L'attaque

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Au-delà de la longue nuit, le soleil se leva et inonda la plaine de teintes huilées qui me rappelaient les peintures impressionnistes. La sphère rougeoyante marquait aussi la fin de notre attente. Après chaque nuit blanche, je sentais mes nerfs grésiller comme autant de fils électriques mis à nu. Celle-ci ne faisait pas exception.

Ronan, l'un de nos renforts sur ce coup-là, vérifia le scanner de la police. La stridulation électronique troubla un peu le silence de la cabine du camion. Fausse tranquilité où la tension montait, les sens aiguisés par la concentration. Pas besoin de café, l'adrénaline faisait le boulot.

Dans le talkie-walkie, je demandai :

 " Comment ça se présente ?

 - On est à cinq cents mètres. La route est dégagée. " crachota la voix de Stuart, notre second renfort dans la radio.

Quelques secondes, le temps d’armer mon Sig 552 puis à nouveau Stu :

 " On prend la sortie. En piste, les gars. "

Je lançai notre Peterbilt dans un grondement de bête à l'assaut du carrefour.

Notre objectif était simple. Extraire Alan Dendry, le sergent at arms des Ghost Dogs lors de son transfert entre son frigo actuel au Chillicothe Correctional Institution et le bureau du juge à Colombus où il était attendu pour une audition, le conduire ensuite jusqu'à une planque. Dans le détail, Charlie et Stuart s'occuperaient du SUV de l'escorte, Ronan et moi du fourgon de prisonniers.

Je retrouvai mes vieux réflexes acquis avec des gars de Charleston mais la pression aujourd'hui était différente. Cette mission, c'était comme si la gueule tatouée sur la main de Leonard s'était refermée sur nous.

Le van blanc du bureau du shérif apparut de l'autre côté du tunnel. Le temps suspendit son vol, j'avais l'impression de percevoir le monde dans son intégralité. Le convoyeur au volant tourna la tête vers le camion lancé à pleine vitesse, la surprise déforma ses traits. Il tenta de piler alors que je franchissais le stop mais il était déjà trop tard.

Je percutai la camionnette au niveau du bloc moteur, le choc la souleva et je vis l'avant du véhicule rebondir dans une danse grotesque vers le fossé. Nous étions à peine arrêtés que Ronan sautait déjà hors de la cabine, son fusil d'assaut braqué vers le conducteur du fourgon.

Plus haut, le pick-up de Charlie et Stuart s'arrêta dans un hurlement de pneus au niveau du tout-terrain d'escorte suivie de deux détonations assourdies. L'un d'eux venait de neutraliser le véhicule des flics. Je dépassai le capot de notre camion quand Ronan hurla :

 " Les mains bien en évidence, bande d'enfoirés ! "

L'adjointe ouvrait sa portière quand j'arrivai à sa hauteur :

 " Mauvais plan, ça ! J'veux voir tes mains ! Magne-toi ! " lui gueulai-je dessus en l'attrapant par le gilet pare-balles et en la forçant à descendre. Je lui collai le canon de mon arme sous le nez et de l'autre main, attrapai son 9mm de service pour le balancer dans le caniveau derrière moi.

Stupeur de se retrouver braquée et confusion de l'accident se mêlaient sur son visage. J'en profitai :

 " Lequel de vous deux a les clés des prisonniers ?

Comme elle ne réagissait pas, je la frappai à la bouche. Je répétai mon ordre :

 " Réfléchis pas, connasse ! Coopérer n'est pas optionnel. Donne-moi ces putains de clés ! Fais exactement ce que je te dis et tout se passera bien. OK ?

 - Oui, m'sieur. "

La peur que je lisais dans les yeux arrondis de la gamine la vieillissait affreusement. Elle descendit la main vers son ceinturon.

 " Easy, ma jolie. Écoute-moi bien. Je veux que tu libères les chaînes des prisonniers. On prend l'un d'eux, vous restez, tes potes et toi, bien sages et tout sera fini avant même que tu t'en rendes compte. Je me suis bien fait comprendre ?

 - Oui, m'sieur. " répéta-t-elle.

Une poignée de secondes plus tard, je refermai ma main sur l'épaule de Dendry puis j'ordonnai à l'adjointe :

 " Maintenant, mets-toi face contre terre, les mains derrière la tête et ne bouge plus. "

Poussant le biker devant moi, je remontai en vitesse vers le pick-up de Charlie. Stuart et lui tenaient en joue les deux autres adjoints. Je criai :

 " C'est bon ! Je l'ai, je l'ai. On y va ! "

Je forçai Dendry à s'allonger dans le coffre de la voiture pendant que Charlie s'installait au volant. Je couvrais Ron qui remontait à son tour vers nous, Stu gardait son M4 braqué vers le binôme d'agents.

Tout marchait comme sur des roulettes et ce fut à ce moment que les choses derapèrent.

Ron arrivait au niveau de notre voiture de repli quand le conducteur du fourgon sortit de la cabine défoncée, fusil à pompe en main. Il tira une première décharge de chevrotines en notre direction. Le pare-brise de notre vieux F-150 encaissa le gros de la salve. Le reste toucha Ron à l'épaule et le projeta contre la calandre. Le garde actionnait la pompe de son Remington 870 quand je lâchai une courte rafale. Je le touchai deux fois au gilet, la troisième balle le frappa au bras. L'impact l'envoya valser contre la portière.

