II - "Sans Avoir"
Dans les bas-fonds de la cité de Brest, là où la misère côtoyait le vice, errait une figure pittoresque, un homme dont le nom même était une ironie du sort : « Sans Avoir ». Mercenaire de fortune, voleur à ses heures, jouisseur invétéré, cet individu était un concentré de contradictions, un personnage dont la maladresse n'avait d'égale que son appétit pour les plaisirs de la vie.
« Sans Avoir » n'était pas un guerrier dans l'âme. Les batailles, les duels, les combats à l'épée, il les fuyait comme la peste. Son art, c'était le vol, mais un vol maladroit, un vol qui se soldait souvent par des échecs retentissants. Il avait une inclination à trébucher sur les tapis, à renverser les vases, à se coincer dans les cheminées. Ses tentatives d'escalade se terminaient généralement par des chutes spectaculaires, ses cambriolages par des arrestations embarrassantes.
Il avait une fois tenté de voler une bourse à un marchand, mais il avait confondu sa main avec celle d'un chien errant, qui l'avait mordu avec une telle vigueur qu'il avait dû passer trois jours à l'enfermerie. Une autre fois, il avait essayé de s'introduire dans un château par une fenêtre, mais il avait mal évalué la hauteur et s'était retrouvé suspendu dans le vide, hurlant de terreur jusqu'à ce que les gardes viennent le décrocher.
Malgré ses échecs répétés, « Sans Avoir » ne perdait jamais son optimisme. Il avait une philosophie de la vie simple : « Tant qu'il y a du vin, du pain et des femmes, tout va bien. » Il aimait les tavernes, les rires, les chansons paillardes. Il avait un faible pour les dés, même s'il perdait presque toujours. Il avait un goût prononcé pour les bijoux, même s'il les revendait à perte.
Il portait les stigmates d'une vie de mercenaire raté, une sorte de carnaval de cicatrices et de guenilles. Son visage, buriné par le soleil et les batailles perdues, était un champ de ruines, avec un nez tordu, vestige d'un coup de poing bien placé, et un œil poché, souvenir d'une rencontre avec un chat plus belliqueux qu'un lansquenet.
Sa stature, autrefois peut-être imposante, s'était affaissée sous le poids des armures trop lourdes et des beuveries trop nombreuses. Il avait une démarche de canard boiteux, résultat d'une flèche malencontreuse reçue dans le genou lors d'une retraite précipitée. Ses mains, calleuses et agiles, portaient les traces de mille larcins manqués et de mille combats perdus.
Son accoutrement était un assemblage hétéroclite d'équipements militaires dépareillés. Il portait une cotte de mailles rouillée, trouée par endroits, un pantalon de cuir rapiécé, et des bottes de soldat usées jusqu'à la corde. Sa ceinture, ornée de boucles rouillées, soutenait un fourreau vide, un couteau émoussé et une bourse plus légère qu'une plume.
Son casque, un heaume déformé, portait les traces de coups de hache et de jets de pierre. Il avait une collection de panaches, tous plus ridicules les uns que les autres, qu'il changeait au gré de ses humeurs. Il portait une cape élimée, d'une couleur indéfinie, qui lui donnait l'allure d'un épouvantail en vadrouille.
« Sans Avoir » était un soldat de fortune, un mercenaire de pacotille, un combattant dont la maladresse n'avait d'égale que son courage... relatif. Il n'arrêtait pas de se tromper de camp (peut-être le faisait-il exprès !), à tomber de cheval, à se prendre les pieds dans sa cape. Il était un guerrier, certes, mais un guerrier qui faisait plus rire que peur, un guerrier dont la déveine était légendaire.
« Sans Avoir » était un personnage attachant, un anti-héros malgré lui. Il avait un cœur d'or, même s'il était souvent caché sous une couche de roublardise. Il avait un sens de l'humour à toute épreuve, même dans les situations les plus désespérées.
Et c'est ce voleur maladroit, ce jouisseur invétéré, qui allait croiser le chemin de l'abbaye du Navet Sacré, attiré par la rumeur de la phalange de Sainte Radegonde. Mais « Sans Avoir » ignorait encore que cette rencontre allait changer sa vie, qu'il allait se retrouver mêlé à des aventures où le danger et l'humour se mêleraient, où la maladresse et la chance allaient s'affronter.
-oOo-
Dans les bas-fonds de la taverne du Gobelet d'Argent, repaire de gueux et de mercenaires à la solde de leurs propres estomacs, « Sans Avoir » se prélassait, ou plutôt s'écroulait, sur un banc de bois vermoulu. L'air, épais aux relents de bière éventée, était propice aux confidences, surtout celles que l'on ne devrait pas entendre.
