08 - La confrontation père fils
Adèle se réveilla. Encore ce maudit escalier qui grinçait. Christophe devait monter boire un verre d'eau et passer aux toilettes. Toutes les nuits, c'était le même rituel. Il se levait vers deux heures du matin et malgré toutes les précautions qu'il prenait, immanquablement les bruits de l'escalier l’a tiré de son sommeil. Elle se retourna pour trouver une position confortable et se rendormit presque aussitôt. Ses journées au salon de coiffure l'épuisaient tellement, que le soir elle s’endormait bien avant lui. Il continuait à lire parfois tard. Elle ne le voyait jamais fermer la lumière de sa petite veilleuse. La soirée s'était passée sans heurt. Christophe était rentré vers huit heures, visiblement bouleversé. Adèle avait été surprise de le voir si tôt.
- Tu ne devais pas passer la soirée avec tes potes, lui avait-elle lancé, sarcastique, comme pour lui rappeler la distance qu’il mettait entre eux.
- Je n’y vais plus, avait-il répondu sans autres explications.
Elle avait ajouté une assiette et ils s'étaient mis à table tous les trois. Christophe resta silencieux une grande partie du dîner, figé dans une attitude maussade et lointaine, participant rarement à la conversation qu’Adèle essayait de maintenir. Il avait ri un peu, sans enthousiasme, des rictus forcés qui lui déformaient le visage, réagissant sans envie aux anecdotes qu’Adèle racontait sur les clients du salon et de ses collègues qui se moquaient en cachette de leurs malheurs. Ces quelques sourires l’encourageaient à poursuivre ses récits dans l’espoir de décrocher enfin un retour franc de son mari. Des tentatives désespérées pour maintenir l’équilibre du foyer, pour que Christophe ne s'enfonce pas davantage dans sa folie, pour que s’apaisent enfin les tensions entre eux. Elle s'interrogeait; avait-il renoncé à cette soirée de lui-même ? Était-ce cette contrainte de ne pas aller à cette sortie où il avait probablement prévu de jouer qui le contrarier ? Adèle ne pouvait que le supposer, Christophe refusait d’aborder le sujet. Dans cette ambiance artificielle, Adam pendant toute la soirée osa à peine regarder son père. Il repensait à cet instant où il l’avait vu sortir de cette maison avec cette fille aux formes indécentes, à leur fuite effrénée avec Thomas. D'ailleur il n’avait aucune nouvelle de lui. Il fallait qu’il récupère son numéro de téléphone pour échanger avec lui. Maintenant qu’il était lié tout les deux dans cette aventure et qu’il avait dévoilé la vérité sur son père, il se sentait plus proche de Thomas. Mais cela devait rester entre eux, personne ne devait savoir ou son père passait cette soirée et avec qui. Thomas devait rester discret, ne parlait à quiconque de ce qui l’avait vu et surtout pas de cette fille. En repensant à elle et à son père riant la mangeant du regard, il plaignait sa mère. D’ailleur comment faisait sa mère pour supporter tout ça ? Bien sûr, elle ignorant dans les détails ce que faisait son mari à l'extérieur, elle l’imaginait probablement et simplement à une table de poker avec ses collègues. Avait-elle conscience de tout ce qui se passait autour ? Pauvre maman si tu savais. Mais ce qui le tracassait le plus, c'était pourquoi était-il rentré si tôt ? Devait-il supposer qu’il en était la cause ? Persuadé que son père ne l’avait pas vu, il imagina d’autres raisons qu’il essaya de justifier, d'étayer par des arguments solides. Toutes se tenaient, mais aucune ne l'apaisait. Dans ses raisonnements, il voyait bien que le vrai motif lui échappait et il finissait toujours par en revenir à la même certitude incontournable; son père était rentré à cause de lui. Il se sentait oppressé, son père lui en voudrait. Tôt ou tard il payerait son imprudence, sa curiosité.
Le repas fini, Adam remonta dans sa chambre. Il prit son téléphone et pianota un message à justine: “pourrais-tu me donner le numéro de Thomas Vandrier ?”. Justine était une amie au lycée. Il la connaissait bien, il travaillait souvent ensemble. Il aurait fallu de peu de choses pour qu’il flirte avec. Justine était affable et possédait un réseau d'amis très large. Quelques secondes suffirent pour obtenir une réponse: “je ne l’ai pas, mais je peux le demander à un de ses potes”. Puis: “je croyais que tu ne m'aimais pas ?”. Adam répondit par un simple smiley “mort de rire”. Dix minutes plus tard, le numéro s'affichait sur son écran, justine avait obtenu le numéro. Il n’avait plus qu'à contacter Thomas et prendre de ses nouvelles. Malgré tous ses messages, Thomas restait silencieux. Pourquoi ? Soudain le téléphone vibra, Thomas répondait:
- Thomas: ils sont venus chez moi. Il m’ont frappé.
