13 - Adèle cherche son fils
Adèle s'était laissé emporter par le sommeille, pensant l’entendre rentrer, même tard dans la nuit. Elle espérait se réveiller, alertée par les bruits de l’escalier quand il monterait se coucher. Ce maudit escalier et ses craquement, à cet instant, elle le bénissait, ravi qu’il fasse tant de bruit. Le jour s'était levé, mais rien, aucun bruit, aucun craquement n'était venu perturbé sa nuit, à part des véhicules plus bruyants que les autres qui la faisait émerger de son sommeil en passant sous la fenêtre. Adam n'était pas rentré de la nuit. Elle monta vérifier, la chambre était restée vide, le lit encore fait. Il n’avait emporté la veille, que son sac avec ses livres de cours. Elle resta figée un instant au seuil de la porte de la chambre saisi par l’inconcevable. Pour la première fois, Adam ne rentrait pas de la nuit, il ne lui avait pas dit où il allait, il avait choisi de la tenir à l'écart. Cela ne lui ressemblait pas.
*
Elle rentra dans l’université, posant des questions à tout le monde, à toutes les personnes qu'elle rencontrait sur son chemin, aux élèves, aux professeurs, à tous ceux qu'elle croisait, dans une frénésie délirante, comme si Adam était connu de tous. Pourquoi n'était-il pas revenu depuis la nuit dernière ? Sa disparition soudaine et inexpliquée la tourmentait. Où était-il ? Pourquoi avait-il disparut ? Pas un message, pas un coup de téléphone, ni de réponse à ses appels, à ses messages. Il ne serait jamais parti sans lui dire où il allait. Avait-il peur de revenir à la maison, mais pourquoi ? Et de qui ? De son père ? D'ailleurs que faisait-il dans sa chambre en pleine nuit ? Toutes ces questions n'avaient aucune réponse, et plus elles se les répétaient en boucle et plus elles sentaient son corps s'épuiser dans la douleur de l'ignorance. Il avait quitté la maison la veille vers huit heures, avec son sac et ses livres. Il avait pris son petit-déjeuné et l’avait embrassé avant de partir comme chaque matin, sans rien laisser paraître d'inhabituel. Elle lui avait dit à ce soir, mais il n’avait pas répondu ce qui ne lui ressemblait pas. Peut-être était-il en retard. Mais à part ce détail, c'était un matin ordinaire, banal. Elle l’avait entendu démarrer sa moto, puis avait écouté le bruit de l’engin s'éloigner dans la rue. C'étaient les derniers souvenirs qui lui restaient de son fils. Un bruit fuyant s'estompant avant de s'éteindre, la laissant seule et désemparée. Elle s’approcha d’un groupe d'élèves.
- Excusez-moi, vous connaissez Adam Brieux ?
- Adam, oui il est dans notre classe.
Enfin, elle avait un retour positif à ses questions. Peut-être pourrait-on lui dire où était son fils ?
- Est-ce que vous l'avez vu hier ? Savez-vous s’il est venu en cours ? Je suis sa mère.
La jeune femme qu’elle regardait dans les yeux, espérant un peu de compassion de sa part, haussa les épaules et un sourire se dessina sur son visage, comme pour signifier à Adèle que son agitation à retouver son fils la faisait rire.
- Non je ne l’ai pas vue hier, désolé.
La jeune femme l’ignora et repris la conversation avec sa copine. Adèle, embarrassée par la réaction de la jeune femme, fut saisit de honte, prenant subitement consience qu’elle se comportait comme une folle. Mais pour autant comment pouvait-elle sourire de sa détresse, elle aurait bien giflé cette impudente.
- Ça vous fait rire de voir une mère chercher son fils ?
- Oh la, on se calme la vieille.
Tout le groupe dévisageait Adèle comme s’ils avaient subi une agression collective.
Les jeunes étaient-ils tous aussi vulgaires et agressifs, pensa-t-elle.
A l’autre extrémité de la cour, Thomas qui venait d’arriver, rejoignit comme chaque matin, ses camarades sous les arcades, à l'entrée du café universitaire. C’est là qu'ils avaient l’habitude de se retrouver avant les cours. Il avait remarqué l'effervescence qui agitait un groupe d'étudiants près des grilles de l’autre côté de la cour. Une femme qu’il ne voyait que de dos, interpelait les élèves. Elle s’agitait, posait des questions, mais personne ne s'intéressait à elle.
- Tu es en retard Thomas, on a déjà pris notre café. Les cours commencent dans deux minutes.