Tout en gardant mon fusil braqué vers l'adjointe à terre, j'allai relever Ron et l'accompagnai jusqu'à la banquette arrière. De fines lignes ensanglantées barraient le visage de Charlie là où la pluie d'éclats de verre l'avait frappé.

 " Tu peux conduire ? lançai-je.

 - Ouais, ça va aller. On bouge ! ajouta-t-il en direction de Stuart.

 - Et eux ?

 - Mets-les KO. " répondis-je.

Il s'approcha des deux policiers et leur asséna un coup de crosse.

Nous démarrâmes dans un hurlement de pneus. Je balançai un grand coup de poing dans le tableau de bord.

 " Putain ! Là, c'est la merde !

 - Calme-toi, mec ! On a eu le gars qu'on vou...

 - Et tirer sur des flics, c'était dans le plan, Charlie ?

 - Un bon flic, c'est un flic mort !

 - Tu devrais fermer ta gueule, Stu ! rétorquai-je en me retournant vers le siège arrière.

 - Qu'est-ce que tu viens de dire, Fogarty ? Et qui a défouraillé comme un puceau ?

 - Bouclez-la tous les deux ! Stu, trouve quelque chose pour appuyer sur la blessure de Ron et boucle-la. Toi aussi, Sean ! " hurla Charlie.

Nous roulâmes en silence un moment. Je fulminais toujours intérieurement. Une fusillade avec le shérif du comté n'était vraiment pas une bonne idée mais par chance, personne n'était mort de leur côté. Sauf si j'avais touché plus sérieusement que ce que je croyais l'adjoint au calibre 12. Il allait nous falloir une bonne planque pendant quelque temps.

La colère ne masquait pas ma responsabilité dans l'échange de coups de feu mais j'enrageais aussi contre Dillon et Dom de nous avoir précipités dans ce bourbier.

Sur les indications de Leonard, nous n'eûmes aucun mal à trouver la grange abandonnée dans les hauteurs des collines où nous attendait un GMC Yukon. Ni les bidons d'essence ni la fusée éclairante pour flamber le tout et effacer nos éventuelles traces.

Ron tenait le coup même s'il était aussi pâle qu'un mourant. Sa chemise et son gilet tactique étaient imbibés de sang.

 " Il faut que tu tiennes jusqu'au point de rendez-vous. Ça va aller ? lui dit Charlie.

 - J'ai le choix ? "

Il n'y avait personne dans les environs mais nous ne pouvions pas rester statiques trop longtemps.

 " Faut qu'on bouge. On y sera dans une petite heure. "

Nous suivîmes le plan laissé par Trey pour rejoindre le chantier de construction sur les rives de Burr Oak Lake. L'endroit était désert comme prévu. Leonard laissa échapper sa satisfaction :

 " Putain ! On peut dire que la Mafia irlandaise sait honorer un contrat !

 - On est quittes alors ?

 - Ouais, carrément. Le deal va se faire comme prévu. C'est votre boss qui va être content. Par contre, juste un dernier point à éclaircir. Trey ? "

Le lieutenant de Dillon s'avança vers Dendry et, sans un mot, lui tira une balle en pleine tête.

 " Juste histoire d'être sur la même longueur d'onde, vous et moi. nous dit Leonard.

 - Bordel ! Mais vous êtes taré ! explosai-je.

 - Tout doux, Mr Fogarty. me répondit-il d'un ton calme. Là, vous ne pouvez plus aller baver sur nous au bureau du shérif ou aux fédéraux sans être inculpé de complicité. Et ce fils de pute touchait aux gamines. Pas envie que ces conneries éclaboussent mon business. Ne vous inquiétez pas, les Bostoniens, tout va bien se passer maintenant. Et un de nos amis va s'occuper de votre partenaire. "

Derrière son sourire charmeur, ses yeux renvoyaient la dureté et la froideur de la pierre. Toute négociation se trouvait balayée.

Dans un brasero, nous jetâmes nos fringues et nos gilets de combat. Le lac avala nos armes. Le SUV finirait comme cube de métal dans une casse appartenant aux Ghost Dogs. Stuart et Ronan retourneraient à Boston. Quant à Charlie et moi, nous irions nous planquer quelques jours de l'autre côté de la frontière d'État en Virginie-occidentale.

Le soir tombait sur Point Pleasant à notre arrivée. Exténués et certainement encore à vifs après notre engueulade de ce matin, nous avions peu parlé pendant le trajet.

Dans la chambre, je lançai :

 " Bon sang, on a frôlé une sacrée merde, Charlie !

 - Je sais, mon pote, mais Dom va nous lâcher la grappe. Laisse les choses se tasser et on rentrera tranquillement à Southie dans une semaine ou deux.

 - Mouais. T'as sûrement raison.

 - Comme d'hab, Sean. Allez, viens, on va s'en jeter un petit.

 - J'ai plutôt envie d'aller me dégourdir les jambes.

 - Comme tu veux.

 - On se voit tout à l'heure. "

Je sortis marcher le long de la berge. Le temps était clair. À travers les fumées industrielles, le soleil se couchait dans un flamboiement liquide et gras. Une étrange sensation m'envahit, comme un mauvais pressentiment.

À la confluence des rivières Ohio et Kanawha, dans les profondeurs du carnet de Nate Galloway, je sortis la pochette contenant un DVD. Sur le disque, une annotation au marqueur. Cinq mots qui portaient en eux un poids considérable. Je me sentis chuter, moi-même ballotté entre deux courants en lisant " Les aveux de Sam Fogarty. "

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