10 - La deuxième nuit

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Christophe était assis sur le bord du lit. Il pénétrait dans la chambre de son fils en pleine nuit pour la deuxième fois en deux jours. Il attendait depuis si longtemps qu'Adèle s'endorme, qu’il avait failli s'endormir lui-même. Quelle heure était-il ? Impossible de le dire. Le temps s’était écoulé si lentement, s'étirant dans une interminable attente, que les minutes lui parurent des heures. Maintenant qu’elle dormait dans leur chambre au rez-de-chaussée, laissant entendre une respiration d’un rythme lent et apaisé, il s'était relevé, décidé à monter à l'étage en faisant le moins de bruit possible pour ne pas la réveiller. Il sortit de la chambre et traversa les pièces avec beaucoup de précaution. Dans l'obscurité, ses yeux percevaient à peine l'emplacement des portes, le contour des meubles, des murs. Il se déplaçait lentement, cherchant à se rappeler la forme et l’emplacement de chaque chose. Quelques îlots de lumière grise diffusait par les fenêtres, faisait apparait plus nettement une chaise, un meuble, laissant les recoints des pièces le plus éloignés dans le noir totale. Cette fois, Christophe allait voir son fils avec la ferme intention d'imposer ses choix. Adam devrait se plier à sa décision. Il savait que Matt ne plaisantait pas. C'était le prix à payer, Adam devait partir quelques jours, il n’avait rien à faire là devant cette maison à faire des photos. Pourquoi avait-il fallu qu’il vienne l’espionner ? C'était déjà assez compliqué après cette soirée où il avait perdu toutes ses parties en cash game. Il s’était fourré dans la gueule du loup, il devait rembourser ce qu’il avait perdu, une grosse somme. Une fois qu’il aurait payé sa dette, devait-il mettre un terme à cette déraison, comme lui demandait Adèle. Matt ne le laissera pas partir aussi facilement. Seulement, avait-il vraiment envie de renoncer à jouer ? Toutes ces années à se contenir, à chasser au plus profond de lui cette envie, ce besoin. Il en était devenu aigri, taciturne, ne trouvant plus le goût à rien. Des années de solitude, de renoncement. Il en voulait tellement à Adèle, alors il lui avait rendu la vie impossible. Mais tout ça c'était de sa faute, c’est elle qui avait tout gâché, c'était à cause d’elle qu’il avait dû renoncer à jouer ce temps. Jamais cela n'aurait dû se terminer comme ça, ce garçon n’aurait jamais dû mourir. Maintenant que son ciel s'éclaircissait, qu’il touchait son but, celui qu’il avait tant convoité, espérait il y a si longtemps. La chance se présentait devant lui, il ne renoncerait pas. Il pouvait gagner tant d’argent, simplement en jouant, en faisant ce qu’il aimait depuis toujours, jouer. Fini ce boulot minable assis à ce bureau toute la semaine à remplir des papiers pour des dossiers dont il ne voyait jamais la finalité. Fini cette petite vie insipide. Pour ça Adam devait obéir et partir. Le temps que Matt reprenne confiance, qu’il rembourse sa dette et après tout se mettrait en place. Matt lui ferait confiance et Adam aurait appris la leçon. Il pourrait jouer autant qu’il voudrait et s’en mettre plein les poches. Retenant son souffle, d’un pas léger, maîtrisant tous ses mouvements, il avait espéré le silence, mais l’escalier avait lâché, comme à son habitude une complainte lugubre à chaque marche. Arrivé sur le palier, il avait tendu l’oreille, pour écouter la maison endormie, le silence, rien, aucun bruit ne venait troubler le calme paisible de la nuit. Personne ne s'était réveillé. Il poussa la porte, Adam dormait déjà.

- Adam…, Adam réveille toi.

Christophe parlait à voix étouffée.

- Quoi, est-ce qu’il y a ?

- Chut, ne parle pas si fort.

Adam émergeait de son sommeil.

- Il y a un problème ?

- Tais-toi, et écoute moi. J’ai réfléchi, je crois que tu devrais partir quelque temps, disparaître le temps que ça se tasse.