- Vous savez où est Adam ? Il faut que je le vois avant les cours, demanda-t-il au groupe. J’essaie de le joindre sur son téléphone depuis samedi mais il ne répond pas.
- Mais qu’est ce que vous avez tous après lui ce matin ? Dit donc, t’en a une gueule, tu t’es fait tabasser ou quoi ?
Un de ses camarades qui venait de se retourner le dévisagea. L'œil gauche de Thomas était marqué d’un bleu sur la paupière inférieure.
- Vous pouvez me répondre ? S'agaça Thomas.
- Pas vu depuis hier, lâcha enfin un jeune qui regardait ses baskets.
- C’est quoi ce bordel ? Qui c’est cette bonnefemme là bas, elle à l’air complètement dingue ? insista Thomas.
- C’est la mère d’Adam, justement elle est comme toi, elle le cherche dans tout le lycée ? Elle pose des questions à tout le monde. Il n'est pas rentrée chez maman hier soir. Heureusement que toutes les mères ne font pas tout ce cirque quand leur progéniture découche, ce serait un vrai bordel chaque matin, lui répondit un autre.
- Bande de cons.
Avant que ses camarades n'aient le temps d’ajouter quelque chose, Thomas partit en courant vers le portail principal où deux surveillants contrôlaient les entrées.
- Qu'est-ce qui lui prend ?
- Thomas les cours vont commencer, lança un autre camarade. Mais Thomas avait déjà disparu dans la rue.
Adèle tourna les talons et s’éloigna vaincue par l'indifférence de tous ceux qu’elle avait croisés jusqu’ici. On ne pouvait pas disparaître comme ça sans que personne ne s'inquiète. Était-elle la seule à se poser des questions ?
- Madame, madame, une élève qui avait entendu sa conversation avec la jeune femme l'interpella et se rapprocha d'elle.
- Vous devriez aller voir le directeur ou son professeur principal, je suis sûr qu’ils pourront vous renseigner. Vous savez les élèves ici n’ont pas une grande affection pour les parents, surtout quand ils posent beaucoup de questions comme vous. Il ne vous diront rien, réflexe d’ado, surtout quand ils sont en bande.
La jeune femme balaya la cour d'un regard circulaire, comme pour signifier à Adèle qu’elle n’était pas de ce monde de jeune.
- Je peux vous aider si vous voulez. Je connais bien Adam, s'il a dû s'absenter une journée, il l’a forcément signalé à quelqu’un. Vous devriez passer au secrétariat. Cela ne lui ressemble pas de ne rien dire à personne. Donnez-moi votre numéro. De mon côté, si j'obtiens quelque chose, une info, je vous appelle, promis. On se confiera plus facilement à moi, on me connais. Il ne faut pas leur en vouloir, à leur âge, ils défendent leur liberté. Les adultes ne sont là que pour mettre des interdits, c’est bien connu.
Cette jeune femme avait de l’humour. Enfin quelqu’un qui venait à son secours, qui l'écoutait, qui comprenait son désarroi.
- Merci. Adèle tendit son téléphone où apparaissait son numéro.
- Je travaille souvent avec votre fils sur certains devoirs, surtout les maths. Adam est fort en math, précisa la jeune femme pandant qu’elle notait le numéro dans son répertoir. Voulez-vous que je vous accompagne ? C’est grand ici, on peut vite se perdre quand on ne connaît pas bien les lieux.
- Merci pour votre aide, comment vous appelez-vous ?
- Ah oui, excusez-moi, je ne me suis pas présentée, je suis Justine. Vous ne me reconnaissez pas ? Je suis venu une fois chez vous. Enfin, je suis resté dehors, c’est vrai. Adam préférait qu’on reste à l'extérieur à attendre. On était un petit groupe d’amis. Il nous a dit que c'était trop petit chez vous, pour accueillir tout le monde. Alors on est resté sur le trottoire. Vous êtes venu nous voir pour nous inviter à entrer, mais Adam est arrivé au même instant et on est reparti aussitôt pour la plage. C'était l’année dernière je crois, en juin.
Elle marqua une pause, puis ajouta.
- Mais moi, je vous reconnais.
Bien sûr, Adam ne faisait jamais entrer personne dans la maison. Il respectait les consignes que son père lui imposait. Adèle se rappelait de ce jour où il avait transgressé ces règles. Quand son père était rentré du travail, il alla directement dans la cuisine sans prendre la peine de saluer son ami et appela Adam.
