29 – Alexander : Extraction
Dans la pénombre de l’infirmerie, Alexander est réveillé par un son puissant qui résonne à travers la porte. Une heure auparavant, il avait entendu une série d’étranges chocs résonner à travers toute la structure. Sous la fatigue, et comme rien d’autre ne s’était passé ensuite, il s’était rendormi. Mais là, il n’y a plus de doute : quelqu’un est à bord.
Trois coups sont martelés sur la porte. Traversant l’espace dans lequel il a dérivé pendant son sommeil, il répond. Quelques instants plus tard, une nouvelle vibration traverse l’écoutille et le son saturé forme une voix : « Nous installons un sas externe, la coursive est dépressurisée. Combien êtes-vous ?
– Je suis seul, répond Alexander d’une voix forte.
– Un seul. Bien reçu. », termine la voix résonnante.
La demi-heure suivante, l’espion n’entendra que des grattements, des grincements et quelques coups dans la structure. Incertain de l’identité de ses sauveteurs, il ressent toutefois un léger soulagement : l’idée de quitter enfin cette infirmerie claustrophobique lui apporte un peu de réconfort. Il profite de ce moment pour camoufler son équipement illégal dans le renfort de l’une des tables médicales : si ce ne sont pas ses alliés, ils ne doivent pas le prendre avec ça sur lui.
De nouveaux coups sur la porte et la voix résonne à nouveau : « Nous allons ouvrir l’écoutille, écartez-vous de l’entrée. ». Alexander obtempère et se place en arrière. La porte de l’infirmerie s’ouvre et un léger sifflement témoigne de l’équilibrage de l’air entre l’infirmerie et le fameux sas. Devant lui, deux astronautes, à l’envers, l’éblouissent de leurs lumières. Deux petits drones d’inspection flottent autour d’eux.
La voix, à peine étouffée par le casque fermé de la combinaison, lui dit : « Bonjour. Êtes-vous blessé ?
– Non, ça va. J’ai juste soif, et faim. Et j’apprécierais de trouver des toilettes, répond le rescapé.
– On va vous extraire sur notre vaisseau, le rassure le sauveteur. Mais toute la section est dépressurisée. Vous allez-devoir enfiler cette combinaison.
– D’accord. », accepte Alexander.
Pendant qu’il s’équipe, aidé par le premier astronaute, l’autre examine la salle. Attaché à l’extérieur de sa combinaison, deux épées flottent contre sa hanche gauche, comme le daïsho d’un samouraï. De l’autre côté, un pistolet shock est placé, prêt à l’usage.
Après un bon quart d’heure à s’équiper, et à vérifier l’étanchéité de la combinaison, l’astronaute s’apprête à lui indiquer la voie, lorsque quelque chose attire son regard. Il se dirige vers l’un des panneaux des armoires techniques, sous le regard de son comparse silencieux. Il tapote légèrement l’indicateur à sa surface et explique sur un ton intrigué : « La consommation d’énergie est trop élevé pour quelques veilleuses et le système atmosphérique. Il y a un appareil en fonction. Il y a quoi dans la remise ?
– Je ne sais pas elle est verrouillée, lui explique le survivant.
– D’accord, on va y jeter un œil. », indique l’astronaute avant de commencer à manipuler le verrou électronique.
« La porte n’est pas étanche, donc c’est pressurisé de l’autre côté. », fait-il remarquer. Branchant un décodeur, le secouriste pirate le dispositif et la porte débloquée, commence à glisser sur le côté. Presque immédiatement, il annonce : « On a un second survivant ! Mais il n’est pas dans un bon état… Akasha, on va avoir besoin d’un brancard pressurisé avec une assistance respiratoire. ».
L’autre astronaute n’a pas bougé d’un millimètre et Alexander ressent l’impression d’être attentivement examiné. Contrairement aux deux sauveteurs, sa tenue est une combinaison d’intérieur, inadaptée à toute sortie extravéhiculaire. Mais surtout, elle est bien moins renforcée. S’il devait y avoir un combat, il n’aurait aucune chance.
