Le chien

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Étain et rose s'infiltraient à travers les rideaux de ma chambre. J'émergeai difficilement de mon sommeil alcoolisé. Des bribes de rêves agités couraient encore derrière mes paupières. J'aurais volontiers rattrapé quelques heures de repos supplémentaires mais depuis mon adolescence, le soleil levant me réveillait invariablement. Après une série d'exercices et une douche bien chaude, je descendis seul au restaurant de l'hôtel. Je connaissais Charlie, il allait sûrement dormir jusqu'à midi passé.

Nous avions pour consigne de faire profil bas et d'attendre les ordres du boss. J'allais en profiter pour reprendre quelques forces après les courtes nuits précédentes et me procurer quelques bouquins pour passer le temps.

Je buvais mon deuxième café quand mon téléphone vibra. À l'autre bout du fil, Dom. Son ton froid et distancié n'augurait rien de bon :

 " Salut, Sean. Je ne sais pas ce que vous foutez avec Charlie ! Mais arrêtez de croire que vous pouvez entacher ma réputation comme ça !

 - Je ne suis pas sûr de comprendre, Dom.

 - C'est très simple, petit malin ! Tu sais pourquoi les fédéraux ont rappliqué aussi tôt à Marion ?

 - Non.

 - Putain ! T'es à peu près aussi malin que ton père ! Ce vieux fils de pute de Galloway est toujours en vie. D'après mon contact au bureau de Columbus, l'affaire va être requalifiée en tentative d'homicide. Ce qui veut dire branle-bas de combat au FBI. Et probablement jusqu'ici. "

J'accusai le coup de l'insulte avant de répondre :

 " OK, Dom. Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ? On y retourne pour finir le boulot ou on rentre ?

 - Hors de question que vous rentriez sans un chargement. Donc voilà ce que vous allez faire...

 - Je t'écoute.

 - Ne m'interromps pas, Sean. Pour l'instant, l'info n'a pas filtré en dehors des fédéraux et je ne vais rien dire à Dillon. D'après lui, le premier chargement est prêt à être convoyé. Vous deux, vous allez récupérer un camion chez un de mes amis à Lexington. Puis vous revenez là où vous êtes et vous attendez que je vous contacte pour le deal. Moi, de mon côté, j'organise la transaction avec les Ghost Dogs. J'arrange un délai qui vous laisse le temps de retourner là-bas et de refroidir dénitivement Galloway sans que ces enfoirés de bikers ne soient au courant. C'est compris ou c'est encore trop élaboré pour vous deux ?

 - Non, c'est bon, Dom.

 - Pas d'entourloupes sur ce coup-là, Sean. Vous rentrez avec le matos et on vous prévoit ensuite quelques semaines de mise au vert, le temps de laisser retomber cette affaire.

 - OK, Dom. " répondis-je. Une pensée vint percuter le fil de notre conversation : " Tu t'es pas gêné pour nous baiser la dernière fois ! N'est-ce pas, boss ? "

 - Tu m'écoutes, Sean ?

 - Oui, je suis là, Dom.

 - Le gars à Lexington s'appelle Valens. Tu le connais, je crois.

 - Oui, en effet.

 - Vous allez à son entrepôt cet après-midi et il vous filera un camion. C'est bon pour vous ?

 - C'est noté.

 - Vous êtes où, là ?

 - À Point Pleasant.

 - Je sais ça, petit malin. Quel hôtel ?

 - Le Marin's Lodge sur Viand Street.

 - OK. Vous avez tout intérêt à rattraper le coup, les gars. "

Il raccrocha avant que je puisse répondre.

La pendule du restaurant marquait neuf heures vingt. Je sortis marcher sous le ciel nuageux et froid. L'air avait un parfum gris de pluie imminente.

Un détail m'échappait dans cette histoire. Charlie avait assommé Galloway de deux coups de manche de pelle puis nous avions fait sauter sa maison. La méthode la plus simple et la plus efficace pour maquiller un crime en accident. Nous portions tous les deux des gants et nous les avions gardé jusquà notre retour à l'hôtel. Mais Dom prétendait que le vieux était toujours vivant. Avait-il trouvé un moyen de se mettre à l'abri au milieu de l'incendie ou juste avant que ça pète ? Avait-il déjà parlé aux flics ou était-ce un coup de bluff du FBI ? Les contacts du boss étaient-ils vraiment fiables ? Comment étaient-ils passés d'un fait divers à une tentative d'homicide ?

J'entrai dans une librairie du centre-ville. Je laissai le rayon des biographies et des récits de voyages derrière moi pour m'enfoncer entre les étagères du fictif. Par les premiers romans offerts par mon père, j'avais développé un goût pour quelques auteurs de polar mais aussi pour des apôtres des grands espaces comme Edward Abbey ou Pete Fromm. Ici, le temps se suspendait au rythme des quatrièmes de couverture, de l'odeur du papier, du frottement des pages effleurées. Un lieu apaisant. Je pris le dernier James Lee Burke et une réédition de Doug Peacock. À une jeune vendeuse, je demandai :

 " Vous auriez des comics pour une fille de douze ans ?

 - Qui est son personnage préféré ?

 - L'une des X-Men, j'ai oublié son nom. Celle qui agit sur la météo.

 - Oh, vous voulez parler de Tornade.

 - C'est ça.

 - Il y a une nouvelle série qui vient de sortir. Ça devrait lui plaire. "

Pour Elsa, sa sœur cadette, j'achetai un livre animalier sur les oiseaux et un autre sur l'apprentissage de la photographie. La vendeuse m'accompagna jusqu'à la caisse, un gros chien noir et feu dormait de l'autre côté du comptoir. L'animal ressemblait à celui de Nate Galloway. J'étais en train de régler lorsque je suspendis mon geste.

Voilà pourquoi les fédéraux passaient à l'offensive. Charlie avait pris le chiot du vieux pour sa fille et un sac de croquettes. Quand la maison avait explosé, il avait glissé sur l'herbe et le clébard lui avait échappé tandis que la nourriture se répandait sur la pelouse. Nous avions filé sans récupérer ni l'un ni l'autre.

"Merde ! " Je ramassai en vitesse mes livres et remontai presque en courant à l'hôtel. Il me fallait à tout prix avertir mon compagnon. J'entrai dans ma chambre pour poser mon sac sans prêter attention aux rideaux tirés.

Au fond de la pièce, la lampe s'alluma. Je me retournai d'un bond, la main sur la crosse du Glock 19 que je portais sous mon blouson.

 " Tout doux, Mr Fogarty. "

Cette voix monocorde, dénuée d'émotions. Reconnaissable entre mille.

 " Et si vous me disiez où se trouve Charles ? Et pourquoi Dominic me sort de mon petit cottage marin pour venir réparer vos erreurs dans ce trou perdu de Virginie occidentale ? "

Je comprenais maintenant pourquoi Dom semblait si froid au téléphone. Il avait envoyé celui qu'on craignait le plus : Fergus.

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