- Adam: qui ?
- Thomas: ce mec qui nous a couru après et un autre type.
- Adam: merde.
- Thomas: ils m’ont chopé en bas de chez moi.
- Adam: désolé
- Thomas: j’irai pas au lycée lundi.
- Adam: à point là.
- Thomas: il faut qu’on se voit. Thomas avait joint une photo de lui, de son œil tuméfié.
- Adam: putin les salauds. Ok, quand ?
- Thomas: mardi avant les cours.
- Adam: je suis désolé.
- Thomas: t'aurais jamais dû faire ces photos.
- Adam: quand j’ai vu mon père avec cette fille…
- Thomas: on aurait jamais dû aller devant cette maison.
- Adam: qu'est-ce qu’il t’ont dit.
- Thomas: on se voit mardi.
- Adam: comment ont réagi tes parents ?
Puis plus rien, plus aucune réponse. Thomas ne répondait plus.
*
Christophe entra dans la chambre où dormait son fils. Il alluma la lumière de la petite veilleuse. Adam ouvrit les yeux surpris de voir son père assis sur le bord du lit. Il se redressa légèrement encore engourdi de sommeil, dans un état de léthargie proche de l'inconscience. Son père venait rarement dans sa chambre et encore moins quand il dormait. Il pensait qu’il respectait son espace intime, qu’il se moquait bien de ce qu’Adam pouvait faire dans sa chambre et surtout que le manque d'intérêt qu’il avait pour lui, expliquait son indifférence. Mais s’il était là, assis sur son lit, à cette heure tardive de la nuit, c'était sûrement pour lui parler de ce qui s'était passé quelques heures plus tôt devant cette maison. Pourtant il était sûr que son père ne l’avait pas remarqué, trop occupé avec cette fille. Il s'était installé dans la voiture avec elle sans prêter attention à ce qui l’entouré, absorbé par les formes de la bimbo. Son esprit marché au ralenti encore somnolant.
- Donne-moi ton portable, dit-il sèchement.
- Pourquoi ? Adam se frottait le front encore endormi.
- Donne-moi ton portable, j’te dis.
Il répéta ces mots avec insistance, en appuyant sur chaque mots. Adam céda et tendit le téléphone à son père avec regret. Il l'avait placé à l’angle de sa tête de lit en mode silencieux.
- C’est quoi le code ? C’est quoi le code ? martela Christophe.
- 5, 6, 7, 8.
- J'espère que tu n'as pas partager les photos que tu as fait cet après-midi.
- Les photos que j’ai faites ? Je n’ai pas fait de photo.
- Je n'ai pas le temps de jouer à ça, Adam.
Après une hésitation, Adam céda.
- Bien sûr que non. Je voulais juste t'en parler avant, ajouta Adam pour expliquer son mensonge. Mais j’ai tout effacé. Chaque fois qu’il prononçait un mot, il le regrettait aussitôt, comme quand il avait dix ans et que son père lui reprochait de mentir pour se défendre: “Me mentir ne sert à rien Adam, je finirai par connaître la vérité”.
Christophe l’alluma et consulta le répertoire des photos. Les clichés qu’Adam avait pris en fin de journée apparaissaient sur l'écran. Une à une, il fit défiler les photos qui le concernait. Il se voyait avec cette fille dont il ne connaissait même pas le nom, la voiture avec Matt au volant que l’on distinguait à peine et son acolyte qui regardait l'objectif. Une autre personne se tenait sur le perron de la maison. En costume noir, il faisait pensé un homme important, un industriel ou un homme politique. Était-ce cette personne que Matt voulait protéger à tout prix de toute indiscrétion ? Il l’avait à peine remarqué lorsqu’il était sorti dans la cour, trop occupé avec cette fille.
- Tu te fous de moi ? C’est quoi ça ? Tu me dis que tu as tout effacé, mais toutes les photos sont là. Il faut tout supprimer et je ne veux plus en entendre parler. Tu as compris. Personne ne doit savoir. Si tu parles à quelqu’un de ce que tu as vu, je vais avoir de gros problème. Et quand je dis personne, ça inclut ta mère. Si elle sait, ça va foutre un vrai bordel.
- Il n’y en a pas d’autre ?