Deux silhouettes patibulaires, dissimulées sous des capes élimées, chuchotaient dans un coin sombre. Leurs voix, rauques et éraillées, parvenaient aux oreilles indiscrètes de « Sans Avoir », qui, malgré son état d'ébriété avancée, avait conservé une ouïe fine, surtout quand il s'agissait de rumeurs juteuses.
– Tu sais, mon vieux, murmura l'un, cette abbaye du Navet Sacré, ils ont un trésor qui ferait saliver un roi.
– Un trésor ? répondit l'autre, la voix chargée de suspicion. Et c'est quoi, ce trésor ? Des navets en or massif ?
– Mieux que ça, mon ami. Une relique sacrée, une phalange de sainte Radegonde. On dit qu'elle a le pouvoir de faire pousser des navets géants, et de guérir les rhumatismes.
– Des navets géants et des rhumatismes ? s'étonna l'autre. Et ça vaut de l'or, ça ?
– Bien sûr, imbécile ! Les pèlerins viennent de loin pour la vénérer, et ils sont prêts à vider leur bourse. Et puis, il y a les pierres précieuses qui ornent le reliquaire, des joyaux qui feraient pâlir un dragon.
« Sans Avoir », les yeux brillants de convoitise, avait les oreilles qui bourdonnaient. Une relique précieuse, des pierres précieuses, des pèlerins riches... C'était une aubaine, une providence, une occasion à ne pas manquer. Il allait s'emparer de cette relique, et il allait devenir riche, très riche.
Le lendemain, il rencontra «Trouille-Souris », un informateur aussi fiable qu'un trou du cul en temps de flux de ventre.
Que dire de ce bracouille ?
C'était une créature de l'obscurité, un être façonné par les ruelles sombres et les secrets chuchotés. Son corps, maigre et nerveux, était une ébauche humaine, une silhouette tremblante qui se faufilait dans les recoins comme une ombre furtive. Ses yeux, vifs et perçants, brillaient d'une lueur inquiète, toujours à l'affût du moindre danger, du moindre bruit suspect.
Ses oreilles, pointues et dressées, captaient les murmures les plus infimes, les chuchotements les plus discrets. Il avait le don de se trouver là où il ne fallait pas, d'entendre ce qu'il ne fallait pas, de savoir ce qu'il ne fallait pas. Sa voix, fluette et hésitante, ressemblait au grattement d'une souris dans un grenier, un son qui mettait les nerfs à vif. Son rire, nerveux et strident, était une cacophonie de couinements, un son qui glaçait le sang.
« Trouille-Souris » était un informateur, un colporteur de secrets, un marchand de rumeurs. Il connaissait les bas-fonds de la ville comme sa poche, les repaires de brigands, les tavernes mal famées, les ruelles sombres où se tramaient les complots. Il avait des contacts partout, des gueux aux nobles, des voleurs aux clercs. Il savait tout, ou presque.
Il avait une nette tendance à exagérer les faits, à inventer des histoires invraisemblables, à trahir ses clients pour quelques pièces d'argent. Il était capable de vendre sa mère pour un écu, de dénoncer son meilleur ami pour une pinte de bière. Il était un être vil, un être abject, un être dont la lâcheté n'avait d'égale que sa cupidité.
Il avait une peur panique des chats, des chiens, et de tout ce qui pouvait le menacer. Il se cachait sous les tables, grimpait aux arbres, se déguisait en souris pour échapper aux dangers imaginaires. Il avait des phobies ridicules, des obsessions étranges, des manies grotesques.
« Trouille-Souris » était un personnage pittoresque, un être hors du commun, un être dont la présence était à la fois agaçante et indispensable. Il était le grain de sable dans l'engrenage, le caillou dans la chaussure, le poil à gratter dans la soutane. Il était « Trouille-Souris », l'informateur le plus lâche et le plus rusé de la ville.
Ce dernier, les yeux rougis par le vin et les dents jaunes, lui confirma les rumeurs.
– Alors, c'est vrai, cette histoire de relique ? demanda « Sans Avoir ».
– Vrai comme le nez au milieu de la figure, répondit « Trouille-Souris ». L'abbaye du Navet Sacré, c'est une mine d'or. Mais attention, c'est bien gardé.
– Bien gardé ? s'inquiéta « Sans Avoir ». Par des navets géants ?
– Plus ou moins, répondit « Trouille-Souris ». Les moines sont pieux, mais ils ne sont pas idiots. Et puis, il y a les pèlerins, qui ne sont pas tous des agneaux. Certains sont plus louches que des navets véreux.
« Sans Avoir » n'était pas du genre à se laisser intimider. Il avait déjà son plan en tête : se faire passer pour un moine, gagner la confiance de ses futurs coreligionnaires, et profiter de la nuit pour s'emparer de la relique.
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