17 - Adam en Angleterre
Le lendemain de son arrivée à Portsmouth, Adam prit le bus pour la capitale. Une fois installé dans une auberge de jeunesse, un hostelworld, le Onefam Waterloo, il se donna comme deuxième objectif de trouver du travail. Dès le matin, avant même d’avoir avaler quelque chose, il se mis à la recherche d’un job pour subvenir à ses besoins immédiats. Le peu d’argent qu’il lui restait en poche grâce à la vente de sa moto partirait très vite, il le savait, il fallait réfléchir à long terme. Combien de temps resterait-il à Londres, il n’en savait rien. Alors il fallait qu’il soit prévoyant et organisé. Il commença par remonter la rue vers le centre du quartier et s'arrêta dans tous les endroits ou il était susceptible d'être embauché. Il ne pénétrait pas dans tous les commerces qu’il rencontrait sur son chemin. D'abord il s'attardait un instant dehors, examinait la devanture, jetais un œil à l'intérieur de la boutique depuis le trottoir, évaluait ses probabilités d'être engagé. Puis s’il estimait avoir une chance, il entrait, demandait à voir le responsable et se présentait, avec son accent frenchy. Son discours était bien rodé: “Bonjour, je viens d’arriver à Londres. Je cherche du travail. Avez-vous besoin de quelqu’un ? Je peux tout faire”. Malheureusement bien souvent il ressortait déçu ou avec peu d’espoir. Les réactions étaient pratiquement toujours les mêmes: Laisse-moi ton numéro, je t'appellerai si j’ai besoin de toi ou, non on a besoin de personne pour l'instant. Ce à quoi il répondait invariablement: Merci, je repasserai. Les échecs s'additionnaient. Pour le moment, pas question de laisser son numéro, il n’avait plus de téléphone. Bien sûr, il lui fallait un téléphone, il avait besoin d’un nouveau numéro pour continuer sa prospection. C’était la priorité avant toute autre chose; acheter un téléphone, récupérer son compte et son répertoire, et surtout appeler Thomas pour avoir des nouvelles au plus vite. Un peu plus loin, sur London road, Adam passa devant un superway, un supermarché de quartier. Sur la devanture il y avait une affiche: “We are hiring”. Comme à son habitude il examina d'abord la façade et confiant il entra. Au bout de trois quart heure il ressorti satisfait, il commençait demain à six heures pour la mise en rayon du surgelé. La chance lui souriait, confiant sur son avenir, il se mis en quête d’un magasin de reconditionnement de smartphone, qu’il trouva quelques rues plus loin. Il entra et en choisit un pas trop cher, en fonction de ses moyens plutôt limité, avec toutes les fonctionnalités nécessaires. Puis il rechercha un endroit tranquille dans un square, s'installa sur un banc et récupéra son répertoire sur son compte internet et appela Thomas sur la ligne fixe de ses parents.
- Salut Thomas.
- Adam ? Putain mais t’es ou ? Tout le monde te cherche.
Thomas baissa la voix et recouvra le combiné de sa main pour étouffer ses paroles.
- J’ai cru que ces dingues t'avaient fait disparaître.
Adam trouva cette réaction un peu excessive.
- Quoi ? Non, je suis à Londres.
- Mais qu'est ce que tu fous la bas ? Ta mère est venue au lycée, elle était folle.
- Surtout tu ne dis rien à personne pour le moment.
- Mais qu'est-ce qui c’est passé ? Et pourquoi tu m'appelles sur le téléphone fixe de mes parents ?
- C’est une longue histoire, mon père a gardé mon téléphone, j’ai dû en racheter un ici. J’ai récupéré ce numéro dans l'annuaire des pages blanches. Je n’ai pas retrouvé ton numéro. Ça fait des jours que j'essaye de t’avoir au téléphone. A chaque fois je tombe sur ta mère. Il n’y a qu’elle qui répond au téléphone chez vous ?
- Putain! Pourquoi veux-tu que je réponde, personne ne m'appelle à ce numéro. Mais toi, qu'est-ce que tu fous à Londres ?
- Thomas, Je te raconterai tout, une autre fois. Mais je veux que personne ne sache où je suis. Je ne veux pas que ma mère ait des problèmes. Je ne sais pas dans quoi s’est foutu mon père, mais il fréquente des types dangereux.
- Je sais, ils sont venus chez moi. J’en ai pris plein la tronche.
- Je vais avoir besoin de toi.
- Non, non pas question.
- Thomas il n’y a qu'à toi que je peux faire confiance. Il faut que tu m'aides.
- Putain tu me fait chier.