- Non, je n’ai pas eu le temps.
- Ça t'amuse de me surveiller ?
- J’étais là par hasard.
- Par hasard, tu plaisantes. Et me prendre en photo, comme ça, discrètement, à la dérobée ? Tu trouves peut-être ça marrant. Tu voulais en faire quoi de ces photos ?
- Rien, j’ai fait ça comme ça.
- Petit con.
Il devenait grossier, emportait par son exaspération. Mais Adam sentait dans sa colère, une angoisse, une crainte plus profonde que celle d'être démasqué par son fils. Il y avait dans sa voix de la peur. De quoi avait-il peur à ce point ? Il n’avait jamais craint sa femme. Il faisait un peu ce qu’il voulait sans se préoccuper des sentiments de son épouse, même si visiblement elle regrettait certains de ses comportements. Cette fois c'était sérieux. Il ne l’avait jamais vu comme ça.
- Comment as-tu su que j’étais là ?
- Je n’en savais rien, c'est un copain qui m'a montré l’endroit. Je vous ai entendu vous disputer maman et toi, l’autre soir et je voulais savoir où tu passais tes soirées.
- Alors tu m'espionnes. T’as fouiné et tu t’es fait prendre. Je vais avoir de gros problème à cause de toi et pas seulement avec ta mère. Car si elle apprend que je joue ailleurs, alors que je lui ai dis que je jouais juste avec des collègues, elle va devenir folle. Tu comprends ce que je te dis.
- Oui je comprends.
- Je n’en suis pas sûr, les gars que tu as pris en photo ne rigole pas. Ce qui se passe dans cette maison personne ne doit le savoir.
- Pour l’instant je garde ton téléphone.
- Mais papa, j’en ai besoin.
- Et bien tu t’en passeras. Puisque tu me mens chaque fois que je te demande quelque chose, je te le redonnerai que quand j’aurai vérifié qu’il n’y a plus rien dedans.
Dans son sommeil Adèle se retourna et elle se réveilla encore une fois. Cette fois-ci ce n'était pas le bruit de l'escalier qui la réveillait mais son absence, ce vide que Christophe avait laissé à côté d'elle. Elle ne sentait plus sa présence. Elle n'entendait plus le souffle régulier de sa respiration. Elle étendit le bras, mais sa main ne rencontra aucun obstacle. Le lit était vide et froid, il était parti depuis longtemps déjà. Elle se redressa sur son coude pour écouter les bruits de la maison en regardant le pâle rai de lumière qui marquait la position de la porte. Rien. Le silence et l'obscurité de la chambre pesaient autour d’elle. Elle se rallongea et ferma les yeux. Puis les rouvrit et chercha dans le noir profond de la pièce muette les raisons de ce silence oppressant. Où était-il ? Depuis combien de temps était-il parti pour que les draps aient eu le temps de refroidir ? Cette maison était vraiment mal fichue. Pourquoi la salle de bain et les seules toilettes de la maison étaient-elles là-haut au premier étage ? Cette vieille demeure n’avait rien de pratique. Quand ils avaient emménagé, ils avaient bien souhaité refaire la distribution des pièces. Mais tout s'était fait dans la précipitation et avec le temps, ils s'étaient accommodés à cette disposition. Finalement, ils n'avaient fait que quelques travaux d'embellissement, repeint les murs de la cuisine, mis du papier peint dans les chambres, mais rien de plus. Le problème majeur, depuis le premier jour, c'était cet escalier qui craquait à chaque fois qu’on l'utilisait. Christophe avait pourtant essayé de caler les marches avec de la mousse expansive, de consolider les contre-marches, mais rien n'avait fonctionné. Il avait fini par abandonner, vaincu, ne sachant plus quoi faire. Son absence l'inquiétait. Ils s'étaient couchés sans échangeait aucun mot, dans une sorte d’indifférence. Elle aurait aimé lui poser mille questions. Après les événements des derniers jours et leur dispute, elle se sentait meurtri. Ni le temps, ni personne ne pourrait estomper les mots qu’elle avait entendu, laissant en elle une trace de salissure que rien n'effacerait jamais. Elle voulait savoir ce qui se passait. Elle n'était pas tranquille, elle voulait en avoir le cœur net. Pourquoi s'absentait-il si longtemps en pleine nuit. Elle se leva et alla se poster au pied de l’escalier. Dans le silence nocturne de la maison, leurs voix lui parvenaient. Surtout, celle de Christophe qui parlait d’une voix étouffée dans la chambre de son fils, mais qui parfois haussait le ton. Elle ne parvenait pas à tout comprendre, ils parlaient de téléphone, de photos. Adam, lui, était à peine audible. Elle commença à monter l'escalier. La première marche grinça, dans un fracas sonore et lugubre que le silence emplifia. Adèle s'arrêta net, un pied en suspension.
