Au bal de Lucifer

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Pendant un instant, entre le regard acéré du shérif braqué sur nous et Charlie qui s'apprêtait à me répéter les consignes de Leonard, je sentis comme la lame finement aiguisée d'un rasoir sur ma gorge.

Des secondes incertaines où trop en dire pouvait s'avérer catastrophique. Charlie et moi venions de pénétrer sous le feu des projecteurs au bal de Lucifer. Aussi décidai-je d'opter pour une approche à la cool.

Charlie, en rangeant son téléphone dans sa poche, commença :

 " Il faut qu'on bouge, mec. Leo...

 - J'ai entendu, Mike. Tu m'accordes juste le temps d'aller pisser ? " l'interrompis-je.

À l'évocation de son second prénom, il se raidit et me lança un regard rond. L'étonnement s'effaça derrière la détermination quand il remarqua la voiture de patrouille sur le parking.

 " Traîne pas trop, Art. Je ne tiens pas à être à la bourre chez le client.

 - Yep. " répondis-je le plus naturellement possible en glissant le long de la banquette.

Au comptoir, le shérif, son adjoint et le type du FBI ne prêtaient pas attention à nous, occupés à commander leur café et leurs pancakes.

Sur la paroi en céramique des toilettes, à la lecture d'un graffiti à demi effacé : " À la fois ange et démon, il contrôle notre monde. Reste à savoir qui glisse un billet dans le tronc de son église. ", une pensée me traversa l'esprit.

C'était Leonard qui avait appelé et non son bras droit, Trey comme c'était convenu. Une façon subreptice de nous mettre la pression et malheur à nous si nous foirions notre coup. Dom n'aurait même pas besoin d'envoyer Fergus. Le genre de danse où le moindre faux pas est interdit car le Diable ne tolère aucune anicroche.

Oublié le Charlie décontracté et hâbleur des instants précédents. À la place, je trouvai à présent une autre facette de lui, plus froide et intuitive. Celle du brigand imperméable à la pression et prêt à tout.

 " Pour cette fois, je t'invite, Art. " me lança-t-il d'un ton faussement jovial alors que je cherchais mon portefeuille dans les profondeurs de mon blouson. Il laissa un généreux pourboire à la serveuse qui rougit.

Près de la sortie, je mettais mon chapeau quand le shérif tourna vers nous son regard gris acier :

 " Bonjour, messieurs.

 - Bonjour, shérif.

 - Il ne me semble pas avoir le plaisir de vous connaître.

 - Non, en effet. Nous ne sommes que de passage dans le coin. répondis-je.

 - Et qu'est-ce qui vous amène à Marion en cette saison ?

 - Les affaires.

 - Quel genre d'affaires, sans indiscrétion ?

 - Nous travaillons comme concessionnaires motos à Chicago. Nous avons rendez-vous dans la région pour acquérir une Vincent Black Shadow à retaper. intervint Charlie.

 - Intéressant. Quelqu'un de la région ?

 - Non, du côté de Blair Creek.

 - Je vois. Avant que vous ne repreniez la route, vous voulez bien me montrer vos papiers, messieurs ? Simple contrôle de routine. "

Derrière l'intonation avenante, une fermeté qui ne laissait guère de place au doute.

Pendant que je plongeai la main à l'intérieur de ma veste, je vis l'agent du FBI lever les yeux vers nous à travers le miroir du comptoir. Il portait une cravate d'un rouge qui m'évoquait les coquelicots dans les champs de blé l'été. Il ressemblait au Dale Cooper de la série télé.

" Reste cool, souris ! " me dis-je tout en priant pour que les histoires de Charlie ne fussent pas trop grosses.

 " Messieurs Arthur Dunn et Michael Henry. Ravi de faire votre connaissance.

 - Nous de même, shérif.

 - Prudence sur la route. " lança-t-il en nous rendant nos permis de conduire dans un grand sourire.

J'attendis d'avoir traversé le parking pour me détendre et lâcher dans un souffle :

 " Putain ! On a eu chaud, Charlie.

 - Ouais mais on connait le rodéo, amigo. Faut juste éviter de retomber sur ce con dorénavant.

 - Il faut surtout qu'on change d'hôtel, mec.

 - Ouais. Allez, grouillons-nous. Le van ne nous attendra pas plus de trois minutes. "

Pendant que nous rejoignions l'arrière du motel, je remerciai intérieurement mon compagnon pour son talent d'acteur. Pour une fois que ses mensonges servaient à nous sauver les miches et non à trouver un alibi foireux auprès de sa femme après l'avoir trompée, j'en étais content.

Dans la contre-allée, un van mit son moteur en marche quand nous arrivâmes à sa hauteur. Un gars, portant la barbe et une casquette de baseball, nous interpella :

 " Salut les marioles ! Avant d'embarquer, montrez-moi vos gueules et votre quincaillerie. "

À l'arrière du fourgon, un autre type nous prit nos calibres et nous enfonça un sac sur la tête. Dans le vacarme, je n'entendis qu'une chose : direction Castor Road.

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