sur son siège, le visage blême. Il redoutait Matt et il cherchait comment calmer la fureur qui s'était emparé de lui. Il était aussi désemparé que surpris d’avoir reconnu son fils sur ce trottoir. Était-ce un hasard de circonstance qu’il l’avait amené là, ou était-il là intentionnellement ? Est-ce que son fils le chercher, enquêtait-il sur lui, à son insu ? Il ne trouvait aucun sens à tout ça. Tous les événements de ces derniers jours l'avaient précipité dans cette voiture. Il avait involontairement emporté avec lui sa famille dans cette histoire. Les regrets lui tordaient le ventre. Il prenait conscience de toute la dérive qui l’avait conduit là. Matt s'était montré affable, le premier soir, présentant Christophe comme un joueur hors pair, un champion, qu’il avait déniché dans un bar miteux. Christophe se sentait important et reconnu dans sa maîtrise du jeu. Il débarquait dans un monde qu’il ne connaissait pas et cela l’enivrait. Mais là, à cet instant, tout virait au cauchemar.

- Il va falloir que tu m'expliques ce qu’il foutait là avec son pote, aboya Matt.

- Mais, j’en sais rien. C’est peut-être un hasard. Il m’a reconnu et à pris une photo sans autre intention. C’est qu’un gamin. Je suis sûr qu’il y a une raison à tout ça. Laisse-moi lui parler, je vais régler le problème, implora Christophe.

- T’en sais rien ? Tu penses que ton fils a su où tu te trouvais comme ça par hasard ? Ben, tu as intérêt à savoir parce que moi je ne vais pas mettre toute l'opération en péril à cause de ton fils. Tu lui parles et tu lui fais bien comprendre que si je le revois ou que j'entends encore parler de lui…

Matt laissa en suspens sa phrase. Quelques secondes s'écoulèrent dans une tension palpable ou personne n’osa prononcer un mot. Matt s'était figé, les deux mains sur le volant, dans une position de réflexion intérieure, comme si tout son être bouillait. Il engagea la première et la voiture repartit dans le flot de la circulation. Soudain il rompit le silence, la voix posée et calme.

- Tu ne joueras pas ce soir, dit-il d’un ton impératif. Tu rentres chez toi pour régler le problème avec ton fils. Rien ne doit venir perturber mes projets. Fais ce qu’il faut.

Les mots étaient tombés comme une sentence. Christophe resta silencieux. La fille s'était détourné de lui, elle regardait vers l'extérieur comme pour s'échapper, pour fuir le plus loin possible de cette voiture, de cette réalité étouffante, oppressante. Les mains jointes entre ses cuisses, elle semblait s'être recroquevillée contre la portière, comme une petite souris apeurée, un petit animal fragile, attendant le moment le plus opportun pour s'échapper des griffes de Matt. Seul le ronronnement de la voiture remplissait l'habitacle. Chacun des occupants, le regard perdu dans ses pensées. Des pensées toutes différentes et opposées. Matt raccompagna Christophe à sa voiture. Avant qu’il ne claque la portière, Matt donna un dernier ordre.

- Tu passes demain en fin d'après-midi à mon appart pour faire un point.

Christophe acquiesça d’un hochement de la tête et ferma la lourde porte. La voiture s’éloigna, le laissant seul dans la rue. Christophe poussa un long soupir et ferma les yeux. Les événements le dépassaient. Il devait à tout prix préserver son fils, sa famille. Comment avait-il pu se laisser entraîner dans cette histoire aussi vite. Il avait perdu la tête, étourdi par les promesses de Matt. Mais qu'est-ce que faisait Adam à cet endroit et à cette heure ? Il devait éclaircir ce mystère rapidement et apporter des explications à Matt. Adam devait tout lui raconter.

*

Matt n’avait plus qu’une idée en tête; que faisaient ces gamins sur ce trottoir, face à cette maison, en train de faire des photos. C'était comme une obsession qui lui rongeait le cerveau. Soit Christophe essayait de le piéger et avait demandé à son fils de faire des photos pour le faire chanter le moment venu, soit son fils était un petit fouineur pas très malin, ou trop malin, mais qui ne savait pas où il mettait les pieds. Après toutes ces réflexions qui n'aboutissaient à rien et restaient une énigme pour lui, il s’adressa à son acolyte.

- Tu vas chercher ce Thomas et tu essaies d'en savoir un peu plus sur ce que faisait là ces deux fouille-merde.

Il le déposa à la prochaine ligne de tram. Avant que son acolyte ne descende, il ajouta.

- Et tu lui fais bien comprendre que mettre le nez dans mes affaires, ce n'est pas une bonne idée.

Matt reprit le boulevard, il retournait à la maison. Tout ce qu’il avait prévu pour la soirée tombait à l'eau, Christophe ne jouerait pas. Pourtant il fallait absolument qu’il l’évalue, qu’il sache ce que valait Christophe. La soirée de vendredi avait été un fiasco, il avait perdu partie sur partie. Maintenant ces gamins qui venaient tout compromis. Les photos, il serait difficile de les récupérer, comment être sûr qu’il ne les avait pas déjà diffusées, copiées ou envoyées à des copains. Il commençait à se demander si ce Christophe ne lui poserait pas plus de problèmes qu'il ne lui rapporterait d’argent. Quand son téléphone sonna.

- Allo, monsieur Volotchek,

- Oui.

- Je viens d’apprendre que des gamins prenaient des photos de la maison.

- Les nouvelles vont vite.

- Vous comprendrez aisément que je n’ai vraiment pas envie de me retrouver sur les réseaux sociaux avec des commentaires à la con.

- Je m’en occupe, monsieur le conseiller.

- Ne m’appelait pas comment ça ?

- Et comment voulez-vous que je vous appelle ?

L’homme a l’autre resta silencieux, avant de reprendre d’une voix ferme.

- Vous avez tout intérêt. Faites ce qu’il faut pour qu’elles ne soient pas diffusées.

- Vous me menacez, monsieur le conseiller ?

- … non bien sûr.

- Ne m'appelait plus sur ce numéro.

Matt raccrocha. Il jeta un œil au rétroviseur intérieur avant d’appuyant rageusement sur l'accélérateur. C’est là qu'il aperçut la fille qu’il avait complètement oublié, dans l’angle inférieur du rétroviseur, blotti contre la portière, elle était devenue transparente. Indifférent à son existence inutile, une simple poupée de chair, sans cervelle, il n’avait plus besoin d’elle. Il freina brusquement. A quoi lui servirait cette fille maintenant que la soirée virait au désastre.

- Dégage, éructa-t-il furieux, comme si cette fille était responsable de tout ce qui venait de se passer.

Heureuse de pouvoir enfin s'échapper de ce pandémonium, elle disparut à l’angle de la rue, en courant sur le trottoir avec ses chaussures à talon hauts, se tordant les pieds à chaque pas. La voiture redémarra bruyamment, laissant derrière elle, sur le bitume encore chaude de cette fin de journée, deux traces noires, bien visibles, des pneus du SUV.

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