Chapitre 10
Dehors, Alice entraînait Butler dans son sillage. Sa force ne devait pas être proportionnelle à sa taille, car elle le tirait à sa suite sans difficultés.
Elle s’arrêta subitement. Derrière elle, le colosse manqua de lui rentrer dedans, tant son arrêt avait été imprévu.
Elle fixait à présent le vide, le regard perdu dans le vague.
Puis elle se mit sans crier gare à agiter ses mains à une vitesse folle. L’homme paraissait avoir du mal à suivre le débit soutenu de la jeune fille. Il comprit tout de même l’essentiel et pâlit. Il s’empara de son téléphone, appela Monsieur, et lui expliqua ce qu’il savait. Il parlait avec empressement tout en gardant la jeune fille à l’œil. Celle-ci semblait confuse, son esprit en ébullition. Et elle s’écroula.
***
La fête s'était terminée peu de temps après le départ d'Alice, plus personne n'avait la volonté de s'amuser après la frayeur du matin. Tous les invités étaient rentrés chez eux, laissant à Emi le soin de tout ranger.
Les jumeaux étaient arrivés dans la maison familiale dans un silence perturbant pour tout ceux qui les connaissaient. Les deux jeunes hommes, qui venaient de rencontrer Alice, était toujours perturbés par son étrangeté. Matt s’approcha doucement de son frère, et lui hurla à l’oreille :
-Jacob !
-Quoi ! hurla-t-il en retours à son frère.
Matt le regardait avec une mine contrite. Il ne savait pas trop comment aborder le sujet. Jacob comprit à son visage ce dont il voulait parler.
-Tu penses encore à la soirée, hein ? Tu la trouve bizarre ? Moi aussi. Je pense qu’elle a un pète au casque. En plus, elle s’est rapprochée des mauvaises personnes. Non mais Dylan ! Je veux dire, je l’adore hein, mais il n’est quand même pas toujours très sympa. Et puis pas patient du tout.
-Oui je ne sais pas, il a l’air super calme en ce moment. Et puis ils ont l’air assez proches...
Ils se turent, ne sachant pas quoi dire de plus sur cette étrange petite personne.
Le week-end passa à une vitesse folle. Les jumeaux, n'ayant pas cours le lundi matin, étaient allés au lycée public de la ville pour voir leurs amis. En les attendant, ils recommencèrent à parler d'Alice.
-Je comprends franchement pas ce qu'elle fait ici. Je veux dire, elle est pas toute seule dans sa tête et ils la laissent comme ça, dans un lycée public où la plupart des personnes sont des cons ? Ça n'a pas de sens.
Son jumeau hocha la tête. Lui non plus ne comprenait pas.
-Surtout qu'ils doivent pas être pauvres, je veux dire ils ont assez d'argent pour se payer un garde du corps.
Son frère le coupa brutalement.
-Ah, voilà le principal intéressé ! le coupa Jacob. Pas un mot sur notre discussion, compris ?
Matt hocha la tête en levant les yeux au ciel. Il porta ensuite son attention sur Dylan. Il semblait chercher quelqu’un. Cependant, il marchait aux côtés de Liam, ça ne pouvait donc pas être lui. Les frères sourirent. Il devait chercher Alice.
Malheureusement, ce matin-là, Alice n’était pas présente. Personne ne l’avait vue depuis la soirée d’Emi, au début du week-end. D’ailleurs, cette dernière s’approcha, l’air inquiète :
-Dites, vous avez des nouvelles d'Alice ? Personne n'en a. Moi qui voulais la remercier pour son magnifique cadeau !
Soudain, quelque chose, ou plutôt quelqu'un, attira son attention :
-Rose ! Attends-moi !
Elle se précipita vers son amie, qui s'était arrêtée au milieu de la cour. Elle se mirent à discuter vivement, parlant sûrement d'Alice. Elles arrêtèrent subitement de parler, et se tournèrent vers le fond de la cour.
Butler était là, l'air encore plus morose que d'habitude. Il était accompagné d'un homme de grande taille à fine moustache. Il dégageait une telle aura d'autorité que tout le monde se tut à son arrivée. Son port de tête noble et ses manières élégantes le rendait incroyablement charmant malgré son âge. Son visage était un peu ridé mais il dégageait tout de même une grande force.
Il parcouru un instant la cour du regard, puis se dirigea vers la direction. Butler le suivait de près, tout en jetant des regards méchant autour de lui.
La sonnerie retenti avant qu'ils ne soient sortis des bureaux. Les jumeaux partirent vers leur lycée tandis que les autres se dirigèrent vers leur classe. Leur professeur mit du temps à arriver, puis il finit par apparaître, la cheville dans le plâtre et armé de béquilles. Tous se rangèrent pour le laisser passer. Certains pouffèrent devant le spectacle de cet homme se débâtant pour marcher droit.
Le professeur leur indiqua de rentrer dans la classe en silence, et, lorsqu’Ashley, profitant sûrement de l’absence de sa rivale, osa faire une remarque, l’homme explosa :
-Ashley ! Si mon cours ne vous intéresse pas, dehors !
-Mais non, votre cours est très intéressant, monsieur !