Thomas ponctuait la plupart de ces phrases par “putain ceci” ou “putain cela” comme s’il avait besoin de se défouler, d’exteriorisé son soulagement. Malgré cette amertume qui semblait le ronger et l’angoisse qu’Adam décelait dans sa voix, Thomas semblait heureux de l’entendre. Peut être rassuré de le savoir quelque part. Adam ne le reconnaissait pas, il avait changé, ce n'était plus le garçon prétentieux, hautain et imbu de sa personne qu’il avait connu et avec qui il avait gardé ses distances toutes ces années de lycée, il sentait dans sa voix de la peur. Ce côté sûr de lui qui le définissait, avait disparu.
- Je vais te donner mon nouveau numéro de téléphone, tu le gardes pour toi.
Thomas n'écoutait pas, tenaillé par l’envie de décharger son angoisse.
- Justine pose des questions à tout le monde. Elle est même venue chez moi après les cours. Elle a interrogé mes parents. Quand tu as disparu, j'ai cru qu’ils t'avaient fait du mal. Je ne veux plus sortir, j'ai peur de tomber sur ces dingues. Putain quelle histoire.
- Thomas écoute-moi, je vais bien. Mais il faut rester discret et ne plus se mêler des affaires de mon père. L’important c’est ma mère, je dois tout faire pour la préserver. Tu veux bien être mes yeux et mes oreilles ?
- Quoi ? Pas question !
- Juste me dire si tu entends des trucs. Je veux savoir quand je pourrais revenir. Je ne peux pas rester ici indéfiniment.
- Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse ?
- J’en sais rien. Sincèrement pour l’instant j’en sais rien. Dis-moi juste si ma mère va bien. Et si tu vois mon père.
- Putain ! Adam, tu veux que j’aille chez toi espionner tes parents, mais j’ai autre chose à faire. Et puis, il faut que je retourne au lycée. Je ne peux pas rester enfermé comme ça. Mes parents me posent un tas de questions.
- Thomas je n’ai que toi pour m’aider.
- Fait chier. Ok… Je te dirais si j’entends quelque chose, mais je ne veux plus me mêler de cette histoire. Allez, donne-moi ton numéro.
Adam lui indiqua son nouveau numéro et Thomas raccrocha.
*
Adam arriva un peu avant six heures, passa par l'entrée du personnel comme on lui avait indiqué la veille et prit son poste à l’heure. Le patron était déjà là dans son bureau, le nez dans les papiers. Il l'accueillit aussi froidement qu’une vieille paire de chaussons qu’on retrouve au fond d’un placard; chose inutile et sans intérêt.
- Je te montre le vestiaire.
Adam suivit le patron, un peu décontenancé.
- C’est ici que l’on fait la pose, qu’on mange. Les toilettes sont derrière la porte du fond.
Visiblement impatient d'en finir avec les préliminaires, le patron ne s'attardait pas dans les formes et expédiait son intégration.
- Je te présente l’équipe.
Contrairement à ce qu’attendait Adam, le patron fit juste un signe de la main en direction du groupe et il s'arrêta là. Deux gars et une fille se tenaient face à lui. Visiblement on n'était pas là pour des mondanités et il se contenta de cette introduction visuelle. Le patron donna rapidement la charge de travail pour la matinée. Il écouta les consignes avec un peu de difficulté, essayant de ne rien oublier et se mis au travail avec la petite équipe de salariés, tous dévoués comme lui à la mise en rayon, chacun répartis en fonction des marchandises réceptionnées la veille et des zones du magasin. Il commença par décharger la dizaine de cartons de surgelé du camion qui attendait déjà depuis un quart d’heure dans la rue avec le plus grand des gars, ce qui semblait le plus ingrat et le plus urgent. Une fois terminé le gras l’envoya avec la jeune femme au rayon conserve.
- On m’a dit de venir avec toi.
- Salut tu t'appelle comment ?
- Adam.
- Adam, reprit la fille.
Elle avait répété son prénom avec une pointe de surprise, comme si elle s’attendait à autre chose.
- Moi, c’est graziella.
Elle lui tendit sa main gantée. Elle devait avoir une vingtaine d'années, ses yeux soulignés de noires, lui donnaient un air rebelle.
- Tu portes des gants.
- Oui tu verras ici, c’est un peu “yucky”.
Elle avait dit ça en se rapprochant de lui, en lui soufflant ce mot à l'oreille, comme pour lui révélé une vérité à ne pas répéter, surtout devant le patron. Cette proximité réjouit Adam qui commençait à déprimer dans cette ambiance inhospitalière. Elle lui montra la pile d’emballage qui l’attendait. Perplexe devant le tas de carton, il hésita un instant.
- Il faudra que tu m'aides, je suis un peu perdu avec toutes ces boites, admit Adam.
- T'inquiète, je suis passé par la aussi.
Elle lui donna quelques conseils et il se mit doucement au travail, cherchant parfois à concorder les produits, les prix et les étiquettes. Graziella qui gardait un œil sur lui rectifiait, si nécessaire, toutes les erreurs qu’il faisait.
