Coup de semonce

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Quand le sommeil me quitta définitivement, je sortis m'asseoir sous la galerie du motel. J'allumai un cigare, décapsulai un Dr Pepper's.

J'assistai à une aube grise et pluvieuse. Je restai un long moment dans la fraîcheur matinale à observer un monde d'ouvriers auquel je n'avais jamais appartenu se mettre en branle. Le chômage galopant, la chute de la productivité face aux marchés sidérurgiques asiatiques, la fracture sociale étaient des concepts dont je connaissais l'existence mais qui ne m'avaient jamais concerné. Mais je voyais bon nombre d'opportunités à ne pas rater dans la courbe ascendante de la criminalité et les petits trafics florissants de la Rust Belt. Notamment ceux d'amphétamines dont la qualité devenait meilleure chaque semaine. Dom nous avait juste dit avant de partir :

 " Faites gaffe avec ces bouseux. Ils sont encore plus tarés que les Colombiens à l'époque de nos vieux ! Alors, enlevez-vous de l'esprit que vous êtes là-bas pour faire du tourisme. Et ramenez-moi un putain de deal ! "

Qui aurait pu prévoir que nous tomberions, Charlie et moi, dans les collines de l'Ohio, sur ce traître de Nate Galloway ?

La porte de la chambre s'ouvrit, Charlie apparut. Ses premiers mots du jour sonnèrent comme un déferlement de colère contenue :

 " Bordel ! J'me demandais où t'avais foutu le camp, Sean !

 - J'étais juste là.

 - On dirait que t'as pas pioncé.

 - Si, un peu. mentis-je.

 - OK. Quelle heure il est ?

 - Un peu plus de six heures trente. À quelle heure est-ce que les Ghost Dogs doivent nous appeler ?

 - Vers neuf heures, m'a dit Leonard. Je crois que c'est Trey qui doit nous joindre. Et un de leurs gars viendra nous chercher pour monter jusqu'au labo. P'tit déj en attendant ?

 - Bonne idée. répondis-je en me levant de ma chaise.

 - Je vais prendre ma douche. Planque ce carnet, Sean, avant que quelqu'un le voie. "

Il retira son débardeur. Une vilaine ecchymose d'un violet profond lui ceignait la poitrine là où son fusil à pompe l'avait heurté dans sa glissade après notre fuite de la maison de Galloway. Je n'aurais pas été surpris s'il avait eu quelques côtes cassées.

 " Tu m'mates ?

 - T'es con, Charlie. Mais ta blessure est pas très belle. répondis-je en rigolant.

 - Bah, c'est pas la première fois. Tu te rappelles des branlées que me filait mon père quand je galérais sur mes divisions ?

 - Comment oublier ça ? "

Pendant que Charlie se douchait, alors que je rangeai le carnet de confessions de Nate Galloway dans mon sac, un souvenir remonta des tréfonds de ma mémoire.

J'étais dans une librairie avec mon père. Il sortait tout juste de trois ans à Walpole. Avec sa casquette en tweed et sa barbe de trois jours, sa présence m'intimidait autant qu'elle me fascinait. Ce jour-là, il m'avait offert mes premiers romans avec ce qui ressemblait à l'époque à une sentence :

 " Il y a plus de savoir là-dedans que dans toutes les magouilles de la rue. La connaissance est le meilleur des atouts. Les dés ne sont pas pipés, Sean. Alors, utilise ta cervelle et ne fais pas de vagues. "

Je ne me souvenais pas quels titres il m'avait achetés à cette occasion mais l'écho de ses mots ne me quitta jamais.

ll m'avait fallu des années pour entrevoir cette sombre vérité. La violence ne résout rien, elle se contente d'ensemencer des graines acides dans son sillage.

Après m'être lavé, nous traversâmes jusqu'au diner de l'autre côté de la rue.

Mon téléphone sonna. C'était Dom. D'emblée, je sus que quelque chose n'allait pas. " Et merde ! " murmurai-je.

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