- Quoi ? Je comprends pas.

- Chut je te dis, parle moins fort, tu vas réveiller ta mère…

Christophe n’aimait pas imposer ce choix à son fils, mais il n’avait pas d’autre alternative, Matt avait été clair. Adam allait protester.

- Mais pourquoi, je…?

- Écoute, discute pas. Fais ce que je te dis. Tu n'aurais jamais dû faire ces photos. Les personnes que tu as photographié ne plaisantent pas. Je ne peux pas t’en dire davantage. Va chez ton copain qui habite Grandcamp, je suis sûr qu’il sera heureux de te voir et ne revient que si je te le dis, quand je te ferai signe. Ok! Je regrette cette situation autant que toi. Tout ça doit rester entre nous. Tu ne dis rien à ta mère. Adam ne répondit pas aussitôt, il avait besoin de quelques secondes pour recouvrer tous ses esprits encore embrumés de sommeil.

- Tu veux que j’aille chez Lucas, mais on ne se parle plus depuis un an.

- Tu as bien un copain où tu peux aller ?

- Mais chez qui veux tu que j'aille ? je ne peux pas m'inviter comme ça chez les gens ? Ils vont me poser des questions. Ils voudront savoir pourquoi je suis parti de chez mes parents.

- Invente une histoire. Dis-leurs que tes parents s'engueulent sans arrêt, que tu as besoin d’un peu de calme.

- Papa peu importe où que j'aille, si je m’en vais comme ça sans explication, maman ne va pas comprendre, elle va vouloir savoir où je suis. Elle va se demander pourquoi je suis parti sans rien lui dire. Elle téléphoneras chez tous mes copains. Elle finira bien par me retrouver.

Adam sentait les larmes lui montait aux yeux. Son père repris.

- Je lui expliquerai. Je t'inventerai une excuse.

Mais Adam avait raison, il ne devait pas aller chez un copain. Sa mère le retrouverai facilement. Une autre idée lui vint.

- Tu as raison, ta mère va te retrouver et il ne faut pas qu’elle sache où tu es.

- Mais pourquoi maman ne doit pas savoir ? insistait Adam.

- Je ne veux pas la mêler à tout ça, je veux que ça reste entre nous. J’ai un collègue qui à mobil-home sur la côte près de Barfleur, le camping s’appelle Indiana. Il m'a toujours dit “si tu veux passer un weekend ou une semaine tranquille, je te donne les clés”. Pourquoi ne pas aller là-bas ? Tu pourras réviser ? Reste s’y une semaine, le temps que je trouve un moyen de me sortir de cette situation.

- Mais la-bas je serais tout seul, je vais m'ennuyer à mourir. Et si les gens du camping posent des questions ?

- Mais pourquoi veux-tu qu'ils te posent des questions ? Je vais expliquer la situation à mon collègue. Je vais lui dire que tu as besoin d’une semaine de repos. Et personne ne te posera de question. Je passerai te voir lundi soir pour t'apporter les clés et des provisions. En même temps ça rassura les gens du camping de me voir.

Malgré tous les arguments d’Adam, son père ne changeait pas d’idée. Il s’imaginait dans ce maudit mobile home à tourner en rond pendant une semaine. Il devait s'éloigner le temps que les choses se tassent. C'était complètement idiot, tout ça pour des photos.

- Je peux récupérer mon téléphone ?

- Non pas encore, je te le donnerai quand tu reviendras.

- Mais j’en ai besoin.

- N’insiste pas.

- Je ne comprends pas, tu t’ai mis dans quelle situation ? Qui sont ces types ?

Adam parlait à voix basse et calmement. Mais il sentait gonfler en lui une colère mêlée de désespoir.

- Je t’expliquerai, lui répondit sèchement Christophe.

- Tu peux pas me demander ça, pas maintenant.

- Ne discute pas, lui imposa son père. Je préviendrai demain matin le camping que tu viens de la part de mon collègue et tu passeras quelques jours là-bas pour réviser. C’est juste une semaine. Ok!

