Le damner
Une voiture avançait sur la route, ses phares illuminant la chaussée déserte. Derrière le volant, un homme aux cheveux châtains, coiffé d'une casquette, tenait fermement le guidon. Une mélodie entraînante s'échappait de la radio, emplissant l'habitacle d'une ambiance légère. Le ciel, constellé d'étoiles, étendait son voile scintillant au-dessus de lui. D'un air insouciant, il fredonnait l'air de la chanson, savourant l'instant. Mais alors qu'il abordait un virage serré, un renard surgit brusquement sur la route. Pris de court, il tourna brusquement le volant vers la gauche, tentant d'éviter l'animal. En un instant, la voiture dérapa, échappa à son contrôle et s'écrasa violemment contre un arbre.
Azura ouvrit lentement les yeux, sa respiration saccadée trahissant son trouble. Son cœur tambourinait dans sa poitrine. Ce cauchemar… Encore une fois. Depuis la mort de son père, cette vision la hantait, revenant inlassablement dans ses nuits, surtout lorsque son esprit était assailli par l'anxiété. Les souvenirs de la veille revinrent en masse, ravivant une douleur qu'elle peinait à contenir.
Elle parcourut la pièce du regard. De grandes fenêtres laissaient filtrer une lumière douce et apaisante. Devant elles, une rangée de lits s'alignait parfaitement, chacun accompagné d'une armoire en bois massif. Des silhouettes en blouse blanche circulaient avec diligence, s'occupant des patients. Pas de doute possible : elle se trouvait dans un hôpital. En tentant de bouger, elle sentit un poids peser sur elle et tourna lentement la tête. Son souffle se bloqua aussitôt.
Loevan était assis au bord de son lit. Son torse, nu et recouvert de bandages, témoignait des blessures qu'il avait subies. Lorsqu'il remarqua son éveil, un sourire en coin étira ses lèvres.
— Salut, dit-il d'un ton calme.
Azura baissa immédiatement les yeux, détournant le regard avec raideur.
— Je sens que ton énergie revient, ajouta Loevan, son regard perçant cherchant à croiser le sien.
Elle serra les poings. Malgré ses efforts pour éviter de poser les yeux sur son torse blessé, une culpabilité insidieuse s'immisçait en elle. Mais elle refusait de l'admettre. Elle était toujours en colère.
Loé l'observait attentivement lorsqu'une infirmière fit son apparition. Avec délicatesse, elle retira les bandages, dévoilant des plaies encore fraîches et des ecchymoses violacées qui marquaient sa peau claire. Azura fixa un instant les bandelettes jetées dans la poubelle avant de reporter son attention sur le jeune homme.
— C'est bien la première fois que je me fais aussi sévèrement amoché par quelqu'un… Mais j'imagine que je l'ai mérité, murmura-t-il avec une pointe d'amusement.
— Je… je n'avais pas l'intention de… balbutia Azura, troublée. Je ne voulais pas que ça aille si loin…
— Et moi, je n'ai jamais voulu te trahir, répliqua-t-il sans détour.
Un silence pesant s'installa entre eux. La brune sentit sa gorge se nouer.
— Alors pourquoi ? Pourquoi ne pas me l'avoir dit ? demanda-t-elle enfin.
— J'y ai pensé, crois-moi. Mais ton frère était là…
Azura se mordit la lèvre, absorbant difficilement ses paroles.
— Tu souffres ?
— J'ai connu pire.
Elle passa nerveusement une main dans ses cheveux sombres. La culpabilité pesait de plus en plus lourd sur ses épaules. Finalement, elle céda et murmura :
— Je suis désolée…
Loevan esquissa un léger sourire, un éclat sincère illuminant ses traits fatigués.
— Moi aussi, je regrette sincèrement.
— Où sommes-nous, exactement ? demanda-t-elle en changeant de sujet.
— Dans la section des soins mineurs. Les soins intensifs se trouvent de l'autre côté du bâtiment.
Avant qu'Azura ne puisse réagir, une agitation attira leur attention. Elisandre fit irruption dans la pièce, accompagné d'Edwin et d'une femme inconnue. En un battement de cil, l'inconnue se précipita vers Loevan et l'enlaça avec force.
Grande et élancée, elle avait des cheveux blonds comme les blés, soigneusement tressés à l'arrière de son crâne, laissant quelques mèches cascader le long de son dos. Ses yeux noisette, éclaboussés de reflets dorés, brillaient d'une douceur maternelle. Elle portait une élégante robe couleur crème aux manches évasées, qui accentuait son allure noble.
— Mon fils… souffla-t-elle, la voix cristalline d'émotion.
Loevan répondit à son étreinte avec un sourire attendri.
— Je vais bien, maman.
— Ici, on dit « mère », Loevan Sungrey, intervint Edwin d'un ton autoritaire.
— Père, je t'en prie, pas ici. Nous sommes à l'hôpital, pas au conseil des mages, protesta Loevan avec lassitude.
— Ed, pas aujourd'hui ! rétorqua sèchement la femme.
