La saison des pluies

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À mesure que le jour se levait, d'épais nuages couleur ardoise descendaient des collines environnantes. Les premières gouttes de pluie vinrent frapper sans bruit la baie vitrée. Des nappes de brouillard chargées d'humidité serpentaient entre les pins. Une lumière chargée de mélancolie s'insinuait dans la cuisine et le salon.

Je me servis un premier café. Galloway se leva suivi de Charlie. Un silence pesant régnait entre nous, la méfiance et la rancœur avaient élu domicile dans cette forteresse de solitude cachée au plus profond du cœur de rouille de l'Ohio. Sur une vieille couverture de l'armée, Fergus avait étalé un kit de nettoyage pour son Colt Kimber. Il leva des yeux sans expression vers moi :

 " Vous devriez en faire autant avec votre arme, Sean. Vous aussi, Charles.

 - Vous vous attendez à du grabuge avec les bikers ?

 - Pas vraiment, mais je préfère me tenir prêt au cas où. Je n'aime ni les surprises ni les imprévus.

 - Votre femme doit s'amuser avec vous. "

De froid, son regard devint dur. Une veine palpita à sa tempe mais sa voix ne changea pas d'un iota :

 " Préparez-vous avant que Dillon appelle. "

Quand je ressortis de la douche, la pluie avait doublé d'intensité et cinglait à présent la fenêtre. Charlie entra dans la pièce, l'air d'avoir quelque chose à me dire. Au même moment, mon téléphone sonna. C'était Trey, le bras droit de Leonard Dillon :

 " Salut, Fogarty ! Au nord de Bolivar sur la 77, il y a un roadhouse. Midi sur le parking à l'arrière du bâtiment. Ne soyez pas en retard et n'oubliez pas vos bagages. Là-bas, nous vous donnerons les infos pour récupérer votre Black Shadow. C'est noté ? "

Je répétai les consignes et Parker raccrocha. J'allai sortir de la chambre lorsque Charlie m'attrapa par le coude et chuchota :

 " Putain, Sean, à quoi tu joues ? Que tu aies des inimitiés envers Galloway, je comprends. Mais évite ces conneries avec Fergus. Ou on file droit à la catastrophe ! Je te rappelle qu'il est le seul fusible entre Dom et nous. Ce n'est ni le moment ni l'endroit pour ça.

 - Je sais, Charlie.

 - Ouais, ben on dirait pas. On est à deux doigts de conclure ce deal et de rentrer à Boston. Une fois de retour, tu pourras faire ce que tu veux. En attendant, tu fais profil bas. Qu'on en finisse, Sean. J'en ai marre de ce coin, marre de ces embrouilles. Je veux juste retrouver Lizzie et ma gosse.

 - Cette affaire pue. Je ne le sens pas, ce deal.

 - Sean, écoute. On est trop près du but pour renoncer maintenant. On rencontre une dernière fois les Ghost Dogs et on se tire avec Galloway en supplément pour Dom. Ce qui se passe ensuite n'est plus de notre ressort. Et s'il faut buter ce vieil enfoiré nous-mêmes, on le fera sans hésiter. OK ?

 - OK.

 - En attendant, on suit les consignes de Fergus comme deux braves petits chiens. Tu peux faire ça, Sean ?

 - Ouais, je peux.

 - Bien. Tant mieux. "

La voix de Charlie portait les traces d'une érosion que je n'avais jamais entendue dans sa bouche. Une usure, une lassitude que je découvrais là. En tergiversant, en renâclant à tuer le vieux Nate, n'avais-je pas écouté que mes motivations, mes douleurs, négligeant par la même occasion mon meilleur ami ?

Je me sentais con et sale. J'allais ajouter quelque chose quand Fergus apparut en haut du couloir. Il nous demanda de revenir au salon :

 " Des nouvelles de Dillon ? "

Je lui répétai les consignes que j'avais reçues. Fergus laissa son doigt glisser sur la carte routière jusqu'à trouver Bolivar. Puis il jeta un œil à sa montre :

 " Combien ils demandent pour la transaction ?

 - Avec le supplément de marijuana, ça monte à soixante-quinze mille. expliqua Charlie.