- J’aimerais bien être tranquille quand je rentre chez moi, lui avait asséné son père, une main ferme, serrée sur l’épaule.
Adam avait grimacé, pliant légèrement sous la douleur. Puis il avait raccompagné son invité sans protester. Depuis, ses camarades restaient sur le trottoir ou sur le seuil de la porte, mais jamais plus ils ne franchissaient l’entrée de la maison.
Le sourire de Justine la réconfortait un peu. Cette jeune femme était sympatique, son fils savait choisir ses amies. Pas étonnant qu'ils s’entendent bien tous les deux. Petite, un peu ronde, elle avait dans ses yeux la même douceur dans le regard que son fils. Ses cheveux blonds, coupés au carré, encadraient son visage. Quels étaient les liens qui les unissaient ? Pourquoi Adam ne lui avait-il jamais parlé d’elle ? Un secret de plus. Adèle aurait voulu en savoir davantage, mais était-ce le bon moment ?
- Moi aussi, j'ai appelé Adam hier, repris Justine, et je lui ai laissé deux SMS, mais aucune réponse. Maintenant je suis comme vous, je suis inquiète qu’il ne m’ai pas répondu. On devait travailler ensemble sur un devoir hier après-midi. C’est bizarre, il n’est pas sans rappeler ou donner de ses nouvelles rapidement d'habitudes.
*
Au secrétariat, personne n'avait été informé de son absence. Adam n’avait rien signalé. On n’avait rien trouvé. Personne ne savait où il pouvait être hier. Personne ne savait la renseigner sur son absence incompréhensible. Il n'était pas vu au lycée voila tout.
- Des élèves qui ne se présentent pas en cours vous savez ça arrive tous les jours, pas de quoi en faire un drame. Le lycée informe les parents par SMS et ils doivent justifier la raison de l’absence. Mais cela reste une formalité administrative, avait répondu la secrétaire, sur un ton détaché, presque agacé par le dérangement que causait cette mère dans son rituel de travail, semblant submergé par les coups de téléphone et ses élèves qui la pressaient, impatients d’obtenir des réponses avant d’aller en cours.
Elles étaient ressorties déçues, sans plus d’informations.
- Je vais attendre demain matin, mais si je n’ai aucune nouvelle j’irai à la gendarmerie pour signaler sa disparition, reprit Adèle.
- Mais Adam est majeur. Il ne feront rien.
Justine avait raison. Même eux n’auraient pas plus de considération pour la disparition d’Adam.
- Excusez-moi de vous poser cette question, mais il s’est passé quelque chose entre vous ? Ou avec son père ?
- Quoi ? Mais bien sûr que non !
- Je suis désolé, mais il fallait que je pose la question.
Justine voyait bien, dans le regard fuyant de cette femme, qu’elle n'était pas honnête, qu’elle lui cachait quelque chose, mais elle se ravisait.
- Enfin, mon mari a eu un comportement étrange avec Adam.
- Un comportement étrange ?
- Non. Je me fais des idées, je dois me tromper. Surtout tenez moi au courant si vous entendez parler de quelque chose au lycée, n’importe quoi et même si vous n'avez rien de nouveau. Je serai heureuse de vous parler. Appelle-moi, promis. Merci de m’avoir aidé.
Pourquoi Adèle ne voulait pas en dire davantage ? Justine regarda sa montre.
- Je suis désolé, madame Brieux, mais je dois aller en cours.
Les couloirs s'étaient vidé, quelques élèves traînaient encore ici ou là. Un élève regardait son téléphone à l’entrée des sanitaires. Un autre passa près d’eux en courant. Adèle, non plus, ne pouvait s'attarder plus longtemps à chercher Adam, à trouver une explication à sa disparition.
- Moi aussi je dois partir, dit-elle. Il faut que j’aille travailler, on n'attends pas au salon de coiffure.
Elle embrassa Justine. Elles se quittèrent non sans avoir échangé quelques regards. Adèle passa la journée à ressasser tous les événements d’hier et du weekend, cherchant un indice, un mot, une phrase qu’aurait pu prononcer Adam, mais rien ne lui venait. A la fin de la journée, elle rentra chez elle, arasée. Christophe n'était pas là, d'ailleurs rentrerait-il ce soir et à quelle heure ? La maison était étouffante, oppressante, restait enfermée seule, sans Adam à ses côtés, sans savoir où il était, lui était insupportable. Elle reprit ses clés, ferma la porte et partit à pied à la plage pour se vider la tête et reprendre confiance.
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