Les explorateurs
Sur le ponton, le plancher de bois grinçait sous leurs pas, tandis que les canons étaient alignés sur le flanc droit de la coque. Les voiles s'élevaient fièrement sur des mâts arborant un drapeau flottant au gré du vent. Tout en haut de l'un d'eux, une mouette s'était perchée, observant la scène d'un regard indifférent.
Les captifs furent conduits de force jusqu'au bout du ponton. Jian leur ordonna de se tenir bien droits et alignés. Le capitaine Hernest gravit les marches d'une balustrade et se dressa face à son équipage.
— Mes chers matelots, nous avons des invités à bord du Splinter ! Je vous demanderai de leur réserver un accueil chaleureux. Ces pirates venus de France pourraient bien nous ouvrir les portes d'une grande aventure. Cette jeune femme aux yeux saisissants sait où se trouve l'île que nous recherchons ! Mais attention, si jamais j'apprends qu'on tente de nous duper, les traîtres finiront en nourriture pour les requins.
Alors que le capitaine parlait, Loevan feignit l'indifférence et serra discrètement la main d'Azura. Elle tourna la tête pour croiser son regard. Il était beau, même dans les pires circonstances. Son visage était couvert de poussière et ses cheveux partaient dans tous les sens.
— Est-ce que tu penses pouvoir y arriver ? murmura-t-il.
— Je n'en sais rien. Je ne sais pas lire une carte.
— Neridia ne se situe pas exactement au centre de la mer, elle est un peu plus au nord.
Ferguson s'approcha entre les pirates, un sac en toile à la main. Il en sortit des morceaux de pain rassis et tendit l'un d'eux à Ewen, qui grimaça.
— Rassurez-vous, ce pain n'est pas empoisonné, assura l'adolescent.
Le ventre d'Ewen grondait. Il prit une bouchée à contre-cœur, tout en observant Ferguson. Une ressemblance avec son père lui sauta aux yeux, ou peut-être était-ce simplement leur lien de sang qui lui donnait cette impression. Il toussa brusquement, ce qui fit pouffer Elisandre. Jian s'en aperçut et lui jeta un regard noir. Il avait l'apparence d'un adolescent, mais l'austérité d'un vieillard bourru.
— Qu'est-ce qui vous fait rire, femme ? gronda-t-il.
Elise tressaillit. Avait-elle bien entendu ?
— J'ai un prénom, merci bien. Oui, je suis une femme, mais on ne peut pas en dire autant de toi. Tu n'as rien d'un homme.
L'Asiatique balbutia, sous les rires moqueurs de l'équipage. Il baissa les yeux, mal à l'aise.
— Elle a du répondant ! s'exclama l'un des pirates en riant.
Hernest quitta la balustrade et s'approcha d'Azura.
— Si j'ai bien compris, vous vous appelez Azura. Un nom que je n'avais jamais entendu auparavant, mais qui vous sied à merveille.
— Vous avez bien compris, c'est mon prénom.
— Venez avec moi dans ma cabine. Je veux tout savoir sur cette île et son emplacement. Quant aux autres, vous êtes libres de circuler sur le pont, mais sous la surveillance de mon équipage.
Shadow s'avança et se planta devant Azura.
— Sauf votre respect, capitaine, je suis cartographe. Je peux vous indiquer l'emplacement exact.
Azura échangea un regard surpris avec Loevan.
— Un cartographe, dites-vous ? Intéressant. Suivez-moi, hum…
— Monsieur Charles Lacroix, répondit Shadow sans hésiter.
Ewen esquissa un sourire. Shadow manquait parfois de limites, mais son sens de l'humour le sauvait souvent. Il venait aussi de préserver Azura d'une confrontation avec le capitaine, sans même être capable de lire la carte. Ewen l'observa disparaître avec Hernest, espérant qu'il ne s'attirerait pas d'ennuis. Les pirates étaient réputés pour leur cruauté, et malgré les discours rassurants du capitaine, il restait méfiant.
— Pensif, jeune explorateur ?
Ewen sursauta. Fergus s'était placé derrière lui.
— Et si je vous disais que je suis plus âgé que vous ?
— Je vous croirais, mais je ne connais pas votre nom.
— Fergus.
— Fergus… ça sonne bien.
— Merci. Il ne semble pas que mon en-cas vous plaise. Les provisions sont restreintes à bord. Tandis que les riches festoyaient, nous, pirates et mendiants, nous contentions de miettes.
— C'est terriblement injuste, admit Ewen.
— Heureusement pour vous, ce soir, vous aurez droit à un vrai repas. Une première depuis au moins trois ans.
Ewen esquissa un sourire léger.
— J'ai vu ton amie donner une bague à une fillette. J'ai tout de suite compris que vous étiez des gens bien.
— Il semblerait que Jian ne partage pas ton avis, intervint Elisandre en s'approchant.
— Ne vous inquiétez pas pour lui, mademoiselle.
— Elise.
— Elise. La vie ne l'a pas épargné. Pardonnez-lui.
— Qu'est-ce qui t'a poussé à choisir la vie de pirate ? demanda Ewen, curieux.
Il voulait tout savoir sur Fergus, sans exception.
— Comme beaucoup ici, j'étais orphelin. Mon père, pirate, a été exécuté. Hernest m'a pris sous son aile. Ma mère est morte de la peste alors que j'étais bébé. James, on l'a trouvé errant dans les rues de Londres. Peter, près de la barre, était un esclave. Nous sommes les fardeaux de la société. Nous ne cherchons ni richesse ni gloire, juste la liberté.
— Et Jian ? demanda Elisandre.
— Son père était un pirate chinois, un Ming, des brutes sans pitié. Hernest a dû s'en débarrasser, mais il a sauvé Jian, alors âgé de trois ans. Il se souvient encore du cadavre de sa mère, qui s'est suicidée sous ses yeux.
Elisandre déglutit, bouleversée.
— C'est vraiment affreux…
— Vous comprenez maintenant ma méfiance à votre égard.
Azura s'apprêta à questionner Fergus, mais une main attrapa son poignet. Elle ne pouvait pas le blâmer de l'avoir interrompue, c'était Loevan.
— Pouvons-nous parler ?
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