- Mais papa, je suis en plein examen. Toutes mes affaires sont là. Je ne pourrais pas réviser. Tu fous toute ma vie en l’air, un an de travail. Tu vas tout gâcher avec tes conneries.

Le ton était monté d’un coup. Ces derniers mots lui avaient échappé. La main de son père partit aussitôt. Un coup violent le percuta à l’épaule. La main se referma sur lui comme les serres d’un oiseau de proie. Assis en tailleur dans son lit, il vacilla.

- La ferme je te dis! Si tu réveilles ta mère… Tu fais ce que j’ai dis, un point c’est tout. Fallait pas mettre ton nez dans mes affaires, fallait que tu me suives, que tu saches ce que je fais. C’est toi qui t’es foutu dans la merde tout seul et en plus fallais que tu fasses des photos.

A chaque mots il tançait son fils pour lui faire rentrer chaque mots dans la tête.

- Demain matin, tu prends tes bouquins et tu fais comme d’habitude. T’as compris ? Je ferai des courses et je t’apporterai tes affaires en fin d'après-midi, tout ce qu’il te faut pour tenir une semaine. Tout ce que je te demande c’est de préparer le sac, c’est moi qui l'emmènerait. Si ta mère te voit partir avec un sac plein d'affaires, elle va te poser des questions. T'as compris ?

Adam hochait de la tête sans rien dire, des larmes coulaient sur ses joues. Il redoutait la puissance de son père. Il n’avait pas la force de lui faire face. Son père ne l’avait jamais brutalisé comme ça. Même si, à certaines occasions, il s'était montré ferme, voire brutal. Il ne l'avait jamais frapper, juste bousculer, l'attrapant par le col et le secouant pour le faire plier à son autorité. Il comprenais maintenant, que toutes ces années, il avait été sous l'emprise de son père. L’amour pour celui qu’il respectait par force, s'effaçait. Il sentait en lui refluer la colère. L'amour et la haine se nourrissaient en lui du même feu. Ils consumaient Adam d’une même ardeur intérieure que rien apaisait. Son père le considérait coupable, tout était de sa faute. Mais quelles fautes avait-il commises ? Il bascula et se coucha sur le côté dans son lit, tournant le dos à son père, vaincu par sa violence, sa force, par ses années de soumission.

- Si je dois partir, alors je partirai demain. Sois tranquille.

Adèle se réveilla en sursaut. Le lit était vide. Christophe n'était plus là. Une moto passait dans la rue dans un fracas de moteur assourdissant. Est-ce ce vacarme qui l’avait tiré brutalement de son sommeil. Le deux roues s’éloignait et la chambre retomba dans le silence, l'absence de bruit, la saisie. Une prémonition qu’elle ressentait au plus profond de son être, comme une alerte, une urgence la faisait suffoquer. Cette fois-ci elle voulait en savoir plus. Elle voulait en avoir le cœur net. Pourquoi s'absentait-il si longtemps en pleine nuit. Depuis combien de temps était-il parti ? Était-il encore dans la chambre d’Adam ? Une faible lumière parvenait de l'extérieur et donnait aux choses un caractère angoissant, mystérieux. La porte s'ouvrit, Christophe revenait se coucher. Sans attendre, sans même savoir s'il était allé ou non voir Adam, elle lui posa la question qui la travaillait.

- Qu'est ce qui se passe avec Adam ? Tu étais bien dans la chambre d’Adam, non ?

- Quoi ?

- Ne me prend pas pour une imbécile, je ne sais pas ce qui ce passe entre vous, mais je veux savoir.

- Mais rien.

Christophe se dérobait, elle le sentait. Je lui ai dit de fermer son portable. Il est presque une heure du matin, il échange encore des messages avec ses potes. Enfin, c’est ce qu’il prétend. Je crois plus qu’il regarde du porno.

- Tu es mal placé pour lui faire la leçon, tu crois pas ?

Elle regrettait déjà ce qu’elle venait de dire. Elle était blotti à l’autre bout du lit, attendant les représailles.

Christophe se coucha, las, fatigué de se battre.

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