Avec délicatesse, et la grâce aérienne de l’apesanteur, le premier astronaute extrait lentement une table médicale complètement équipée. Dessus repose la femme que le rescapé juge responsable de sa situation actuelle. Sanglée pour lui éviter de dériver à travers la salle, elle est sous respiration artificielle, un tube entrant profondément dans sa gorge. Elle porte les ecchymoses de sa lutte avec l’assassin, teignant sa peau noire de taches violettes. Le bandage à sa main rappelle au rescapé qu’elle est malgré tout condamnée : le virus, ou quelque-soit l’agent biologique qu’on lui a confié, doit déjà commencer son carnage à l’intérieur de ce corps inanimé.
Alexander réfléchi rapidement à ses options : un combat ici même lui serait immédiatement fatal et il semble à peu près évident que ce n’est pas l’équipe d’extraction qu’il a demandé. Avec la réapparition de cette gêneuse, sa position devient précaire. En attendant une meilleure opportunité, il va devoir se contenter de jouer son rôle de cadet désorienté.
L’astronaute stabilise la table médicale avec son hôte sur l’un des côtés de la salle principale de l’infirmerie, avec suffisamment d’espace pour pouvoir naviguer librement autour. Ceci fait, il adresse un léger hochement de la tête à son collègue et entre dans le sas de tissu. Refermant soigneusement l’ouverture de leur côté, il disparaît derrière le mur blanc. Le son d’une pompe parvient au survivant, mais rapidement, son volume décline jusqu’à devenir parfaitement inaudible.
L’autre astronaute n’a pas bougé d’un cil. Les lumières éblouissantes de son casque empêchent Alexander de voir son visage à l’intérieur, mais les couper les plongerait dans cette pénombre devenue trop familière. Se risquant à briser le silence, le rescapé demande : « Eh bien, on ne peut pas dire que vous soyez particulièrement bavard.
– Feyn est le commandant, je ne fais que suivre ses instructions. », lui répond une voix féminine, à demi-étouffée par l’épaisseur de la visière du casque. Elle continue, sans bouger : « Je débute dans le sauvetage spatial et je n’ai pas spécialement envie de découvrir la véritable signification du dicton des astronautes.
– Quel dicton ? demande-t-il.
– Il n’existe pas de telle situation qui serait tellement mauvaise que tu ne pourrais pas la faire empirer, récite la femme. Et la situation ici est déjà assez mauvaise justement.
– Je vois. », répond Alexander, incertain de l’interprétation de ces mots. Des reproches ? Non, ils ne peuvent pas déjà savoir.
Après une autre demi-minute dans un silence gênant, la porte du sas s’ouvre à nouveau sur un léger sifflement d’égalisation de l’air. L’astronaute est accompagné d’un grand robot araignée aux très longues et fines pattes, semblables à des aiguilles géantes. Il porte un sac assez volumineux. L’engin s’immobilise au sol de l’infirmerie, retenu par de petites « ventouses » gecko. L’astronaute ouvre alors le sac, et commence à déployer ce qui ressemble à un grand brancard. Certaines parties mécanisées s’assemblent d’elles-mêmes, et en moins de trois minutes, l’ensemble est prêt à accueillir la jeune femme.
Avec de très nombreuses précautions, le sauveteur débranche et remplace les tubes et fils connectés à la femme, par ceux fournis par la plateforme médicale arachnoïde. Sur le côté, un écran affiche les variables vitales qui semblent satisfaire l’astronaute. Après l’avoir détachée, il transfère ensuite l’inconsciente sur le brancard, délicatement. Là, il la sangle avec les attaches prévues à cet effet et effectue quelques dernières vérifications, avant de refermer le sac qui se comporte alors comme une cabine pressurisée. Une pompe interne injecte un peu de pression et les parois semblent se rigidifier.
L’étanchéité vérifiée, il donne quelques ordres à l’arachnide de transport qui se déplace vers l’entrée de la pièce. L’astronaute, range méticuleusement le matériel médical désormais inutilisé à leurs emplacements légitimes. À ses gestes lents mais efficaces, Alexander réalise que l’homme doit faire ce métier depuis très longtemps. Si la femme avec ses katanas possède la même maîtrise, il doit s’agir d’une adversaire particulièrement redoutable.