 - Bon, il faut que nous soyons partis dans vingt minutes. Nous faisons un détour chez le comptable puis nous prendrons la route. Charles, vous conduirez sur la première portion. "

La pluie forcissait encore. Tout le poids de l'instant résidait dans l'épaisse couche de nuages déversant de grises et froides cataractes. L'hiver approchait à grands pas, j'en sentais la morsure sur chaque parcelle de ma peau nue.

Nous roulâmes une bonne heure avant d'atteindre la maison du comptable. Une seule voiture dans l'allée de la villa. Charlie accompagna Fergus tandis que je restais avec Galloway. Seul le tambourinement de l'averse sur la carrosserie du SUV troublait le silence aussi que les bandes de brume qui dansaient dans les bois, ce qui m'arrangeait parfaitement. Durant l'espace d'une seconde, je croisai le regard du vieux dans le rétroviseur. J'y lus un mélange de rancœur, de honte et de profonds regrets.

Fergus et Charlie revinrent. Je me glissai derrière le volant.

Tout au long de la route, le ciel déversait toute sa mélancolie. Partout dans les champs, des langues indolentes d'eau boueuse remontaient des rivières et des ruisseaux pour submerger la plaine. Une inondation galopait, compris-je. Juste avant d'atteindre la route 77, nous tombâmes sur un barrage de la police d'État. Le jeune agent, dans son ciré jaune réglementaire, nous avertit que la Tuscarawa River était sortie de son lit et empêchait toute circulation en direction du Sud. Je lui répondis que nous roulions justement vers le nord. Il conclut sur un " Bonne journée, messieurs et soyez prudents. "

Charlie se détendit et retira la main de sous sa veste. Quand je réalisai ça, je lui lançai un regard peu amène auquel il répondit par un haussement d'épaules. Fergus se pencha vers moi et demanda :

 " Est-ce que tout va bien ?

 - Comme sur des roulettes.

 - Que dit le GPS ?

 - Encore une demi-heure.

 - Parfait. "

J'avais à présent l'impression de rouler sur un fin ruban perdu au milieu d'une immensité lacustre couleur de boue. C'était comme si nous étions des naufragés sur un radeau de fortune. J'en venais à me demander si notre situation était plus enviable. En route vers un deal incertain. Charlie était persuadé que les choses se passeraient bien mais je n'avais oublié ni l'issue désastreuse de l'attaque du fourgon de prisonniers quelques jours plus tôt ni la traîtrise de Dom sur ce coup-là. Ni le fait que j'avais tiré sur un adjoint du shérif ni la blessure de Ronan.

Midi approchait mais la luminosité du jour restait hésitante. Je dépassai Bolivar. Sur la droite de la route, j'avisai enfin le roadhouse. Je remontai l'allée de graviers. Pas de motos en vue mais je ne fus pas surpris. Je me doutais bien que les Ghost Dogs n'allaient pas venir à une transaction avec leurs Harley. Deux camionnettes blanches identiques à celle qui nous avait emmenés avec Charlie dans les hauteurs de Marion étaient garées là, moteurs tournants. Aucun autre véhicule n'était visible. Du peu que je pouvais distinguer à travers le rideau de pluie, rien ne bougeait dans les vans. À midi pile, je reçus un texto : " Vous pouvez venir. Porte arrière du second véhicule. "

Je vérifiai une dernière fois mon Glock, Charlie son Sig Sauer. Mon cœur tapait fort dans ma poitrine. Si quelque chose devait se produire, c'était maintenant. Ma main tremblait légèrement quand je saisis la poignée de ma portière.

J'enfilai mon feutre, Charlie ajusta sa casquette de base-ball puis attrapa le sac d'argent à ses pieds. Sur la banquette arrière, J'entendis Fergus armer son Colt .45.

L'averse me trempa immédiatement. Je traversai le parking, prêt à détaler et à dégainer au premier signe suspect. Nous approchions du fourgon quand des ombres jaillirent des bosquets nous environnant, des portes à l'arrière du roadhouse. Dans le brouhaha, la même clameur :

 " FBI ! FBI ! Les mains en l'air ! "

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