Sous le regard du directeur

4 minutes de lecture

Le regard de granite et la voix froide de Dillon me renvoyèrent de façon inattendue à un lointain souvenir de mon père. Une image que je croyais perdue. Ou plutôt une tonalité, celle de sa voix dénuée d'émotion émergeant de l'obscurité du salon quand je rentrai tard ce soir-là :

 " Je peux savoir où tu étais ? "

Suivie du bruit et de l'éclat de son briquet. Dans la lueur du frigo ouvert, je jetai un œil vers la pendule murale. Vingt-trois heures passées de quelques minutes.

J'avais treize ans, les soirées dans Southie devenaient fascinantes au point d'être prêt à braver l'autorité paternelle.

 " J'attends une réponse, Sean.

 - Avec mes copains. Charlie et Jax.

 - Où ça ?

 - À la plage.

 - De Boston Harbor ?

 - Oui.

 - Ferme ce foutu frigo et viens ici. "

La cigarette, que je devinais à sa braise rougeoyante, ne bougeait plus. J'entrai, hésitant dans le salon.

 " Tu es essoufflé, on dirait. "

La colère était maintenant palpable dans sa voix bien trop proche. Son poing vint me frapper au dessus du foie, à l'endroit précis où un point de côté me vrillait la poitrine après avoir remonté H Street en courant.

 " Joue encore au con avec moi, Sean et je te garantis que tu passeras le reste de l'été, cloué dans ta piaule. Ou à bosser à des trucs bien chiants. C'est ça que tu veux ?

 - Non, p'pa.

 - Fous-moi le camp. "

Résultat, je m'en tirais avec les fractures de deux côtes et une vilaine ecchymose violacée que je traînais jusqu'à la mi-août. Une marque que j'arborais avec fierté auprès de mes copains comme des sortes de lettres de noblesse. Mais je ne m'amusais plus à dépasser l'heure du couvre-feu.

Autant dire que la question de Leonard, même si elle n'offrait ni alternative ni tergiversation possibles, ne m'intimidait pas plus que ça.

Dans le fauteuil à ma gauche, Charlie attendait que je parle en premier.

 " Effectivement, Mr Dillon, mais Nate Galloway avait une dette à régler avec le clan.

 - Je n'aime pas beaucoup les "mais", les gars. Ça donne l'impression que notre accord n'est pas si important que ça pour vous. Que vous préférez vous occuper de vieilles affaires, répondit-il en se grattant le coin de l'œil.

 - Nous pourrions revoir notre accord à la hausse. répondit Charlie.

 - Avec le FBI dans les pattes et sachant que le directeur de l'antenne locale nous met la pression depuis sa nomination, nous devrions peut-être laisser tomber.

 - Sauf votre respect, Mr Dillon, il n'y a aucune raison pour que le FBI ou le shérif fasse le lien entre la mort de Galloway et notre deal. Ni même avec notre présence.

 - Alors même que vous avez été vus en train de discuter avec Gatineau ce matin, Mr Fogarty ?

 - Ils sont sûrement sur les dents mais de là à nous suspecter...

 - Notre histoire tient la route. S'il faut, nous avons tous les papiers qu'il faut au motel en guise d'alibi. ajouta Charlie en m'interrompant.

 - Et les flingues ? intervint Trey.

 - Planqués dans la voiture.

 - Je la sens pas, cette histoire.

 - Je sais, Trey. Mais c'est ça ou se tourner vers le cartel. Et je ne veux pas faire affaire avec ces putains de Mexicains. Je vous écoute, les Bostoniens. C'est quoi, votre nouvelle proposition ? lança Leonard.

 - On est prêts à rajouter vingt-cinq pour cent au prix que nous avions convenu avec Trey.

 - Je verrai plutôt cinquante.

 - Trente.

 - Trente-cinq. Et c'est ma dernière offre.

 - OK, Mr Dillon. Trente-cinq pour cent mais nous voulons aussi de votre marijuana.

 - Dans ce cas, vous gérez le transport. Deal ?

 - Deal.

 - Bon, avant que Trey ne vous montre les serres, buvons un coup. Darius, dis aux filles de nous ramener des bières.

 - OK, boss. "

L'homme de main disparut dans le couloir du fond. Charlie se détendit dans son fauteuil. Quant à moi, je restais tendu, aux aguets. Je nageais depuis trop longtemps dans ce milieu pour savoir que la parole ne vaut pas grand-chose tant que l'échange n'a pas eu lieu.

J'entendais les talons aiguilles des jeunes femmes de tout à l'heure. Leonard, une étrange lueur dans le regard, me dit de la même voix monocorde :

 " Vous devriez vous détendre un peu, Mr Fogarty. Vous avez l'air d'un robot. Nous sommes entre personnes civilisées, voyons ! "

Je me calai dans les profondeurs du cuir anglais de mon siège. Pendant qu'une brune tatouée me servait une bière, je contemplais les murs du bar. Entre un drapeau confédéré et des étendards aux couleurs des Ghost Dogs, s'étendait une galerie de photos prises lors de séances d'identification par la police. Idée originale et pied de nez comique à l'autorité.

Mais Leonard n'occupait pas la place centrale. Il se trouvait à droite d'un homme plus âgé, aux cheveux blancs. Suivant mon regard, Dillon m'expliqua :

 " Lui, c'est notre directeur, le fondateur du club dans les années 70. Elliot Harvey. Vous aimez les bécanes ? "

Il pointait du doigt la pièce la plus clinquante de la décoration. Une moto d'un noir de goudron. Une Indian ou une Harley à ce que je pouvais en juger.

 " Je n'y connais pas grand-chose.

 - En fait, ça n'a pas beaucoup d'importance pour ce que je vais vous demander de faire pour nous. En guise de dédommagement pour le bordel que vous avez foutu en butant le vieux Galloway.

 - Mr Dillon, ce n'était pas prévu dans l'arrangement.

 - Dans celui que j'ai passé avec vous, non. Dans celui avec Dom Hartwell, oui. "

Du coin de l'œil, je vis Charlie se figer. Une sensation de froid, de tripes en chute libre m'envahit. " Enfoiré de Dom ! " me dis-je.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Shephard69100 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0