- Ne fais pas trop de conneries sinon le patron va te défoncer et moi avec.
L’heure avançait, Adam ouvrit le dernier carton heureux d’en finir. Le magasin allait ouvrir.
- Bon, maintenant il faut jeter tous les cartons au compacteur. Faudrait pas qu'un client se prenne les pieds dedans.
Adam à genoux devant la gondole, finissait d'aligner les boîtes de conserve d’haricots et de petits pois.
- C’est quoi cette clé qui pend autour de ton cou ?
- Un souvenir.
- Quel genre de souvenir ?
- Un de ce que j'aurais aimé ne jamais avoir.
- Et elle l’ouvre quoi cette clé ?
- La porte de la maison de chez moi, en France. Je n’ai plus que ça pour me la rappeler.
- On dirait que c’est important pour toi.
Adam ne répondit pas. Graziella se rapprocha de lui pour rectifier l’alignement d’une conserve, leurs mains se frôlèrent entre les boîtes. Ce simple effleurement le troubla. L'avait-elle fait volontairement ?
- Tu fais quoi ce soir, tu veux venir avec nous boire une bière au pub ?
- Ouais, pourquoi pas.
- Tu me raconteras ton histoire.
*
En arrivant au pub, Adam remarqua la petite ruelle mal éclairée à quelques mètres de l'entrée. Un type échangeait discrètement un sachet avec deux autres individus visiblement impatient de récupérer leur achat. Adam pénétra dans le lieu bruyant cherchant des yeux sa collègue. Graziella était assise à une table le dos à une fenêtre entrouverte qui donnait sur une terrasse avec un des gars du magasin et un autre type qu’il ne connaissait pas.
- Salut, dit-il simplement.
- Salut, Adam. Installe toi. Tu bois quoi ? Nous, on tourne à la brune.
- Ouais pourquoi pas, répondit Adam avec cette envie d'oublier ses problèmes.
Graziella fit signe au barman derrière le comptoir et réalisa avec sa main des mouvements rapides, qu’Adam interpréta comme un langage convenu pour passer des commandes sans avoir à se déplacer dans ce lieu surchargé et bruyant.
- Je pense que tu es bon pour payer ta tournée le petit nouveau, lui lança le gars qu’il avait aidé à décharger les cartons de surgelé.
*
Une heure plus tard, Adam sortit du pub avec la tête un peu lourde. La bière brune anglaise lui montait à la tête, lui qui n’avait pas l’habitude de boire. Le type était toujours là au fond de la ruelle, debout immobile, jetant des regards à droite et à gauche à la manière d’une chouette désorientée, rivée sur son carré de trottoir. Il n’avait pas bougé, masqué, dans l’ombre du lampadaire, on ne voyait que son visage pâle quand il tournait la tête vers l'extrémité de la ruelle. Adam avança jusqu'à lui étourdi. Sans autre préliminaire, il s’adressa à l’homme avec son anglais imparfait et alcoolisé.
- Tu sais ou je peux trouver un flingue ?
Le type surpris le dévisagea.
- Waouh! Un flingue! Qu’est-ce que tu veux faire avec un flingue ? Un petit Frenchy comme toi. T’as pas l'air méchant pourtant. Tu veux buter ta belle mère ? Ton chien ? T’en a marre de la vie, tu veux en finir ?
Le type lui parlait avec dans la voix des manières efféminées. Adam se reprit.
- Excuse-moi, je me suis trompé, se reprit Adam comme s'il venait de comprendre que sa demande était absurde.
Il fit demi-tour, prêt à rejoindre son hostelworld où son lit l’attendait. Le dealer le relança et l’attrapa par l'épaule.
- Et mec, mais bien sûr que je peux t’aider. Mais ça me rapporte quoi à moi ?
- J’en sais rien tu veux quoi ?
Le dealer réfléchit et fouilla ses poches comme s’il avait perdu quelque chose et en sortit des petits sachets plastique.
- Je vais te présenter mon contact, pour le reste tu te débrouilles, et ça va te coûter ma fin de stock, j’ai cinq doses que j’arrive pas à refourguer, j’en ai marre d’attendre, les clients se font rare ce soir, et c’est payable d'avance. Alors qu'est ce que t’en penses. On deal ?
Adam sortit l’argent qui lui restait de la soirée, l’esprit embrumé.
- Ouais ça devrait le faire, fit l’autre.
Le type glissa ses dernières doses dans la main d’Adam et récupéra les billets.
- Tu me retrouves ici demain soir, mon pote sera là, tu verras directement avec lui. Allez, bisou et si tu veux autre chose tu sais ou me trouvé. On peut tout demander sur les trottoirs de Londres.
Adam tourna les talons et regagna son auberge.
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