Un nouveau mouvement à l'entrée attira l'attention d'Azura. Ewen venait d'apparaître dans l'encadrement de la porte. Son regard inquiet se posa immédiatement sur sa sœur. Il s'approcha en hâte et lui saisit les mains.
— Azura ! Tu m'as fait une peur bleue ! Que s'est-il passé ?
Trop émue pour répondre, la jeune femme l'attira dans une étreinte fébrile, le serrant comme si elle risquait de le perdre. Une seule phrase s'échappa de ses lèvres :
— Je suis désolée.
Edwin observait la scène en silence avant de prendre la parole.
— Vos pouvoirs sont extraordinaires, Azura. Votre père avait raison : vous possédez un potentiel immense.
Azura lui lança un regard noir, mais se retint de répondre.
Serena, la mère de Loevan, s'approcha alors, un sourire bienveillant aux lèvres.
— Loevan ne s'était pas trompé à votre sujet, vous êtes magnifique, dit-elle avec sincérité.
Loevan pâlit instantanément.
— Mère…
— Je suis Serena Sungrey, anciennement Wilderstorm, reprit-elle. Vous avez dû rencontrer mon frère, Horus.
Azura hocha lentement la tête. Comment une femme si douce et chaleureuse pouvait-elle être l'épouse d'un homme aussi froid et distant ?
— En effet…
— Je sais que tout ce que vous avez vécu est un choc immense, mais sachez que vous êtes entre de bonnes mains. Bientôt, vous vous sentirez chez vous à Néridia.
Azura, décontenancée, balbutia un « merci » incertain.
Serena s'approcha discrètement et murmura à son oreille :
— Ne faites pas attention à Edwin. Lire dans les pensées toute la journée le rend aigri.
Un léger gloussement échappa à Azura.
Edwin, lui, soupira d'exaspération.
— Serena, as-tu terminé ?
— Je vous laisse parler à votre frère. Le devoir m'appelle.
— Loevan, tu viens avec nous. Ordonna Edwin.
— Papa, il n'est pas un peu trop tôt pour que Loé sorte de l'hôpital ?
— Tout va bien, Élise, je vais sortir.
Le jeune homme enfila un pull et rejoignit sa mère qui le prit par le cou. Il jeta un bref regard à la brune avant de rejoindre son père dans l'encadrement de la porte et de quitter la pièce. Seule face à son frère, Azura était bouleversée à l'idée de lui dire la vérité. Elle aurait pu tout aussi bien s'abstenir de le faire, mais elle connaissait le goût amer de la trahison et ne voulait pas faire vivre cela à son Ewen.
— Azura, qu'est-ce que tu me caches ?
— Comment peux-tu lire en moi comme ça ?
— Nous sommes jumeaux, est-ce que je dois te le rappeler ?
— C'est mon état émotionnel qui m'a fait perdre pied, je n'ai pas su contrôler mes pouvoirs, j'étais si en colère.
— Pourquoi ? demande le jeune homme.
— Ewen papa savait qu'il allait mourir, car c'était écrit pour lui.
— Quoi ? Je ne comprends pas.
— La malédiction les a tués, lui et tous les hommes de notre famille avant lui. Tous dans la vingtaine.
— Mais attends, papa, il avait…
— Vingt-neuf ans, il est parti six jours avant ses trente ans.
— Je suis le prochain, c'est ça ? Le jeune homme déglutit.
— Non, je ne laisserais jamais cela se produire.
Ewen se décomposa et se laissa choir contre le lit.
— Si papa le savait, pourquoi il n'a rien fait pour l'éviter ?
— Il ne pouvait pas, il avait banni sa vie de mage pour être avec notre mère. Il a découvert l'origine de cette malédiction grâce à de longues recherches, il connaissait déjà maman à ce moment-là.
— Et quel rôle tu as joué dans toute cette histoire ?
— Je suis destinée depuis ma naissance à briser la malédiction pour te sauver, toi et les générations futures.
— Comment ?
— Selon Edwin, je dois retourner dans le passé et mettre la main sur le lanceur de la malédiction et me procurer le remède.
— Je vais mourir. Lacha Ewen.
— Je ne laisserai pas cette malédiction s'abattre sur toi, tu m'entends ?
– Remonter le temps, sérieusement, c'est complètement fou.
— Si j'ai bien compris une chose ici, c'est que tout peut arriver.
— Je comprends ta colère maintenant.
Azura bondit de son lit et se mit à la hauteur de son jumeau, elle lui prit les mains et lui fit une confidence.
Je n'ai pas vraiment confiance en moi, j'ai toujours imaginé mon futur dans la solitude et la monotonie. Pour la première fois de ma vie, j'ai réalisé que je pouvais faire des choses extraordinaires avec cette énergie étrange qui circule dans mes veines. Mais la meilleure chose que je puisse faire maintenant, c'est de briser cette foutue malédiction, de venger la mémoire de notre père et tous ceux qui sont partis avant lui.
Des larmes glissèrent sur les joues de la jeune femme.
— Tant que je serai là, il ne t'arrivera rien. Papa avait confiance en moi, alors je vais venger sa mémoire. Et mettre un terme à cette malédiction.
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