Au bruit, Christophe se retourna brusquement vers la porte pour écouter. Ce bruit caractéristique de marches, il le connaissait bien. La nuit, dans le silence total de la maison, il n'était pas rare d’entendre vivre la vieille baraque. Elle respirait, laissant échapper ses plaintes nocturnes, dans de petits craquements mystérieux, indéterminés et inexplicables. Mais ce grincement de bois au son si particulier, il le connaissait bien. Il refit face à son fils et l'attrapa par le col et le tança légèrement.
- Tu la fermes, t’as compris ? Pas un mot à ta mère.
Ces derniers mots étaient une vraie menace. Adam pouvait lire la frayeur dans les yeux de son père.
Adèle renonçait à aller plus loin. Elle retourna discrètement sur la pointe des pieds dans la chambre à coucher et sassied sur le lit pensive. L’obscurité ajoutait une étreinte oppressante à son angoisse.
Christophe se leva et sortit précipitamment de la chambre d’Adam et referma la porte sans la clancher. Il descendit l’escalier à pas feutrés, sur la pointe des pieds, aussi souplement d’un chat. Mais comme à son habitude l’escalier lâcha un craquement fatigué et sec. Le grincement de la marche rassura Adèle. Pour une fois, elle était heureuse d’entendre les plaintes de ce vieil escalier. Elle s'allongea sur le lit, les yeux ouverts, scrutant l'obscurité. Elle l’avait maudit tant de fois, combien de fois elle s'était juré d'entreprendre quelque chose pour faire taire ce maudit escalier. Toutes les nuits, c'était le même problème, elle était réveillée par ces craquement de vieux bois aux assemblages disjoints. Elle ne le supportait plus. Pourtant à cet instant, ce bruit dans la nuit, se rappelle de l'anomalie de la maison, ce qui en faisait sa particularité, la libérer du poids de l'attente. Christophe poussa la porte et rentra dans la pièce. Une pâle lueur pénétra dans la chambre. Il referma et l'obscurité revint.
- Mais où étais tu ? j’ai l’impression que ça fait des heures que tu es parti.
- M’enfin où veux tu que je sois ? Je suis passé aux toilettes et j’ai bu un verre d’eau. Excuse-moi de t'avoir réveillé. C'est la faute à ce maudit escalier.
Il s'allongea près d’elle, posa le bras sur son ventre et embrassa son épaule.
Ces gestes simples d'affection marquaient-ils un retour à la normalité de leurs relations ? Elle voulait y croire.
- Bonne nuit, ajouta-t-elle encore troublée par tous ces mystères.
Il se retourna et lui présenta son dos. Elle eut du mal à retrouver le sommeil. Ses pensées se bousculaient, sans suite logique où se mêlait une part de rêve. Que s'était il passait avec Adam. Pourquoi Christophe s'était-il encore une fois attardé dans la chambre de son fils ? Le mieux était d’en parler avec son fils, Adam serait sûrement plus loquace. Habituellement, il ne lui cachait rien. Lundi matin au petit déjeuner, avant qu’il ne parte au lycée, quand saurait sûr de ne pas être surpris par Christophe, elle lui ferait part de ses inquiétudes. Mais d’ici là, elle devait attendre. Toutes ces questions se bousculaient dans sa tête. La fatigue l'emporta.
Quand elle se réveilla au petit jour, une faible lumière glissait entre les volets clôts. Les événements de la nuit lui revinrent. Elle repensa à leur querelle de mercredi, à l’absence prolongée de Christophe, au bruit de l’escalier, au silence de la maison, à cette nuit agitée, à ces paroles inaudibles provenant de la chambre d’Adam. La journée commençait sans entrain. Elle serait bien restée une heure de plus sous les draps. Mais, elle pensa à sa journée. Elle s'était donné comme objectif de profiter de son dimanche matin pour s'avancer dans les tâches ménagères. Comme d’habitude elle se réveillait tôt et n’arrivait pas à se rendormir. Déjà en semaine chaque matin, c'était la même chose, elle avait toujours un quart d'heure d’avance sur la sonnerie. Le réveille n'avait jamais le temps de sonner, elle avait déjà les yeux ouverts, l’esprit bousculer par tout ce qu’elle avait à faire. Elle tourna la tête, Christophe dormait encore.
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