-J'ai dit, DEHORS ! rugit-il en désignant la porte.
Ses élèves le fixèrent avec étonnement, peu habitués à ce genre d’éclat. Ashley finit par sortir, sous le regard furieux de l’enseignant, un air arrogant sur le visage.
Certains gloussèrent de voir l’ancienne reine du lycée ainsi traitée, lorsque l’homme siffla :
-Mais peut-être l’un d’entre vous veut-il la rejoindre ? Non ? Alors taisez-vous.
Son ton était sans appel.
Ses élèves étaient à présent sous le choc. Jamais, en deux ans et demi, leur professeur ne s’était montré si dur.
Il allait commencer son cours lorsqu’on frappa à la porte. Il ouvrit donc, et la directrice entra. Elle murmura quelques mots à l’oreille de l’homme, qui acquiesça.
-Je vais demander à Liam Magère, Emilia Simon, Kaya Abromovich, Rose Aderys et Dylan Sebastian de me suivre.
Ces derniers ne réagir pas, hésitant à se lever. La directrice s’impatienta :
-Allez, jeunes gens.
Les adolescents la suivirent en se regardant nerveusement. Ils finirent par arriver à son bureau, et y pénétrèrent. A l’intérieur se trouvait déjà Butler et l’homme qu’il avait accompagné. La directrice le présenta comme le professeur Virgile. Ce dernier prit la parole immédiatement.
-Bonjour, comme madame de Salens l'a si bien dit, je suis Isidore Virgile, docteur en psychologie. Vous avez peut-être déjà entendu parler de mes travaux. J’étudie actuellement un trouble psychologique rare que j'ai récemment découvert, le traumatisme récurrent. C'est un ensemble de troubles, que j’ai regroupé en un seul car ils sont trop nombreux pour être tous énumérés. On retrouve entre autres la personnalité schizoïde, la personnalité antisociale, peut-être la personnalité évitante, le trouble de stress post-traumatique, le trouble obsessionnel-compulsif, la phobie spécifique, le trouble panique, et bien d'autre encore. Vous vous en doutez peut-être, mais je suis également le tuteur d'Alice. Lorsqu’Alice est arrivée ici, on vous a dit qu’elle était muette et fragile. En réalité, elle est le seul individu recensé au monde à présenter ce trouble. Elle était redevenue à peu près stable, mais quelque chose lui est arrivé. Quelque chose qui a réduit tous nos efforts à néant. Quelque chose qui est arrivé le soir ou elle était avec vous. Vous comprendrez donc que je veuille savoir ce qui lui est arrivé. C’est pour cela que je vous ai fait venir.
Les jeunes gens se regardèrent, horrifiés. Alice avait un problème plus grave que ce qu’ils imaginaient.
Un blanc s’installa, le temps que les lycéens digèrent la nouvelle.
Dylan demanda subitement :
-Du coup, elle ne viendra plus ?
Le docteur le regarda gentiment.
-Elle semblait heureuse de pouvoir découvrir des personnes normales, alors, si on arrive à la stabiliser à nouveau, elle reviendra. Cependant, ce n'est pas une entreprise facile. C'est pourquoi j'ai besoin de savoir ce qu'elle a fait ce soir-là. Sans jugement, bien sûr, ajouta-t-il doucement à l'égard de Kaya.
Elle lui adressa un sourire reconnaissant.
Il se leva, distribuant les dernières consignes.
-Vous passerez chacun votre tour. Commençons par vous, sinon je sens que vous allez faire une crise de panique. Kaya, c'est ça ? Venez, passons dans une autre salle, dit-il avec un sourire chaleureux.
Ils entrèrent dans le bureau adjacent.
Devant le professeur, Kaya se triturait les cheveux. Elle semblait nerveuse. L’homme soupçonnait d’ailleurs une légère anxiété généralisée. Il souffla un coup, pour ne pas laisser son angoisse pour sa précieuse fille prendre le dessus, et commença à l’interroger.
-Alors, dis-moi, Kaya, comment s'est passé cette soirée ?
Elle fixa craintivement ses doigts avant de répondre d’une toute petite voix :
-Elle s'est très bien déroulée. Alice semblait heureuse d'être avec nous. Elle ne souriait pas franchement, mais je ne sais pas si elle sait le faire. En tout cas, elle allait bien quand je lui ai parlé.
Il la regarda attentivement.
-Tu as réussis à parler avec Alice ? Comment cela se passait-il ?
-Eh bien… Je parler et elle hoche la tête, ou alors elle essaye de m’expliquer avec des gestes. Ça n’est pas pratique parce que ne parle pas la langue des signes, mais on arrive à peu près à se comprendre.
Il regarda le vide quelques instants, avant qu’elle n’ajoute :
-Cependant il me semble avoir vu Dylan lui parler assez méchamment.
Devant le regard du professeur, elle expliqua :
-C’est le seul en dehors de moi qui lui parle. Je veux dire, les autres font moins attention à elle, ils en sont plus détachés.
-D’accord Kaya, merci pour tes réponses. Je pense qu’elles nous seront très utiles. Peux-tu demander à Dylan de venir, je te prie ?
Elle acquiesça doucement et sorti.
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