1 – Gloria : Le convoi

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Assise au fond de son siège passager, Gloria observe la savane qui défile à travers la fenêtre du tout-terrain. Le conducteur, Job est concentré sur la route. Au milieu du crissement des cailloux écrasés par les véhicules et de la musique issue de la radio, le son sourd d’un nouveau lancement fait vibrer les vitres.

La radio analogique crache un message empli de bruit statique : « Encore soixante-dix kilomètres avant Kasensero. On fera un arrêt à Kyotera. Le camion a un problème de pression sur un des pneus. »

Le camion, ce monstre qui transporte un nouveau module de passager pour des vols orbitaux : trois tonnes à vide, onze avec le carburant. Avec cette route dans un état désastreux – comme si le monde entier leur criait : « vous n’êtes plus dans les quartiers privés de Sol6 » – il est presque étonnant d’être parvenu si loin de Kampala sans autres problèmes.

« Au moins on pourra aller se dégourdir un peu les jambes, déclare Gloria. Avec toutes ces vibrations, j’ai du mal à croire qu’on ait encore une suspension.

– Ah, c’est sûr, la jeep n’est pas aussi récente que le mammouth derrière nous, plaisante Job.

– Ça pourrait être pire : on pourrait rouler au pétrole, s’amuse l’ingénieure.

– Vous avez connu cette époque ? demande le conducteur intrigué.

– Voyons, ça ne se demande pas ça ! », répond Gloria en explosant de rire. S’il savait… Avec ses quatre-vingt-quatre ans, la femme pourrait être sa grand-mère.

Au loin, l’appareil responsable du tonnerre continue de s’élever dans les airs, prenant son appui sur son panache de fumée. Sa trajectoire, presque horizontale, le fait aller plein est. Il est probablement déjà au-dessus du grand lac Victoria.

Le complexe de lancement de Kasensero n’existait simplement pas dans la jeunesse de Gloria. Vers le milieu du siècle, quand les grandes corporations ont commencé à émerger, Sol6 a investi le pays, profitant d’avantages fiscaux et d’une proximité avec l’équateur. Des quartiers entiers de la capitale, Kampala, ont même été privatisés. C’est simple : Sol6 possède une ville privée dans la première ville ougandaise. À l’époque, beaucoup s’étaient inquiétés, mais le gouvernement local se réjouissait d’avoir été choisi par l’une des plus puissantes sociétés du monde pour y installer son siège. Mais voilà, on n’installe pas un centre de lancement spatial dans une zone fortement urbanisée, c’est pour ça que Kasensero existe.

Le véhicule passe un nid-de-poule, secouant violemment les passagers.

« La route est encore pire ici, se plaint Gloria. Sol6 pourrait faire quelque chose quand même.

– Bah, on ne l’emprunte pas si souvent que ça, justifie Job. D’habitude, le matériel est transporté par hélicoptère, ou par bateau. Je ne sais pas ce qui leur a pris de nous faire passer par la route.

– Avec l’accident du cargo d’hier, le trafic naval est bloqué, rappelle l’ingénieure. Et avec le lancement dans une semaine…

– Attendez, qu’est-ce que… », la coupe Job.

À quelques centaines de mètres, une colonne de fumée noire s’élève dans le ciel, par-dessus les arbres. Passant le virage, les deux éclaireurs aperçoivent les restes d’un véhicule embrasé, placé au milieu de la route, comme pour barrer le passage. Job se saisit immédiatement de la radio : « On a un problème : un véhicule en feu au milieu de la route. Prévenez le QG ! »

Alors que le conducteur s’apprête à ralentir, la vitre latérale explose, projetant du verre dans tout l’habitacle. S’effondrant sur le volant, il envoie la jeep dans le bas-côté et un arbre les arrête net. Un cocktail Molotov explose à l’arrière, enflammant instantanément les sièges arrières.

Gloria, sonnée, tente de réveiller Job en criant et en le secouant. Mais rapidement, alors que la fumée envahit la jeep, elle se rend compte que la balle qui a fait exploser la vitre l’a tué. Suivant son instinct, elle détache sa ceinture et tente d’ouvrir sa porte en vain, sous le choc, le mécanisme d’ouverture s’est bloqué.

Elle décide alors de passer par l’autre côté. Gardant la tête baissée, elle passe par-dessus les genoux de Job, repoussant le reste de son corps qui tend à s’effondrer sur elle. Avec les fragments de verre, ses mains commencent à saigner et après le choc ses articulations la font souffrir. Elle parvient à la portière et après quelques secondes d’hésitation à suffoquer dans la fumée, elle escalade la fenêtre et se laisse tomber dehors, haletante.

À mesure que le sifflement de ses oreilles s’estompe, elle perçoit les cris des assaillants d’un coin d’œil elle les voit inspecter le camion. Les mots en kiswahili lui échappent mais le ton semble être un mélange d’amusement et d’empressement. Les deux occupants de la cabine sont sortis avec force et abattus sans ménagement.

L’un des hommes l’aperçoit alors, et deux d’entre eux s’approchent en pointant leurs armes vers elle. Alors qu’ils s’apprêtent à l’achever, une enfant fait irruption, parlant dans un créole d’anglais et de swahili. Gloria ne comprend que quelques mots : « grand-mère », « maudit » et « Sol6 ». L’un des deux hommes gifle l’enfant avec tant de force qu’elle tombe dans la poussière et le gravier de la route. Alors qu’elle sanglote, une discussion mouvementée s’engage entre les hommes mais le sens des mots échappe encore à Gloria.

Finalement, l’un des hommes s’approche de la femme à terre, et lui abat un violent coup de crosse.

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