La place remise en ordre, ce Feyn annonce : « Nous allons revenir à l’Akasha, j’ouvre la marche avec notre infortunée. Le sas ne peut pas contenir plus de deux personnes. Je vous donne le signal lorsque vous pourrez passer.
« Bien compris. », opine la femme, sans quitter Alexander des yeux.
L’astronaute et l’inquiétant brancard s’engagent dans le sas. Refermant l’écoutille de tissu, ils disparaissent derrière le voile blanc que seul une petite lucarne traverse. L’éclairage des puissantes lampes sur le tissu lui donne une touche fantastique, mais aussi quelque peu inquiétante. Quelques minutes passent durant lesquelles le bourdonnement de la pompe s’éteint puis revient. La voix de Feyn résonne alors dans le casque du rescapé : « C’est bon pour nous, le sas est à nouveau pressurisé. ».
La femme ouvre le sas encore entouré des deux drones. L’un d’eux s’engouffre dans la structure temporaire et l’astronaute lui fait signe de passer. Il pénètre dans ce qui ressemble à une tente fermée de tous côtés. Derrière lui, la femme, accompagnée du dernier drone, franchit à son tour l’entrée.
Elle éteint l’infirmerie ; puis referme la porte de l’infirmerie qui se verrouille avec le bruit typique de celles du vaisseau. Passant le zip de la fermeture éclair, elle scelle la porte du sas et lance la procédure de dépressurisation. La pompe, attachée sur le montant entre le plafond et le mur du fond, émet à son tour ce bruit caractéristique qui s’évanouit en même temps que l’air de la minuscule salle de tissu. Alors que la pression diminue, la tension sur les parois s’affaiblit aussi et les surfaces se froissent légèrement ; silencieusement.
Elle ouvre alors la sortie et la franchit, invitant le rescapé à la suivre. Comme happé dans la profonde colonne de la coursive centrale, Alexander ressent une profonde désorientation et la nausée lui revient avec force. Très attentif, le sauveteur le plus expérimenté lui donne ce conseil : « Tenez-vous face au mur et restez immobile le temps que ça passe. Vous n‘avez pas envie de remplir votre casque de votre dernier repas. ». Alexander s’exécute et semble aller mieux au bout de quelques dizaines de secondes.
Voyant sans doute qu’il va mieux, le commandant annonce : « Nous allons y aller. Vous, essayez de garder vos yeux le plus possible sur le mur : vertige et apesanteur font assez mauvais ménage.
– Je vais suivre votre conseil au mieux, souscrit le survivant.
– Ah, et ne vous en faites pas : ça va passer avec le temps. Mes premières sorties spatiales ont été très amusantes… pour les autres ! », plaisante Feyn.
Du coin de l’œil, Alexander aperçoit le robot arachnide qui se déplace de ses trop longues pattes. Si longues qu’il prend appuis sur tous les murs de la coursive en même temps. Un moyen efficace d’assurer une stabilité à l’ensemble dans cet environnement affreusement sans poids.
Les voici déjà devant le sas menant à ce fameux Akasha. Remonter l’échelle et traverser la coursive transversale, celle dont il avait saboté toutes les portes, lui a paru bien rapide. Traversant le tube de connexion, composé de motifs triangulaires imbriqués dans des contre-spirales complexes, l’assassin pressent que son séjour à bord ne sera pas de tout repos. Mais il se réjouit malgré tout de ne plus attendre seul dans la pénombre de sa cellule à bord d’un vaisseau dérivant.
Arrivés dans le sas, le commandant donne ses ordres : « Allez à l’infirmerie. Je vais reprendre les recherches, au cas où il y aurait d’autres survivants là-bas.
– Seul ? s’étonne Alexander.
– Je travaille seulement avec Akasha d’habitude. », lui explique le commandant en se tournant vers lui.
L’éclairage abondant du vaisseau compensant celui des lampes de la combinaison, le rescapé aperçoit enfin le visage de son occupant : le visage d’un raton laveur !
Annotations
Versions