Le ciel nuageux s'obscurcissait lentement, plongeant l'horizon dans une lueur crépusculaire. La mer, paisible, murmurait à peine sous le souffle du vent. Azura et Elise avaient consacré un temps considérable à ajuster leur tenue. La brunette, de petite taille, retroussa les manches de son chemisier avant d'enfiler un corset par-dessus. À plusieurs reprises, Elise dut le desserrer, tant son amie avait l'impression d'étouffer. Puis, elle fit des ourlets à son pantalon en lin beige et enfila une paire de mocassins usés.

De son côté, la blonde nageait dans sa chemise grise, qu'elle ajusta avec une ceinture. Un nécessaire de toilette leur avait été mis à disposition. Elise passa un coup de brosse dans ses cheveux, tandis qu'Azura opta pour une tresse sur le côté.

Jian, agité, se tenait devant la porte, battant du pied avec impatience.

— Vous en avez bientôt fini ?

La porte grinça en s'ouvrant, et Jian déglutit avant de détourner le regard.

— Le dîner ne va pas tarder…

Elise gloussa, amusée. Il était évident que, derrière son apparence de dur à cuire, Jian cachait une toute autre facette de sa personnalité.

Les deux jeunes femmes suivirent le pirate dans les couloirs du navire. En chemin, des notes de musique leur parvinrent. Lorsqu'elles pénétrèrent dans une vaste salle, elles découvrirent un tout autre décor : la quiétude du bateau avait laissé place à une ambiance festive. Sur une modeste estrade, des musiciens jouaient de vieux instruments à cordes. Des pirates, attablés, s'adonnaient à des parties de cartes. D'autres picoraient des mets en riant bruyamment, levant leur verre dans des toasts enthousiastes. Une forte odeur de rhum flottait dans l'air.

Le capitaine, posté à l'extrémité de la grande table, se leva à l'arrivée des jeunes femmes. Tous les regards convergèrent vers elles. Il semblait que ces hommes n'avaient pas vu de femmes depuis une éternité.

— Bienvenue à la taverne du Splinter ! Ce soir, nous célébrons la vie, l'aventure… Et votre arrivée, bien évidemment !

Azura esquissa un sourire forcé et jeta un regard dépité à Elise, qui ne comprenait pas cet engouement pour l'alcool.

— Accueillons comme il se doit les dames Elise et Azura ! déclara le capitaine.

L'attention dont elles faisaient l'objet ne fit qu'accroître leur malaise. Il était évident que le capitaine n'était pas sobre.

— Ces tenues vous vont à ravir. Goûtez donc à notre vin !

À contrecœur, les deux jeunes femmes prirent place aux côtés du capitaine.

Pendant ce temps, les garçons firent leur entrée. Aaron blêmit instantanément : il détestait ce genre d'ambiance. Mal à l'aise, il échangea un regard désespéré avec sa sœur. Fergus ordonna aux hommes de s'installer face au capitaine. Tous trois portaient des habits similaires : un chemisier clair aux manches évasées, un pantalon en lin sombre et une paire de bottes.

Loevan choisit une place en face d'Azura, visiblement pas par hasard. Il lui adressa un sourire, totalement captivé par sa beauté. De son côté, la brune sentit une chaleur monter à ses joues.

Elise se pencha vers son amie et murmura :

— On est plutôt canons comme ça… Mais j'aurais préféré rester dans notre chambre.

— Considère ça comme une expérience…

Elise gloussa, amusée.

De son côté, Ewen avait fait un bien mauvais choix de place. Son voisin de table, imbibé d'alcool, empestait la sueur et laissait échapper un flot incessant de questions agaçantes.

— Un matelot comme toi doit avoir toutes les femmes à ses pieds, non ?

Ewen roula des yeux.

— À ta place, le Français, j'essaierais de séduire la petite brune aux yeux bleus. Je donnerais tout mon rhum pour passer une nuit avec cette créature…

— C'est ma sœur, imbécile !

Ewen n'était ni impulsif ni téméraire, mais il ne supportait pas qu'on parle ainsi de sa sœur. Il se leva brusquement, prêt à faire ravaler ses paroles à cet ivrogne. Son poing fendit l'air, mais Shadow intervint juste à temps, l'empêchant de frapper.

— Ne t'abîme pas pour une chose aussi insignifiante, murmura-t-il d'une voix sombre.

Puis il détourna ses yeux perçants vers l'homme, qui pâlit instantanément. Shadow le saisit par le col et rapprocha son visage du sien.

— Tu pues l'alcool et la déchéance, grogna-t-il avant d'attraper un verre de rhum. Dans mon pays, on coupe les attributs des types comme toi et on les regarde brûler… c'est ce que tu mérites.

D'un geste sec, il renversa le verre sur l'entrejambe du pirate, qui tressaillit violemment.

— Ne t'approche plus de lui, ou c'est moi que tu auras à affronter.

Ewenn fixa Shadow, surpris. Il ne l'avait jamais vu dans un tel état de rage. Une obscurité inquiétante voilait son regard.

— Shad… euh, Charles. Cet homme est saoul, il ne vaut pas la peine qu'on s'attarde sur lui.

Shadow recula légèrement et s'éloigna du pirate. Mais alors qu'il allait s'asseoir, Ewenn tenta de fracasser un verre sur sa tête. Shadow esquiva sans effort et lui décocha un coup de poing. L'ivrogne, hébété, tituba et s'écroula.

Le capitaine, qui avait suivi la scène, éclata de rire.

— Encore un qui a abusé des bonnes choses !

Ewen pinça les lèvres… puis explosa à son tour de rire. Un rire nerveux, libérateur, après tout ce qu'ils avaient traversé. Il entraîna Shadow dans son hilarité.

— Cet idiot s'est mis KO tout seul !

Ewen essuya une larme de joie avant de reprendre son calme et de s'installer.

— C'est la première fois que je te vois rire, murmura Shadow en fixant Ewen.

Ce dernier détourna le regard, mal à l'aise.

— Tu devrais le faire plus souvent.

Shadow le fixait avec intensité, et Ewen sentit une étrange chaleur l'envahir. Il n'arrivait pas à comprendre ce qu'il ressentait. Ce n'était pas qu'une simple attirance physique…

Mais avant qu'il ne trouve quoi répondre, le capitaine leva son verre et lança :

— Levons nos verres à l'île mystérieuse et buvons jusqu'à l'aube !

— À l'île mystérieuse ! clamèrent les pirates en chœur.

Et la fête se poursuivit jusqu'à tard dans la nuit.